En adoptant une résolution sur les droits civils des personnes transgenres, pratiquement sans contrainte, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe prépare le terrain à de nouveaux droits, au nom de l’autodétermination sans limite. Ce pourra être demain, par exemple, celui de la gestation pour autrui.
LE 22 AVRIL 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a adopté la Résolution 2048(2015) La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe, préparé par le rapporteur Deborah Schembri (socialiste, Malte).
Une manoeuvre stratégique
Le but de cette résolution est triple. Premièrement, elle vise à continuer et à compléter le travail antérieur du Conseil de l’Europe sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en tant que motif interdit de discrimination, à savoir la Résolution 1728 (2010) et la Recommandation 2021 (2013) de l’APCE ainsi que la Recommandation (2010)5 du Comité des ministres (2010)5, créant un droit à l’identité de genre.
Deuxièmement, elle obtient pour les activistes transgenre ce qu’ils n’ont pas réussi à acquérir de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à travers leurs litiges stratégiques : l’abolition des conditions requises pour obtenir la reconnaissance juridique du nouveau genre (question posée dans l’affaire Y.Y. c. Turquie, n. 14793/08, arrêt du 10 mars 2015) et l’obligation de ne pas dissoudre ou transformer en partenariat civil un mariage existant afin de reconnaître juridiquement le nouveau genre (cf. affaire Hämäläinen c. Finlande, n. 37359/09, arrêt du 16 juillet 2014).
Faire pression sur la CEDH
Troisièmement, cette résolution a réalisé davantage. Bien qu’elle ne soit pas contraignante, mais consultative pour les États membres, elle servira comme preuve d’un consensus émergeant en Europe sur ces questions et elle sera utilisée par le CEDH pour établir de nouvelles obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme lors de l’examen des affaires pendantes concernant le transsexualisme.
Actuellement, il y a quatre affaires pendantes devant la CEDH qui peuvent tirer parti de cette résolution : D.C. c. Turquie concernant le refus des autorités de couvrir les frais du requérant liées à sa conversion sexuelle et les affaires récemment communiquées Garçon c. France, Nicot c. France et A.P. c. France concernant le refus des autorités de modifier la mention du sexe du requérant sur son acte de naissance au motif qu’il n’avait pas établi le caractère irréversible de la transformation de son apparence. En outre, cette résolution sera certainement utilisée au niveau national pour forcer les États membres d’adopter une législation conforme.
Plus concrètement, la Résolution 2048 (2015) a traité très brièvement de la discrimination des personnes transgenres en matière d’accès à l’emploi, d’accès au logement, à la justice et aux soins de santé (§ 6.1.5.).
Troisième genre
Au contraire, elle s’est occupée largement des questions controversées qui ne font pas consensus en Europe et qui dépassent la compétence de l’APCE. Premièrement, elle a créé un droit à l’identité de genre pour tous, y compris pour les enfants et indépendamment de l’âge et de l’état de santé, basé sur le principe de l’autodétermination (§ 6.2.1 et 6.2.2). Ainsi, sur simple demande et sans limite de temps, toute personne doit avoir accès à des procédures pour obtenir la reconnaissance juridique du genre et de changer de nom et genre sur son certificat de naissance et ses documents d’identité (§ 6.2.1.). Il est demandé aux États membres de ne pas imposer de conditions particulières, telles que la stérilisation, le traitement médical obligatoire ou le diagnostic médical (§ 6.2.2.).
Deuxièmement, elle a abordé des questions liées au droit de la famille, à l’état civil, aux assurances et à la classification des maladies (§§ 6.2 et 6.3). Ainsi, les États membres sont appelés à ne pas dissoudre ou transformer en partenariat civil un mariage existant après un changement de genre (§ 6.2.3.), à inclure l’option d’un troisième genre dans les papiers d’identité des personnes qui le souhaitent (§ 6.2.4.) et à garantir le remboursement des traitements hormonaux, des intervention chirurgicales et le soutien psychologique par le régime public d’assurance maladie (§ 6.3.1.). La résolution demande la suppression du transsexualisme de la classification nationale et internationale des maladies (§ 6.3.3.).
Absence de consensus et de compétence
Néanmoins, neuf parlementaires[1] ont introduit 12 amendements, que M. Valeriu Ghiletchi (Moldavie) a été le seul à défendre courageusement. En proposant un texte conforme aux normes internationales et à la jurisprudence de la CEDH, il a attiré l’attention sur les questions suivantes :
1. L’absence de l’existence d’un consensus émergent en Europe sur l’existence d’un droit à l’identité de genre basé sur l’autodétermination, car seulement 3 des 47 pays membres du Conseil de l’Europe (Danemark, Irlande et Malte) ont aboli les conditions de stérilisation et de traitement médical obligatoire. En outre, comme l’a affirmé la CEDH récemment, les États membres, en vertu de la large marge d’appréciation dont ils jouissent dans ce domaine, restent libres de soumettre la reconnaissance juridique du genre à certaines conditions (voir Y.Y. c. Turquie, arrêt du 10 mars 2015, n° 14793/08, § 106).
2. Le danger de créer un droit à l’identité de genre pour tous, y compris pour les enfants, indépendamment de l’âge et de l’état de santé de la personne, basé sur le principe de l’autodétermination. Le parlementaire a expliqué que les enfants ne doivent pas avoir accès à ces procédures, compte tenu de leur immaturité physique et psychologique et des conséquences que ce changement peut avoir sur leur santé et leur développement (voir la Convention de l’ONU sur les droit de l’enfant, particulièrement le 9e considérant du Préambule). Il a soutenu que l’âge et l’état de santé d’une personne sont des facteurs importants pour décider si une personne doit avoir accès à une procédure de changement de genre, nom et d’obtenir la reconnaissance juridique du genre. Il a proposé que dans ces cas, l’accès de certains adultes doit être analysé au cas par cas (voir Schlumpf c. Suisse, arrêt du 8 janvier 2009, § 115). Par ailleurs, il a souligné que cette disposition peut créer un droit individuel de choisir son sexe légal autant de fois que souhaité par la personne et à n’importe quel âge de la personne.
3. L’absence de compétence de l’APCE de demander aux États membres de permettre la continuation du mariage après le changement de sexe d’un des époux, car cela obligera les États de manière indirecte de reconnaitre le mariage entre personnes de même sexe, bien que la CEDH a clairement affirmé récemment qu’il n’y a aucune obligation des États membres, ni sous l’angle de l’article 8, ni sous l’angle de l’article 12 de la Convention de permettre le mariage entre personnes de même sexe ou de leur offrir un autre statut juridique (voir Hämäläinen c. Finlande, no. 37359/09, arrêt du 16 juillet 2014, § 71 et 96).
Concernant cette question, M. Ghiletchi a proposé l’introduction du principe selon lequel dans toute décision concernant les enfants, leur intérêt supérieur doit prévaloir sur tout autre droit et intérêt (voir Neulinger et Shuruk c. Suisse, arrêt du 6 juillet 2010, § 136 et 137, P. V. c. Espagne, arrêt du 30 novembre 2010 et l’article 3 § 1 de la Convention de l’ONU sur les droit de l’enfant). Cet amendement était adopté par la majorité présente de l’APCE, mais en adoptant la formulation de la Convention de l’ONU sur les droit de l’enfant.
4. L’absence d’un droit de bénéficier du remboursement de tout traitement par le régime public d’assurance maladie, car les États membres sont libres d’établir certaines conditions pour le remboursement de certains traitements. Ces conditions ne doivent pas être arbitraires.
5. L’absence de compétence de l’APCE de décider sur la suppression du transsexualisme de la classification nationale et internationale des maladies, car la classification est une question de science et non pas de politique.
La mobilisation socialiste
Malgré ces points problématiques, la résolution a obtenu 68 votes pour (37 socialistes, 16 parti populaire, 6 libéraux…), 23 contre (14 Parti populaire, 3 socialistes, 1 libéral…) et 12 abstentions. Ce « succès » a été possible grâce à la mobilisation des socialistes à l’APCE et au soutien actif de Mme Helena Dalli, ministre du Dialogue social de Malte qui ouvert le débat et de Mme Anne Brasseur, présidente de l’APCE, bien que cette dernière doive rester neutre pendant le débat avant le vote.
Même si seulement 103 députés ont exprimé leur vote sur la résolution, ce qui représente moins de la moitié des 318 membres de l’APCE, elle permettra de toute façon de donner des orientations dans ce domaine au Comité des ministres, aux gouvernements, aux parlements et aux partis politiques nationaux, ainsi qu’aux autres acteurs de la société.
Andreea Popescu est avocate roumaine, ancienne juriste à la CEDH, collabore à l’ECLJ (Strasbourg).
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[1] M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC ; M. Ben-Oni ARDELEAN, Roumanie, PPE/DC ; M. Zsolt CSENGER-ZALÁN, Hongrie, PPE/DC ; Mme Aleksandra DJUROVIĆ, Serbie, PPE/DC ; Mme Rózsa HOFFMANN, Hongrie, PPE/DC ; M. Zsolt NÉMETH, Hongrie, PPE/DC ; M. Aleksandar NIKOLOSKI, ''L'ex-République yougoslave de Macédoine'', PPE/DC ; M. Cezar Florin PREDA, Roumanie, PPE/DC ; M. Egidijus VAREIKIS, Lituanie, PPE/DC***