Source [Pierre de Lauzun pour Le Figaro] Manichéisme et sortie de crise : où sont nos vrais problèmes ?
Avec la crise du coronavirus, la société et l’économie subissent un choc violent. Beaucoup espèrent que ce sera l’occasion d’un choc salutaire ; et effectivement ce serait indispensable. Encore faudrait-il ne pas succomber aux sirènes du manichéisme.
À côté des tenants du «système» tel qu’il fonctionne actuellement, et qui espèrent au plus vite que tout revienne au plus tôt comme avant, il y a en effet les amateurs de solutions simples. Un des schémas favoris de nos dialecticiens en herbe, c’est l’opposition entre un bloc liant le mondialisme, la finance, la spéculation, le capitalisme, la désindustrialisation, les marchés et la surconsommation, qui s’opposerait à un bloc vertueux mêlant l’État, le service public , la protection sociale et la solidarité. Il y a beaucoup de vrai là-dedans, mais aussi beaucoup de naïveté, de simplisme, et même de franches erreurs. Rappelons quelques faits simples.
La crise actuelle n’a rien à voir directement ni avec la finance ni avec la spéculation.
D’abord, la crise actuelle n’a rien à voir directement ni avec la finance ni avec la spéculation. Ce n’est pas 2008. Elle n’est même pas d’origine économique. Bien sûr, elle a mis en évidence les terribles méfaits de la mondialisation commerciale et industrielle avec son culte des flux tendus et des délocalisations et ses concentrations de production en Chine, qui nous laissent terriblement démunis. Mais si la finance y a contribué, cela se serait fait tout autant sans elle. Parce que les entreprises intéressées et les consommateurs y ont beaucoup gagné ; parce que l’idéologie mondialiste était partout, à commencer par les traités européens ; parce que l’on a remisé l’indépendance nationale aux oubliettes. On dira que la finance a à voir avec la terrible fragilité de notre système, du fait de son endettement démentiel. Et on aura raison. Sauf que, pour s’endetter, il faut le vouloir. Ce ne sont pas les marchés financiers qui obligent les États à s’endetter, c’est leur incapacité à contrôler leurs déficits, donc à choisir politiquement. Sans compter que le surendettement mondial résulte largement de la politique monétaire et budgétaire.
Ensuite on dit que si nous sommes sous-équipés sur le plan médical, notamment dans nos hôpitaux, c’est la faute de l’austérité, des marchés, ou de Bruxelles. Là encore, ce n’est pas sérieux de la part d’un pays dont les pouvoirs publics canalisent 56 % du PNB. Il est donc évident que ce n’est pas la dépense qui manque chez nous ; mais qu’elle est mal utilisée, voire très mal. On parle de démantèlement du service public, ce qui veut dire qu’on pense qu’avant, cela allait mieux. Mais justement, avant, la dépense publique était plus faible qu’aujourd’hui. Comment faisait-on ? Comment fait la Corée qui se tire mieux que nous de la crise alors que ses dépenses de santé rapportées au PNB représentent la moitié des nôtres ? Comment se fait-il qu’on n’ait pas investi massivement en masques et tests, qui ne coûtent pas cher ?
Un point central commun : nous sommes mal gérés. Pas par ce seul gouvernement, mais depuis longtemps. Parce que la décision est bureaucratique et corporatiste, qu’elle gère la contrainte budgétaire selon la résistance aux économies et non selon les vraies priorités, parce qu’elle est incapable d’investir sur l’avenir, parce que pour elle la précaution c’est de bloquer ce qui est nouveau, et non pas prendre ses précautions pour l’avenir.
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