La CEDH impose à l’Italie l’obligation positive d’instituer le partenariat civil pour les couples de même sexe. Le pas suivant sera la reconnaissance du « droit » au mariage, par voie judiciaire. Avec la complicité des juridictions nationales…
Le 21 juillet 2015, la Deuxième Section de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu à l’unanimité une violation du droit à la vie privée et familiale (article 8 de la Convention) dans l’affaire Oliari et autres c. Italie (nos 18766/11 et 36030/11), concernant la légalisation des partenariats civils et/ou du mariage pour les couples de même sexe en Italie.
Le droit au partenariat civil et le « dialogue entre les juges »
La Deuxième Section a imposé une obligation positive découlant de la Convention d’instituer le partenariat civil (§§ 164 et 185) :
"« En conclusion, en l'absence d'un intérêt de la communauté mis en avant par le gouvernement italien, contre lequel seraient mis en balance les intérêts considérables des requérants indiqués ci-dessus, et à la lumière des conclusions des juridictions internes sur la question qui est restée lettre morte, la Cour estime que le gouvernement italien a outrepassé sa marge d'appréciation et manqué à son obligation positive de veiller à ce que les requérants disposent d'un cadre juridique spécifique prévoyant la reconnaissance et la protection de leurs unions de même sexe » (§ 185) [1].
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L’affaire Oliari et autres c. Italie concerne trois couples homosexuels qui voulaient se marier ou conclure un partenariat civil en Italie, mais qui se sont heurtés au refus des autorités italiennes. En dernière instance, la Cour constitutionnelle italienne a reconnu que la famille et le mariage ne peuvent pas être interprétés de manière à vider de sens ces notions : le mariage est seulement entre un homme et une femme et pour fonder une famille. Elle a jugé que les requérants n’étaient pas discriminés, car « les unions homosexuelles ne peuvent pas être considérées homogènes avec le mariage ».
Néanmoins, la Cour constitutionnelle avait statué que le couple homosexuel jouit de « la vie privée », qui est « le droit d’exprimer sa personnalité dans un couple en obtenant — dans le temps et par les moyens prévus par la loi — une reconnaissance judiciaire des droits et des devoirs pertinents. Toutefois, cette reconnaissance pourrait être atteinte par d'autres moyens que l'institution du mariage entre homosexuels ».
La confusion « vie privée » et « vie familiale »
La décision de la Cour constitutionnelle était adoptée le 15 avril 2010, deux mois avant le jugement de la CEDH dans l’affaire Schalk et Kopf c. Autriche, le 24 juin 2010. Dans ce dernier, la CEDH a statué que les couples stables de même sexe peuvent jouir de « la vie familiale » de la même manière que les couples de sexe différent :
"« La Cour considère qu’il est artificiel de continuer à considérer que, au contraire d’un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne saurait connaître une “vie familiale” aux fins de l’article 8. En conséquence, la relation qu’entretiennent les requérants, un couple homosexuel cohabitant de fait de manière stable, relève de la notion de “vie familiale” au même titre que celle d’un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation [2]. »
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Dans une autre affaire, Orlandi et autres c. Italie (no 26431/2012), actuellement pendante devant la CEDH, les requérants — six couples d’homosexuels et lesbiennes italiens[3] qui ont pratiqué le « tourisme matrimonial » à l’étranger [4] — ont cherché à obtenir de la part des autorités italiennes la transcription de leur mariage. La Cour de cassation italienne, par une décision du 15 mars 2012, deux ans après l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche de la CEDH, a statué que le mariage contracté à l’étranger existe et qu’il est valide, mais qu’il ne peut pas être reconnu et enregistré en Italie, car il ne peut pas produire d’effets juridiques. Néanmoins,
La Cour de Cassation a jugé que si les couples de même sexe jouissent d’une « vie familiale » comme tout autre couple[5], ils ont le droit au même traitement que les couples mariés en Italie : « Dans l'exercice du droit de vivre librement leur statut inviolable de couple, ils pourraient intenter des actions devant les tribunaux pour réclamer, dans des situations particulières liées à leurs droits fondamentaux, un traitement uniforme comme celui conféré par la loi aux couples mariés. » En d’autres termes, ils doivent jouir des mêmes droits que les couples mariés en Italie. Cela signifie qu’ils peuvent jouir des effets de leur mariage conclu à l’étranger, mais sans avoir le statut des personnes mariées en Italie.
En revenant au raisonnement dans l’affaire Oliari et autres c. Italie, il faut noter que la CEDH s’est appuyé sur le raisonnement de ces deux hautes Cours qui dans ces affaires ont reconnu que les couples de même sexe jouissent de « la vie privée » et de « la vie familiale ». Par conséquent, la CEDH a conclu qu’ils doivent jouir d’un statut légal :
"« La Cour note qu’en Italie la nécessité de reconnaître et de protéger ces relations a reçu une grande visibilité de la part des plus hautes autorités judiciaires, y compris de la part de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation. Il est fait référence notamment à l'arrêt de la Cour constitutionnelle n. 138/10 dans le cas des deux premiers requérants, dont les conclusions ont été réitérées dans une série d'arrêts ultérieurs dans les années suivantes. Dans de tels cas, la Cour constitutionnelle, notamment et à plusieurs reprises a appelé à une reconnaissance juridique des droits et devoirs des unions homosexuelles, une mesure qui ne pourrait être mise en pratique que par le Parlement » (§ 180) [6].
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Vers l’abus de droit
À la suite de ce jugement de la CEDH, l’issue dans l’affaire Orlandi et autres c. Italie concernant la transcription d’un mariage conclu à l’étranger est prévisible (sauf si, entre temps, les plus hautes juridictions italiennes vont changer leur jurisprudence en la matière). Ainsi, une fois que le droit des couples de même sexe de réclamer et d’avoir le même traitement que les couples mariés en Italie est reconnu, l’étape suivante sera de leur conférer le statut du mariage, car les mêmes droits requièrent le même statut. Ainsi, le lobby LGBT va obtenir, en deux étapes, la légalisation du mariage entre personnes de même sexe avec l’aide de la CEDH. Or cela c’est un abus de droit, car ils font appel au droit au mariage pour un autre but que celui de fonder une famille, à savoir, celui d’obliger le Parlement italien à conférer des droits/un statut légal aux couples de même sexe.
Comme nous pouvons le voir dans ces affaires italiennes, tous ces résultats étaient possibles non seulement grâce aux manipulations du lobby LGBT, qui d’habitude, pour obtenir des droits, crée des situations factuelles illégales dans un certain pays pour pousser ce dernier par la suite à adopter une législation conforme à ces revendications. Cela était également possible à cause du « dialogue entre les juges » de la CEDH et des cours nationales, car elles s’influencent lors de la création de leur jurisprudence. Il faut noter que ce dialogue est un instrument pour la CEDH pour forcer les États à appliquer sa jurisprudence au niveau national plutôt par la voie judiciaire que par celle du politique.
C’est la raison pour laquelle, il est d’une importance capitale d’avoir un œil sur les travaux des autorités nationales et de défendre le mariage et la famille au niveau national, en constitutionalisant le mariage entre un homme et une femme et en s’assurant que la Cour Constitutionnelle et le Parlement n’adoptent pas de telles décisions et lois idéologiques.
En revenant à l’arrêt Oliari et autres c. Italie, il est étrange que le gouvernement italien n’a pas invoqué dans sa défense la protection « du concept traditionnel du mariage, ou les mœurs de la société » (§ 176).
Il est aussi intriguant d’entendre la Cour affirmer, après les nombreuses manifestations de La Manif pour tous-Italie, que les Italiens sont en faveur de la légalisation du partenariat civil pour les couples de même sexe (§ 181).
En tout état de cause, ce jugement est antidémocratique, car il appartient au Parlement de décider d’une telle question et non pas à la CEDH de faire pression sur l’Italie de le faire, même si les plus hautes juridictions ont décidé que les couples de même sexe ont besoin d’une reconnaissance judiciaire de leurs droits et devoirs pertinents.
Le droit au mariage
Examinant le grief des requérants relatif au prétendu droit au mariage des couples de même sexe (article 12 de la Convention — le droit de se marier et de fonder une famille), la CEDH l’a rejeté (§§ 191-194). La CEDH ne pouvait pas procéder autrement, car elle ne peut pas obliger directement les États à légaliser le mariage entre personnes de même sexe : « L’article 12 n’impose pas aux États contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels, l’article 14 combiné avec l’article 8, dont le but et la portée sont plus généraux, ne sauraient être compris comme imposant une telle obligation [7] ».
L’article 12 de la Convention, ainsi que l’article 9 de la Charte européenne des droits fondamentaux, ne le permet pas. Les deux articles garantissent et protègent le droit au mariage et de fonder une famille tel qu’il est définit par la loi nationale : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit » (article 12 de la Convention) ; « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » (article 9 de la Charte). Ainsi, les États sont libres de définir le mariage. Néanmoins, une fois qu’ils ont défini le mariage comme incluant également l’union entre personnes de même sexe, ce « mariage » sera également protégé par la Convention, de la même manière que le mariage entre un homme et une femme.
Comme nous pouvons observer, si la CEDH ne peut pas obliger les États à légaliser le mariage entre personnes de même sexe de manière directe, elle peut de manière substantielle contribuer à cela en considérant que les couples de même sexe se trouvent dans la même situation que les couples de sexe différent et en redéfinissant la notion de « vie familiale » en y incluant les couples de même sexe et en la réduisant de cette manière à une « vie privée » [8].
Ainsi, s’agissant des pays qui n’ont pas encore légalisé ces revendications, lors de la défense du mariage et de la famille contre les revendications du lobby LGBT, il doit toujours être rappelé, au niveau national ou européen que :
- Les couples de même sexe se trouvent objectivement dans une situation différente que les couples de sexe différent du point de vue du droit de la famille et par conséquent, il n’y a aucune discrimination en ce qui les concerne ;
- La situation des couples de même sexe relève de la « vie privée » et non pas de la « vie familiale » ;
- Le mariage est toujours un moyen pour fonder une famille, c’est la raison pour laquelle seulement un homme et une femme peuvent se marier ensemble ;
- Le mariage est une institution, elle sert le bien commun de la société ;
- Légaliser le partenariat civil ou le mariage entre personnes de même sexe doit se justifier par un intérêt public ;
- Il n’y a aucun besoin pour la société d’instituer le partenariat civil. Les personnes de même sexe peuvent toujours conclure des contrats civils afin d’organiser leur vie en commun ;
- Conférer les mêmes droits à tous les couples et légaliser le partenariat civil va mener à la légalisation du mariage entre personnes de même sexe ;
- Légaliser le partenariat civil/mariage entre personnes de même sexe va mener à la violation des droits et libertés des autres, notamment ceux des enfants.
Andreea Popescu est avocate (Roumanie). Ancienne juriste à la CEDH, elle collabore à l’ECLJ (Strasbourg).
Photo : Le 18 octobre 2014, le maire de Rome enfreignait la loi en enregistrant 16 « mariages » gay conclus à l’étranger.
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[1] Le texte original : “In conclusion, in the absence of a prevailing community interest being put forward by the Italian Government, against which to balance the applicants’ momentous interests as identified above, and in the light of domestic courts’ conclusions on the matter which remained unheeded, the Court finds that the Italian Government have overstepped their margin of appreciation and failed to fulfil their positive obligation to ensure that the applicants have available a specific legal framework providing for the recognition and protection of their same-sex unions” (§ 185).
[2] Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, arrêt du 24 juin 2010, §§ 93-95.
[3] A l’exception d’un requérant qui est de nationalité canadienne.
[4] Au Canada, en Californie aux États-Unis, aux Pays-Bas.
[5] L’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche.
[6] Le texte original : “The Court notes that in Italy the need to recognise and protect such relationships has been given a high profile by the highest judicial authorities, including the Constitutional Court and the Court of Cassation. Reference is made particularly to the judgment of the Constitutional Court no. 138/10 in the first two applicants’ case, the findings of which were reiterated in a series of subsequent judgments in the following years. In such cases, the Constitutional Court, notably and repeatedly called for a juridical recognition of the relevant rights and duties of homosexual unions, a measure which could only be put in place by Parliament” (§ 180).
[7] Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, arrêt du 24 juin 2010, § 101.
[8] Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, arrêt du 24 juin 2010, §§ 93-95.