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Les frères séparés – Drieu La Rochelle, Aragon, Malraux face à l’Histoire

Les frères séparés
  • Auteur : Maurizio Serra
  • Editeur : La table ronde
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 327
  • Prix : 8,50 €

Aragon vous a un côté espagnol, sonne du côté de l’honneur, de Corneille et de Montherlant. Avec Drieu La Rochelle, on se dit que si les Trois Mousquetaires étaient quatre, avec ce nom là, ils peuvent bien être cinq pour faire à nouveau le siège de La Rochelle ou, à l’exemple de Montmenrency-Bouteville et de Des Chapelle, se battre en duel sous les fenêtres du roi Louis XIII puis, toujours pour l’exemple, être exécutés . Question épopée, pour ce qui est de la cape et de l’épée, le dernier sire vous aura fait beaucoup de moulinets et de mouvements de cape. C’est, du moins, ce qu’au prononcé de leurs noms, notre imagination pouvait escompter de ces trois là. Ressortissent-ils plus à la politique qu’à la littérature ? C’est toute la question (ou, au minimum, la principale). 

En comparaison de bien d’autres intellectuels, plus humbles, plus discrets, plus agissants (sous-entendu en faveur du bien) – on pense en particulier à quelqu’un comme Gabriel Marcel qui fut le premier, dans les années soixante, à faire connaître en France et à aider concrètement les dissidents soviétiques – il est acquis que le fameux trio a tout faux.

Trop de complications inutiles (chez un écrivain, chez un artiste, il y en a dans la vie psychique et morale de fécondes), trop de mise en scène de soi-même, trop de vie publique qu’on déforme comme malgré soi en vies privées de sens, sauf du mauvais : oui, trop d’erreurs de jugement, à ceci près que, personnes publiques, ils ont contribué à induire leurs contemporains en ces erreurs politiques. Le talentueux poète et écrivain compense-t-il chez lui, Aragon, le communiste stalinien ? Est-ce ainsi que les hommes vivent/ Et leurs amours au loin les suivent/ Comme des soleils révolus. Peut-être qu’aux yeux des hommes, à l’échelon terrestre, on retient l’œuvre de l’artiste et on opère la compensation. N’étant point Dieu, au-delà, on est moins certain puisqu’il est dit qu’on sera jugé sur pièces, c’est-à-dire sur l’amour. Comme le chantait Nicolas Peyrac, Aragon n’était pas encore un minet lorsque, avant-guerre, Drieu s’emballait mollement pour un européisme fasciste mou et compulsif à l’image de l’appétence pathologique de cet homme à femmes. Mais les rares spécialistes de l’écrivain, qui sont ses derniers lecteurs, vous assurent, et à juste titre, qu’il en était un.

Quant à Malraux, il est paraît-il mal vu de ne pas le prendre très au sérieux. Après avoir joué à imiter avant l’heure Bernard-Henri Lévy, il a fini par cesser de faire le zouave que ce soit au Cambodge, à Moscou ou en Espagne et, donc, de se tromper en politique. S’éprendre de De Gaulle, puis de Sophie de Vilmorin lui fut sans doute le plus puissant des substituts. A l’écouter, les historiens de l’Art sourissent toutefois doucement. De Gaulle avait pour lui les yeux de Chimène et il permet à Alice de nous faire lire à son propos (presque) des merveilles d’érudition et de bonne biographie comparée. En tant qu’éditrice, damoiselle Déon devrait nous en nourrir plus souvent. 

Hubert de Champris


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