Source [Le Figaro] Le plan de Jean-Michel Blanquer consiste à diminuer le niveau des professeurs pour en recruter un plus grand nombre, s’alarme le philosophe Philippe Nemo.
L’Éducation nationale a tant et si bien fait, depuis quelques décennies, pour rehausser le prestige et l’intérêt du métier de professeur qu’elle manque aujourd’hui cruellement de volontaires pour l’exercer. Le nombre de candidats aux concours de recrutement ne cesse de diminuer. De nombreux postes ne sont pas pourvus. D’où la volonté du ministère de baisser la barre par une réforme du Capes qui sera censée faciliter le recrutement.
La réforme envisagée consiste à minorer le poids de l’écrit, qui ne comptera plus que pour 30 % de la note. Il n’y aura plus qu’une seule épreuve proprement académique. Deux autres seront des épreuves dites professionnelles (mais quelle autre qualité professionnelle un professeur peut-il avoir que celle de savoir de quoi il parle?). Surtout, lors de l’oral, déjà surévalué, une quatrième épreuve consistera en un simple entretien de recrutement. Aucun critère objectif n’étant formulé, le candidat n’aura pas à prouver qu’il sait ou sait faire, mais qu’il est ce qu’on veut qu’il soit. Aux spécialistes des nouvelles pédagogies qui domineront les jurys, il devra montrer qu’il sympathise avec leurs théories (hautement contestables, pourtant!) et, d’autre part, qu’il est attaché aux «valeurs de la République», bien décidé à œuvrer pour la «laïcité» et contre toutes les «discriminations» dont la définition ne cesse de s’élargir.
En d’autres termes, il devra montrer qu’il est un fidèle de la nouvelle religion d’État. Il sera bien difficile à un esprit libre de passer le filtre. Non seulement ce concours recrutera des gens peu instruits, mais il bloquera probablement l’accès de l’enseignement à des jeunes gens «trop» instruits.
Le résultat prévisible de tout ceci est que les futurs enseignants des collèges et lycées ne seront plus des professeurs compétents dans leurs disciplines
Pour promouvoir ces nouvelles logiques, on vient de rétablir les IUFM de fâcheuse mémoire sous le nom d’INSPE ( instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation), ce qui signifie que la formation des professeurs du second degré est de nouveau retirée aux universités. Les futurs enseignants y feront des masters «professionnels» (MEEF), où l’étude des disciplines ne représente qu’une petite partie de l’horaire, tout le reste étant consacré à la pédagogie et aux stages. Il n’est pas encore décidé si l’on interdira purement et simplement aux étudiants ayant fait des masters universitaires classiques de se présenter aux concours, mais il est clair que, n’ayant pas été formés préalablement dans le nouveau moule, ils seront handicapés lors de la sélection. Le résultat prévisible de tout ceci est que les futurs enseignants des collèges et lycées ne seront plus des professeurs compétents dans leurs disciplines, mais une forme ou une autre de gentils animateurs-accompagnateurs.
On peut comprendre que le ministre, confronté aux difficultés de recrutement, ait envisagé une telle réforme. Mais il ne peut changer le recrutement des professeurs pour certains sans le changer pour tous. Et c’est là que l’affaire devient préoccupante.
On a procédé entre 1960 et 1975 à une massification de l’enseignement secondaire, multipliant le nombre d’élèves et d’enseignants par six (ou plus, selon les manières de compter). Dans ce contexte, il était fatal qu’il y eût une certaine primarisation du secondaire, à la fois parce que la plupart des nouveaux professeurs de collège étaient d’anciens instituteurs et parce qu’on imposa à cette époque de nouvelles pédagogies dites actives directement inspirées de l’enseignement primaire. Mais, jusqu’à aujourd’hui, cette primarisation était seulement de facto. L’enseignement secondaire le restait de jure, en ce sens qu’il était toujours régi par des programmes officiels exigeants, qui pouvaient être traités dans un nombre significatif d’établissements publics ou privés disposant de professeurs compétents, qu’ils soient agrégés ou capésiens à l’ancienne mode. C’est ce que la réforme envisagée va rendre impossible.
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