Nos coups de coeur
La notice de Wikipédia sur Charles-Elie Sirmont ne disait pas grand chose. Il avait été député et deux fois ministre. Son nom restait attaché à l'opération Ile de lumière , au Liban et à la Bosnie. Invité souvent dans la grande presse ou à la télévision pour parler de la guerre, il témoignait et publiait des livres. Qui était vraiment Sirmont ? Une authentique figure de l'humanitaire ou un imposteur ?
Moreira se souvenait d'un homme emphatique et cinglant, qui ne manquait pas de brio. Il n'avait jamais réussi à le détester. Chargé de rédiger sa nécrologie, il voulut en avoir le cœur net. Comme toute bonne nécro , il faut s'y prendre avant (la mort du sujet). C'est ainsi qu'il se retrouva sur l'esplanade des Invalides, sonné.
Charles Sirmont était très fort. Il avait l'habitude des journalistes, maniait à la perfection l'art de les nourrir en leur servant anecdotes et petites phrases prêtes à servir. Il en faisait ensuite ce qu'il voulait. Ce type d'interview était à la fois une aubaine et une calamité.
Moreira ouvrit la chemise en carton que lui avait donnée l'attachée de presse. Elle contenait deux photos : la première représentait Sirmont dans un décor de jungle, cravate impeccablement nouée, cigare aux lèvres, au pied d'un arbre gigantesque. Idéale pour un sujet titré : Un baroudeur en politique. Sur la seconde, on le voyait en conversation avec Lech Walesa. Pas le syndicaliste famélique de 1981 dans sa pauvre veste marron, celui des années quatre-vingt-dix, empâté, le teint brique, président de la Pologne. Sur la photo, Walesa sourit à Sirmont. Ils paraissent complices. Celle-ci, ce sera pour l'article intitulé Au risque de la liberté .
Moreira, nécrologue d'un quotidien national, enquête donc sur cet homme politique qui cache son jeu et sa blessure. Le Figaro (le vrai) a cru y reconnaître l'académicien Jean-François Deniau. Erreur. Le portrait est plus complexe : il y a du Deniau, du BHL, du Kouchner, du Druon, et bien d'autres encore dans ce personnage trouble et facétieux.
Directeur du Figaro littéraire, Montéty quitte les sources sûres de la biographie (Honoré d'Estienne d'Orves, Kléber Haedens, Thierry Maulnier) pour les rivages incertains du roman. Mais son monde est balisé. Il nous entraîne dans des univers qu'il connaît bien : celui de la presse, cynique et léger, celui du microcosme politique, cruel et fanfaron, et celui de l'héroïsme, et ses interrogations. Sirmont est l'archétype du héros moderne bientôt rattrapé par la cruauté du réel, il est le miroir d'une société fragile, fascinée par la transgression, hantée par ce qui lui échappera toujours. Peut-on connaître la vérité d'un homme ? À l'article de la mort, quand ni le rêve, ni le mensonge ne paient plus, peut-être...
Une belle aventure qui fait de ce premier roman une réussite, une œuvre subtile dans un style sobre et travaillé. Un des meilleurs romans de la rentrée littéraire.
LUC PINSON
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