Nos coups de coeur
Le 14 mai 1610, vers quatre heures de l'après-midi, le carrosse découvert où Henri IV a pris place, quitte le Louvre. Paris s'apprête à fêter la reine Marie de Médicis. L'attelage royal est bloqué rue de la Ferronnerie par un embarras de charrettes. Brusquement, un étrange rôdeur habillé à la flamande, armé d'un couteau, saute sur la roue du véhicule et poignarde mortellement le roi.
L'homme est immédiatement appréhendé. Il se nomme Ravaillac, vient d'Angoulême. Il déclare, même sous la torture, avoir agi sans complice, pour punir le monarque de vouloir faire la guerre aux puissances catholiques et au pape.
L'avant-veille, la reine a été sacrée à Saint-Denis, une semaine avant le départ d'Henri à la tête d'une immense armée. Le roi de France s'apprête à entrer en guerre contre l'Espagne, l'Autriche et les Pays-Bas, dirigés par l'archiduc Albert de Habsbourg. Le motif de cette guerre ? Une querelle de succession du côté du Luxembourg, mais aussi l'emprisonnement à Bruxelles, la ville d'Albert, du dernier amour du Vert-Galant, Charlotte de Montmorency, enlevée par son propre mari, le prince de Condé, cousin d'Henri IV.
Pourquoi Ravaillac a-t-il assassiné Henri IV le 14 mai 1610 ? Qui a guidé le bras de Ravaillac ? Il n'y en a que trop, il n'y en a que trop... La phrase sibylline du président Achille de Harlay, chargé d'instruire le procès de l'assassin d'Henri IV, n'a pas manqué d'intriguer les historiens. Le haut magistrat parlait des preuves d'un crime d'État qu'il préférait taire pour éviter de graves suites diplomatiques. Le bras de Ravaillac aurait-il été manipulé ? Bien que l'assassin ait toujours affirmé avoir agi seul, la thèse a longtemps été murmurée puis elle a éclaté au grand jour, notamment avec Michelet qui accuse sans preuve convaincante l'Espagne catholique, à travers la personnalité ambiguë du duc d'Épernon, ancien mignon d'Henri III.
On a aussi accusé la marquise de Verneuil, Henriette d'Entragues, furieuse d'avoir été délaissée par le roi, ou les Concini, Leonora et Concino, les deux aventuriers florentins proches de Marie de Médicis, qui prendront leur envol à la mort du Béarnais. Sans parler du prince de Condé. Parfois, on les accuse tous à la fois.
Pourtant, comme le remarque l'historien Petitfils avec une précision de criminologue, ces explications ne tiennent pas à l'examen rigoureux des faits.
Mais si Ravaillac est bien un illuminé, un de ces demi-fous qu'un comploteur habile sait retourner au bon moment, il n'est pas pour autant maître de la situation. Le contexte est très important. Il est étonnant de constater que huit à quinze jours avant la mort du roi, le bruit courait déjà dans les provinces proches de Bruxelles qu'il avait été assassiné. La piste flamande semble constituer le fil conducteur le plus crédible de cette vaste conspiration dont les raisons sont très compréhensibles et, dans le même temps, le mode de réalisation très médiocre.
Reprenant l'ensemble du dossier, l'auteur propose une piste, étayée par un faisceau d'indices troublants. Son livre, véritable enquête policière qui se dévore comme un polar avec en creux le portrait fascinant de l'assassin, est une contribution majeure à la compréhension de l'une des grandes énigmes de l'histoire de France, dont les conséquences politiques et religieuses ont été considérables. Une sorte d'enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Et qui révèle les coulisses peu ragoûtantes de la grande politique européenne.
GEORGES LEROY