Nos coups de coeur
Titre : Avec Freud au quotidien,
Auteur : Philippe Grimbert
Editions : Grasset
Nombre de pages : 317
Prix : 18 €
Animé de la sérénité du juste, le psychanalyste Philippe Grimbert nous semble indiquer qu’il a conscience de construire une œuvre. Propulsé par Grasset – un éditeur doit se concevoir comme une fusée mettant un ouvrage en orbite, ledit livre étant destiné à son tour à devenir une nouvelle planète, tout, toutes les passions, toutes les interrogations devant alors tourner autour -, pareille ambition se détecte en premier lieu dans la forme : tant dans ses romans que dans ses essais, par l’emploi des italiques, par l’ouverture de très longues (paren)thèses, il se met en scène. Précisément est-ce un semblant d’inconscient qu’il s’amuse à faire parler.
Un garçon singulier nous promène sur la côte normande, entre été et automne, du côte (ne nous dit-on pas) de Saint Aubin et de Luc sur Mer. Pas plus ne nous dit-on que Iannis, le personnage principal, est autiste. Psychanalyste du divan, psychanalyste du dimanche. Grimbert s’extrait de ce schéma. Il met la main à la pâte humaine, se coletine avec les excréments, nous en jette plein le nez du résidu imagé mais guère imaginaire de bien de nos angoisses sentimentalo-libidinales. Il s’incarne ici en une sorte de jeune homme au pair, de garde-malade qui fera ses premières armes avec la vie, la vraie vie, au contact physique de Iannis et de sa mère. On sent percer l’odeur de l’iode vivifiant par-delà le doux malaise qu’instille la recension d’une ambiance relationnelle lourde si bien qu’il a beau évoluer dans le glauque, on dira in fine de ce roman serré comme un cappucino qu’il vous laisse sur votre fin tout en vous nourrissant l’âme.
Notre auteur poursuit la narration de son compagnonnage passionnel avec Maître Freud dans son dernier livre en date composé, comme l’indique son sous-titre, de petits essais psychanalyse appliquée… dans leur forme, leur style aussi, ce qui rend le bouquin tout aussi peu désagréable à lire que ne l’était l’œuvre qui la précède et qui en est, au fond, comme la matière brute, brutale et, pourtant, déjà très polie. Il est plein de bonnes choses ce bouquin, pour l’homme droit plus que pour l’homme sinistre dirions-nous même. Il est à siroter aux beaux jours sous un arbre, à l’heure de l’apéritif ou du digestif. On y voit confirmé que « l’inconscient est réactionnaire » (parce que, par fonction, il en a dans la bouteille et qu’on ne saurait lui faire prendre des vessies pour des lanternes) ou que « la parole est le seul outil de la psychanalyse »… c’est peut-être pour ça qu’on avait lu que, de la psychanalyse, l’oubli était la seule parole ! Mais Sigmund ne donne pas systématiquement la clef de nos projections et lapsus. Grimbert écrit des pages pénétrantes sur les rapports infantiles que le fondateur de la psychanalyse entretenait avec des cigares qui ne seraient pas sans incidences sur le contenu même des découvertes du bel art. Page 108, il frôle la question de l’avortement, laissant comprendre que, pas plus qu’ailleurs, il ne sacrifiera en l’occurrence au ‘‘politiquement correct’’, mais reste sur le seuil… Voici en définitive un livre dont les termes devraient être aussi finement fouillés qu’un discours de Lacan.
On a donc du pain sur Laplanche [1]. A bon entendeur, bien le bonjour chez votre inconscient !
Pourtant, il nous semblait bien avoir déjà planché sur ce roman, il y a un an exactement. Gros travers que ce fichu fouillis où se calfeutrent nos pattes de mouche ! Aussi, malgré tout (ce ‘‘tout’’ ferait bien à soi seul l’objet d’un livre), ne médisons pas trop d’internet. A l’inverse de la presse écrite, il nous permet de ne pas attendre le prochain numéro pour revenir sur ce qui avait été incomplètement dit.
La littérature, c’est la création d’une atmosphère par la grammaire, par l’exhalaison d’odeurs au travers du verbe, du dit – quand ce n’est pas seulement du dicible – qui tient par les mots, un sens qui procède de la rencontre de deux entendements, celui de l’auteur, celui du lecteur. Si ça fonctionne, alors deux intelligences ensemble cheminent le temps d’un livre (et plus si affinités.)
Philippe Grimbert lance sur la scène son éclaireur en la personne d’un jeune homme au pair, impeccable dans sa présentation, étudiant parisien qui ne se sait en quête du trésor englouti de ses enfance et adolescence. Louis, avons-nous dit, est un éclaireur qui s’ignore. L’auteur l’utilise en toute inconscience pour faire comprendre que le personnage créé est un thaumaturge multiforme, presque omniscient, en tous cas présent dans les inconsciences qu’il nettoie page après page. Louis possède donc son double, être éthérique non moins concret, en la personne de Iannis dont Grimbert, à juste titre, n’a pas jugé utile de nous préciser la maladie mentale. Iannis est la douleur de sa mère, autre éclaireuse nimbée ici d’une certaine dureté, d’une certaine disgrâce, comme si l’auteur avait décidé de s’éprouver lui-même en se choisissant, en guise de viatique vers son complet aggiornamento, un guide exigeant propre à le conduire à prendre à bras-le-corps l’ensemble de son passé. Campant toujours sur des images faussement sages, Grimbert brosse en Hélène une mère peu amène, écrivain de livres érotiques dépourvus d’érotisme. Voilà des personnes simples, peu loquaces mais qui, à tous les sens de l’expression, font signe(s). Petit à petit, Louis verra en direct s’accomplir sous ses yeux une œuvre au noir qui transformera le plomb vil de ses souvenirs en l’or de sa maturité. Il y a dans l’enfance puis à l’orée de l’adolescence tout un bonheur qui ne sait trop, au fond, s’il cherche à se voir compris. En toute hypothèse est-ce Iannis qui mène la danse vers la renaissance de son double incarné. Le rôle de la mère, Hélène, semble d’une clarté moins évidente… Une mère peu féminine…à première vue et, en seconde vue, si contraire à l’idéal de notre héros. Pourquoi l’auteur paraît-il sur ce point malmener de manière presque masochiste un jeu qui, pour demeurer subtil, ne rime même pas avec ce que la sensualité peut comporter de trouble et de malsain ? (Ce qui, pour le lecteur se traduit par l’expression : ‘‘rester le fantasme sur sa faim’’).
Voyez-vous, lecture faite, nous ne nous posons plus pareille question. Le paysage – le pays sage – se laisse transporter vers les rives du rêve ; les fissures du barrage s’élargissent, l’auteur cède à la charge impérieuse de ses images : la mer monte et nous revient en mémoire des scènes remarquables de feu Christian Charrière. Quant à Grimbert, il écrivait en introduction de son livre : « cette station balnéaire – là où se situait son psychodrame – reposait sous le sable, cité enfouie dont le nom même appartenait à une langue morte. » Avons-nous maintenant compris ? Voici que cette langue redevient vivante, et les corps avec. Louis et Iannis, comme Théo et Vincent, s’extraient du train (leur ‘‘train de la mort’’) et main dans la main s’élancent à perte de vue vers la vraie vie à travers champs de coquelicots et tournesols. L’inconscient est un langage disait Lacan. Certes. Mais le grand mérite de Philippe Grimbert est de nous le faire oublier. Et de nous enseigner par l’exemple que la langue que parle l’inconscient, lorsqu’elle est bien décrite, nous porte au-delà de ses confins, de Freud à Jung enfin.
Hubert de Champris
[1] Nos bons lecteurs ne suivent pas forcément l’actualité de près. Rappelons donc que Jean Laplanche, récemment décédé, est l’auteur d’un succès de librairie, Vocabulaire de la psychanalyse (PUF) et que, de fil en aiguille, créant son propre système, il a pu être assimilé à un dissident du freudisme.