Au cours d'un meeting rassemblant plusieurs milliers de personnes à la maison de la Mutualité à Paris, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a appelé mardi dernier (13 février 2007) à une résistance sans faille contre la politique de l'Iran en matière nucléaire.
Les orateurs qui se sont succédé à la tribune, responsables de la communauté juive ou personnalités politiques de tous bords, ont en effet souligné que, d'après les propres déclarations du président Mahmoud Ahmadinejad, l'équipement nucléaire iranien aurait pour principale vocation de "rayer Israël de la carte".
MEME SI LA PRESSE classique avait très peu relayé l'information, le premier niveau de la mythique salle parisienne était déjà plein à 19 h 30, horaire indiqué par le CRIF pour le début de la réunion, de sorte que les nombreux retardataires ont dû remplir les balcons. Une affluence qu'on peut interpréter comme un signe de l'inquiétude croissante de la communauté juive et de ses amis à l'endroit des gesticulations du président iranien, dont l'antisémitisme caricatural confine aujourd'hui à la provocation suicidaire. Dans son intervention, le député Rudy Salles, président du groupe d'amitié parlementaire France-Israël, a toutefois tenu à rappeler que les discours de haine contre Israël ne sont pas nouveaux sous le soleil de la République islamique d'Iran : celui qu'on qualifie depuis quelques années de chef de file des "conservateurs modérés", l'ayatollah Ali Khamenei, est en effet lui aussi un coutumier du fait. C'est donc le régime islamiste lui-même qui révèle sa part la plus sombre à travers la figure radicale d'Ahmadinejab.
Dans la salle, on reconnaissait quelques rabbins, et notamment le grand rabbin de Paris David Messas, mais dans l'ensemble le meeting avait le caractère laïc, et donc assez consensuel, dont le CRIF est familier. Un "politiquement correct" bien en phase avec la pluralité des opinions représentées à la tribune, mais dont la salle semblait être lasse. De concert, Bertrand Delanoë, maire de Paris, Corinne Lepage, candidate à l'élection présidentielle, Jean-Louis Bianco, directeur de campagne de Ségolène Royal, et Pierre Lellouche, chargé de lire un message de soutien adressé à la communauté juive par Nicolas Sarkozy, ont affirmé avec force que l'Iran ne devait sous aucun prétexte disposer de la force nucléaire, tout en concédant la possibilité d'un nucléaire civil sous contrôle de la communauté internationale.
En cela, ils rejoignent les dernières propositions faites par George W. Bush. Le président américain a en effet déclaré mercredi soir (14 février 2007) que la stratégie diplomatique employée pour faire plier la Corée du Nord conviendrait aussi pour faire plier l'Iran, allant même jusqu'à revenir sur les insinuations habituelles selon lesquelles le régime des ayatollahs financerait la guérilla chiite en Irak. Fermeté et dialogue : il faut avouer que la salle a mollement applaudi ce slogan, refusant même à grands cris que les orateurs critiquent l'intervention américaine en Irak, laquelle participe du soutien à Israël.
Brouhaha
Mais c'est quand l'oratrice communiste, le sénateur de Paris Nicole Borvo Cohen-Séat, a pris le micro que le bateau de la Mutualité a méchamment tangué. Manifestement accrochée aux positions idéologiques de son parti sur la question palestinienne, crispée et craintive comme une révolutionnaire qui sait à l'avance qu'elle va soulever des protestations, elle s'est livrée à une critique en règle de la politique suivie par le gouvernement israélien, qualifiée d'"occupation" et de "colonisation". Comme si les démantèlements dramatiques – et impopulaires – des colonies de Gaza et de Judée-Samarie n'avaient pas marqué la volonté de réforme des Israéliens... La salle s'est levée comme un seul homme (ou presque) et a exigé, à grands renforts de sifflets, que l'oratrice se taise. Dans un brouhaha indescriptible, l'animateur de la réunion a essayé de rétablir un semblant d'ordre, pour que Nicole Borvo continue de s'exprimer, sans y parvenir. Des balcons et dans la salle, plusieurs personnes ont notamment fait référence aux attentats-suicides du Hamas, affirmant qu'il était hors de question de transiger avec des terroristes, qu'ils aient été démocratiquement élus ou non.
De jeunes militants – sans doute issus des rangs du Bétar ou de la Ligue de défense juive – ont lancé les slogans traditionnels de la droite israélienne et demandé le départ du sénateur de Paris, aux cris de "Communistes collabos !". Cette dernière a alors tenté d'invoquer le respect de la démocratie et, surtout, le souvenir des communistes juifs déportés pendant la guerre. Tentative d'instrumentalisation fort maladroite qui lui a été fatale : elle a dû abréger son discours sous les huées et les cris de l'assistance scandalisée, et quitter la salle sans revenir à son siège.
Quelle unité ?
La communauté juive de France se trouve aujourd'hui à un tournant. Elle est d'abord, depuis la deuxième Intifada, à fleur de peau. Un sénateur communiste qui revendique son appartenance à la communauté juive au point d'adjoindre son nom de jeune fille à son nom d'épouse, mais qui tient en même temps des propos assimilables pour certains à une véritable trahison, la communauté juive ne peut plus supporter ce genre d'ambiguïté. Et pourtant, c'est un point notable, les habitués des réunions du CRIF sont loin d'être les plus extrémistes.
Ensuite, la communauté juive a de plus en plus de mal à vivre son unité : vivre son unité, et non seulement la proclamer. Car pour s'unifier, elle doit reconnaître, à rebours de la tradition consistoriale bi-séculaire, que son seul motif d'unité – celui qui lui donne son identité de "peuple à part" – réside dans le choix de Dieu. Sans religion, pas de communauté juive. Sans Abraham, Isaac et Jacob, pas d'Israël. C'est dire si la laïcité prônée par le CRIF, et qui lui vaut une inimitié croissante de certains milieux juifs qui gagnent en influence, suscite embarras et mécontentement. Surtout dans un contexte d'exacerbation des identités où les musulmans, prompts à assimiler la cause de la reconnaissance de l'islam à celle des Palestiniens, semblent parfois tenir la dragée haute aux Juifs dans les médias.
C'est finalement le dernier orateur de la soirée, François Léotard, qui a remporté tous les suffrages, gratifié d'une standing ovation. S'appuyant sur sa longue amitié avec la communauté juive et l'État d'Israël, il a puisé au plus profond de lui-même – de ses tripes, de son cœur, de son âme – et, servi par un verbe admirable évoquant à la fois Léon Bloy, Péguy et Lévinas, a souligné la mission unique du peuple juif dans l'histoire des hommes : citant Daniel Sibony, il a rappelé que l'origine de la haine, c'est la haine de l'origine. Or, l'origine du peuple juif, la raison pour laquelle il a été "créé" par Dieu, est d'être une matrice (selon un mot de Benoît XVI) pour toute l'humanité.
On savait l'ancien ministre, retiré de la politique pour se consacrer à l'écriture, familier des choses de l'esprit, mais il a donné là une preuve insoupçonnée de sa hauteur de vue. Il a rappelé, lui le goy, le Gentil, le chrétien tourmenté, qu'on ne comprend pas le problème du Proche-Orient si l'on occulte sa dimension métaphysique et spirituelle. Il rejoint ainsi les paroles d'André Neher :
"Être ou ne pas être, c'est le problème des Gentils. Être moi-même ou être comme les autres, c'est le problème des Juifs. Une commune destinée nous lie tous : celle que notre histoire a forgée. En chacun des visages juifs que nous côtoyons, si dissemblables, si discordants soient-ils, nous devons respecter le descendant d'un des six cent mille hommes à qui Dieu a parlé au Sinaï."
*Matthieu Grimpret est essayiste, professeur d'histoire. Vient de faire paraître Dieu est dans l'isoloir, – Politique et religions, des retrouvailles que Marianne n'avait pas prévues, Presses de la renaissance, janvier 2007, 268 p., 18 €
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