S’aimer, se donner, tout donner.

« Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » Sainte Thérèse de Lisieux (PN54)

« Puissions-nous tous témoigner de la beauté de la vie humaine de sa conception jusqu’à son terme naturel, oui “l’homme est homme de l’utérus au sépulcre” pour reprendre les mots de Léon Bloy ». Mgr JP Cattenoz, Archevêque émérite d’Avignon 17/01/2014

En ces temps  de désordres et d’errance civilisationnelle, après avoir proclamer la mort de Dieu, les laquais du Nouvel Ordre Mondial qui nous gouvernent – ou en martèlent  la prétention - et nous annihilent  n’ont de cesse de trouver tous les prétextes déclarés ou décrétés  comme certitudes, grandes avancées pour l’humanité, et victoires sociétales  (« Nos valeurs » :  l’avortement ,la dénaturation du mariage, le mariage pour tous ( y compris dernièrement avec un arbre du Retiro de Madrid),la PMA, la GPA, l’euthanasie, les chimères homme-animal comme alternative à l’expérimentation humaine, le transhumanisme,  le transsexualisme, le climat ,  l’écologisme , le wokisme , … ) pour déconstruire l’homme, l’abolir  et ériger multitude de chimères en veaux d’or.

C’est pourquoi, avant que les censeurs de la pensée, les chantres du vagabondage sexuel et du dictat de la braguette qui sévissent y compris dans nos écoles ne s’en prennent à ma liberté d’expression et ne me bâillonnent, permettez-moi de recentrer l’inaliénabilité de la vie sur l’amour et la fidélité.

 Parmi toutes les aspirations humaines, il n’en existe pas de plus noble que celle d’aimer et d’être aimé. Une vie sans amour est une vie sans substance et sans boussole, condamnée à la stérilité et la désespérance.

Nombreuses sont les expressions de l’amour humain, de cette nécessité que les personnes ont d’être liées entre elles, de vivre les unes par et pour les autres, de trouver cette communion qui rétablit l’harmonie de tout ce qui est créé. Lope de Vega dans un sonnet célèbre, réussit à décrire ce cataclysme intérieur qui se produit en chacun de nous chaque fois que nous nous enamourons. :

« Se pâmer, oser, être enflammé… (…) Ceci est amour ! Qui l’expérimente le sait ».

Mais la force extraordinaire de ce cataclysme que décrit Lope ne garantit pas et nous le savons bien sa durabilité. Cet état d’excitation ou d’ivresse des sens que décrit Lope court le risque de s’évanouir comme une illusion ou chimère quand elle se heurte aux routines de la vie. L’intimité quotidienne soustrait de l’éclat aux qualités de l’être aimé ; et, en même temps, elle fait ressortir ses imperfections et misères. Alors l’amour court le risque de s’abîmer dans l’aridité et l’insatisfaction. Seul l’amant qui sait sortir de soi pour s’offrir à l’autre et se sentir envahi par son destin peut dépasser l’évanouissement de cette illusion première. L’amour qui vit de convoitises nous laisse toujours, en dernier lieu affamés ; l’unique amour qui nous laisse rassasiés est celui qui vit pour se donner.

Il n’échappe à personne que l’amour, pour se maintenir vif, pour ne se point convertir en routine, pour ne pas s’achever en dispute amère, a besoin de purifications parfois déchirantes.

L’amour juvénile, si enthousiaste et brûlant, court très rapidement le risque de se convertir en vulgaire soif d’une félicité superficielle et immédiate, en une divinisation de la sensualité ou en une exaltation de l’égoïsme qui finit par provoquer ennui et dégoût.

L’amour de la maturité peut se convertir en une routine stérilisante, et même dégénérer en un pur formalisme légal qui dissimule une symbiose d’égoïsmes, un compromis artificiel entre deux âmes qui en sont arrivés à être étrangères et fermées l’une pour l’autre. L’amour de la vieillesse, enfin, guetté par les déceptions naturelles et tourments produits par l’abattement ou affaiblissement physique et aussi par les blessures de l’amertume ; cet amour peut s’enfoncer dans la sècheresse et l’insatisfaction.

Dans notre entourage, se multiplient les amours brisés ; mais nous connaissons aussi des hommes et des femmes qui ont su s’aimer toute leur vie et faire de leur amour une réalité joyeuse et féconde ; des hommes et des femmes qui nous montrent que l’amour qui vainc tous les écueils est celui qui vit pour se donner, d’abord avec enthousiasme juvénile, ensuite avec l’abnégation de la maturité, et enfin avec la joie généreuse qui surmonte les dommages de l’âge.

On ne sait plus être fidèle parce qu’on ne sait plus se sacrifier. Tant d’hommes n’aiment que pour leur joie immédiate... Ils se condamnent ainsi à ne connaître que l’apparence de l’objet aimé, et dès que cette apparence les déçoit, à la quitter pour une autre apparence, et cela sans fin. C’est ce qu’on appelle le vagabondage affectif et sexuel. Faire le tour de tout et n’aller au centre de rien, ne serait-ce pas là ce que certains appellent plénitude et liberté ? Il est tellement plus facile de courir que de creuser ! Mais celui qui veut savourer la profondeur d’une créature, celui-là doit savoir pâtir pour cette créature ; son amour doit surmonter les déceptions, surmonter l’habitude plus que cela, il doit se nourrir des déceptions et de l’habitude. L’amour humain a ses aridités et ses nuits ; lui aussi ne trouve son centre définitif que derrière l’épreuve pâtie et vaincue. Mais, parvenu là, il goûte à la richesse, à la pureté éternelle de la créature pour laquelle il s’est immolé. Car si la créature est terriblement bornée en surface, elle est infinie en profondeur. Elle est profonde jusqu’à Dieu. Les poètes ont toujours chanté cette saisie amoureuse de l’éternel à travers l’être éphémère :

Toi qui passes, toi qui t’effrites,
Je t’ai cherchée par-delà les jours et les nues,
Sur les plages invariables de la volonté éternelle...
Je suis descendu dans tes entrailles
Plus loin que les battements de ton cœur,
Plus bas que la source de tes serments,
Jusqu’au centre solennel où ta vie se noue à la Vie,
jusqu’au frémissement irrévocable,
Jusqu’à la palpitation créatrice de Dieu !
- J’aime ton âme !

« Les humbles réalités de la vie quotidienne, le cortège des petits devoirs et des petites douleurs ne doivent pas altérer la pureté de l’amour nuptial. L’idéal vrai tire une nouvelle sève de ces petites choses. Le réalisme de la vie conjugale a pour fonction, non de profaner ou de tarir l’idéal premier des époux, mais de purger cet idéal des illusions qui s’y mêlaient et de ne retenir de lui que son essence supérieure. Dans l’âme des époux dignes de ce nom, l’union de l’amour le plus haut et des nécessités les plus matérielles, crée une sorte de réalisme de l’idéal, si je puis dire, qui ne peut exister nulle part ailleurs à ce degré » écrivait Gustave Thibon.

Sentir l’être sacré frémir dans l’être cher, ainsi Victor Hugo définit magnifiquement le grand amour. A ce degré, l’être aimé est vraiment irremplaçable : donné par Dieu, il est unique comme Dieu ; un mystère inépuisable habite en lui. Les vrais époux conservent éternellement des âmes de fiancés ; la possession approfondit pour eux la virginité. Plus ils sont l’un à l’autre, plus ils ont faim d’être l’un à l’autre. Il est une manière sacrée de posséder les choses qui, au lieu de tuer le désir, comme dans la satisfaction charnelle, l’exalte et le transfigure. Celui qui boira de cette eau aura encore soif... Comment l’amour des époux pourrait-il tarir, puisqu’ils ont été créés et unis pour se donner Dieu l’un à l’autre La vie à deux s’épanouit et s’infinitise dans une prière unique.

L’amour doit reposer sur quatre piliers : Passion, amitié, sacrifice et prière.

Passion, car on ne peut concevoir un amour humain sans une attraction sexuelle réciproque, assumée, couronnée et surpassée par l’esprit. Mais pour que l’amour soit durable il exige une communion beaucoup plus profonde qui ne se s’atteint pas avec la simple passion, il doit exister entre les amants une amitié qui les enseigne à respecter et admirer l’autre, qui les incite à pénétrer dans l’âme l’un de l’autre, qui les emplisse d’une faim jamais comblée, de se connaitre mieux l’un l’autre, et de connaître ensemble l’incessant monde.

Mais un amour seulement est grand et durable dans la mesure où le nourrissent les déceptions et les embuches semées sur son chemin. Méconnaitre ce qu’il y a de positif et fécond dans la douleur est la tare principale de notre génération. L’amour, pour être vraiment grand et durable, a aussi besoin de se nourrir de sacrifices. Il n’y a pas d’amour durable sans sacrifice mutuel, sans effort pour dépasser les déceptions, la monotonie, les égoïsmes respectifs, sans patience pour supporter les misères et imperfections de l’autre. Et enfin, l’amour doit se conjuguer et s’amalgamer avec l’amour éternel ; qui aime vraiment accueille l’être aimé non comme un dieu, mais comme un don de Dieu, mais il ne le sépare jamais de Dieu. Pour aimer un être fini, avec toutes ses misères et imperfections, il est nécessaire de l’aimer comme messager d’une réalité qui le surpasse, d’une plénitude divine.

« Elle regardait en haut, et moi je regardais en elle », écrit Dante en parlant de Béatrice. Là est le secret suprême de l’amour humain ; boire la pureté divine dans les regards, dans l’âme, dans le don d’une créature dans le fruit du sang de l’un au sang de l’autre.

L’amour humain, c’est la soif d’infini appliqué au fini. J’ai aimé les choses du temps d’un amour éternel, et c’est déchirant. Les grands moments de l’amour humain sont appel beaucoup plus que plénitude. C’est pourquoi je sais gré à l’amour de m’avoir sauvé du bonheur.

 

                                                  Thierry Aillet

                              Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon