Où en est la campagne américaine ? Notre correspondant aux Etats-Unis fait le point à quelques jours du dénouement.

COURAGE ! plus que dix jours. Plus que dix jours à suivre de front deux campagnes électorales, la campagne américaine d'un côté et la campagne américaine en France de l'autre. A croiser ainsi en permanence le réel et le virtuel deux semaines de plus, mon psychisme n'aurait, je pense, pas résisté. J'aurais dû lire plus attentivement la notice sur les risques d'épilepsie avant de me lancer dans ce petit jeu.

 

Dernier exemple en date, la Une du Figaro de ce jeudi 23 octobre. En apercevant la taille du titre et la demi-page avec la photo de Barak Obama, j'ai un instant cru que j'avais manqué l'élection. Le temps de télécharger l'image et je comprenais mon erreur : il ne s'agissait que d'un sondage prédisant un raz-de-marée démocrate, 52 contre 38 %, soit 14 points d'écart !

 

Un peu énorme par rapport aux 6 points de la semaine passée. J'ai donc quitté le monde virtuel et magique du Figaro pour retourner dans la réalité, en l'occurrence sur le site de Real Clear Politics (www.realclearpolitics.com), organisme indépendant qui rassemble les résultats des sondages nationaux et par Etat. Bien évidemment, je n'ai pas retrouvé le 38 % de McCain. Mais surtout, en faisant la moyenne des 16 sondages nationaux publiés ces trois derniers jours, j'ai obtenu un résultat sensiblement différent : 50 contre 42,5 % soit 7,5 % d'écart, c'est-à-dire moitié moins que dans le Figaro. Ce résultat confirmant simplement que, depuis une semaine, Barak Obama a conforté, sans accélération, la progression qu'il connaît depuis la mi-septembre.

Rien de nouveau

 

Mais avant de revenir sur la question des sondages, un petit point informatif. Quoi de neuf depuis une semaine? En gros, à peu près rien. Sur le même fond de crise économique, John McCain ne se lasse pas de raconter l'histoire de Joe le plombier[1], Barak Obama continue d'expliquer qu'il va diminuer les impôts de 90 % de la population en ponctionnant les 5 % très, très riches[2], Sarah Palin excite encore les foules républicaines autant que les féministes du New York Times – mais pas dans le même sens, évidemment –, quant à Joe Biden, il poursuit son numéro de vieux-beau-bonimenteur-gaffeur. En bref, le candidat républicain n'a toujours pas de vision politique, et son opposant n'a rien renié de promesses qu'il n'aura pas les moyens de tenir.

Voilà pour le fond. Sur la forme, la différence notable tient dans le passage à plein régime de la campagne démocrate, forte d'un budget inouï qui devrait dépasser les 650 millions de dollars. La superproduction messianique mérite bien ça. Pour donner un ordre d'idées, il y a quatre ans les candidats n'atteignaient pas cette somme à eux deux. John McCain quant à lui a déjà quasiment tout dépensé d'un montant moitié moindre. Le résultat est une véritable saturation des ondes par les publicités de la campagne démocrate.

 

On ne s'étonnera donc pas que les causes décrites ici-même depuis deux chroniques produisent les mêmes effets : le soldat McCain, héros sans projet, attend désespérément l'événement qui va lui permettre de décoller ; le doux et provident Obama, consolateur de l'anxiété économique, se laisse porter avec une adresse remarquable sur la vague de l'espoir. C'est ce que montre le basculement tout récent de la catégorie des plus de 65 ans chez lesquels le républicain a cédé dix points en deux semaines par rapport à son adversaire. Durant cette période en effet, les enfants du baby-boom ont vu leurs retraites, principalement dépendantes de la bourse, fondre dramatiquement.

 

Il faut ici saluer la maîtrise de l'évolution de sa campagne par Barak Obama car si sa progression régulière est principalement due à la conjoncture économique, il a su accompagner la diffusion de l'angoisse en se rendant de plus en plus accessible à cet électorat-clé que sont les indépendants, masse croissante de citoyens centristes qui ne se retrouvent pas dans le système clos des partis politiques américains et qui attendent généralement le dernier moment pour se décider. Le ralliement durant la semaine passée de deux républicains, Colin Powell et Paul Volcker, en est le signe. L'ouverture au centre a eu pour effet de rendre inopérant l'argumentaire républicain qui consistait à rappeler le passé radical d'Obama, à insister sur le fait que personne ne sait exactement ce qu'il pense et ce qu'il compte faire une fois entré à la Maison Blanche. Cela reste pourtant vrai, mais n'a plus aucune portée dans la campagne. Le résultat est là : mi-septembre, John McCain menait dans la catégorie centriste par 13 points, il en cède désormais 12 sur son concurrent.

Un électorat résigné

 

Alors, l'élection est-elle déjà jouée? Oui... et non. Oui dans la mesure où le candidat démocrate jouit d'une dynamique positive qui l'avantage et dont on ne voit pas ce qui pourrait la stopper. La comparaison avec Sarah Palin est de ce point de vue intéressante. John McCain avait fait un pari risqué en la choisissant, mais le risque était calculé : les démocrates ne pourraient pas exploiter les faiblesses de sa vice-présidente, l'inexpérience et des valeurs typées, sans par ricochet atteindre leur propre candidat à la présidence, tout aussi inexpérimenté et dont les liens très douteux avec un ancien terroriste non repenti ou un pasteur protestant dangereux effrayaient les centristes indépendants. Or la crise économique a exactement inversé ce calcul en alimentant la dynamique positive en faveur de Barak Obama : les électeurs ont de plus en plus neutralisé leurs doutes à l'égard du démocrate alors que, dans le même temps, les mêmes doutes subsistaient à l'endroit de Sarah Palin. Comme le montrent les derniers sondages, l'inexpérience de cette dernière est devenue un problème pour les centristes alors que l'inexpérience du premier est devenue secondaire dans cette même catégorie d'électeurs.

 

L'évolution actuelle des sondages repose donc sur la dynamique de confiance dont jouit le démocrate et qui le rend de plus en plus présidentiable. Depuis un mois et demi, Barak Obama n'a pas conquis un nouvel électorat, mais un nouvel électorat s'est résigné à le voir président plutôt que John McCain. Une bulle électorale, en somme, qui distingue cette élection des précédentes durant lesquelles les dernières semaines de campagne voyaient les candidats se rapprocher dans les sondages. Pour cette raison, le résultat des urnes dans dix jours reste très incertain.

 

C'est ici qu'il nous faut revenir aux sondages. Lorsque le Figaro annonce un duel à 52/38, il oublie de préciser qu'un autre sondage national sérieux, celui de l'université Georges Washington, donne du 49/46. On passe ainsi de 14 à 3 points d'écart. Et ce n'est qu'un exemple. La question est donc : comment se fait-il que l'on trouve des divergences de plus de 10 % entre des sondages dont leurs sources continuent d'affirmer qu'ils ont une marge d'erreur située entre 2 et 3 %? La réponse technique est que chaque institut possède ses propres méthodes de correction des données : parce que les sondages sont faits en appelant des téléphones fixes, parce que de moins en moins de personnes acceptent de répondre, parce que le nombre de nouveaux électeurs qui se rendront aux urnes est totalement inconnu, parce que les démocrates acceptent beaucoup plus facilement de donner leur avis que les autres, et pour bien d'autres raisons encore, les instituts de sondages corrigent, chacun avec sa propre formule magique, les données brutes en estimations publiques. Ces estimations donnent toutes l'avantage à Barak Obama, mais avec des degrés de divergence qui reflètent parfaitement l'incertitude générale quant à l'issue réelle de l'élection. Là est la véritable nouvelle de la semaine : personne ne sait précisément où en est la campagne présidentielle américaine. Autrement dit, on sait que le démocrate est en tête, mais on ne sait ni de combien, ni surtout si cet avantage repose sur des bases assez fermes pour se retrouver dans les urnes.

  

[1] Pour rappel, Joe le Plombier (qui s'appelle bien Joe, contrairement à ce qu'une campagne de dénigrement démocrate a voulu faire accroire, campagne reprise d'ailleurs sans précaution comme à l'habitude dans certains journaux français) a connu son heure de gloire après une discussion avec Barak Obama. Le premier se demandait s'il avait intérêt à faire croître son entreprise compte tenu de l'augmentation des taxes promise par le second. A quoi le candidat répondit que Joe contribuerait ainsi à répandre la richesse autour de lui.

 

[2] Précisons qu'actuellement seuls 40 % des Américains payent des impôts, les autres étant exonérés en raison de leurs faibles revenus. D'où l'accusation formulée par les républicains d'un socialisme rampant, camouflant une politique massive de redistribution des richesses derrière l'argument porteur des tax cuts .