Source [Le Figaro] Les Français disent ne rien comprendre à la réforme des retraites. Pourtant, en 2017, ils avaient plutôt applaudi le projet d’Emmanuel Macron. Comment est-on passé du consentement bienveillant à l’opposition frontale? Récit des deux ans qui ont vu l’opinion basculer.
C’est l’histoire d’une trouvaille de campagne qui ne va pas tarder à se transformer en boulet pour le président Emmanuel Macron. À l’origine, le projet d’un système de retraite universel provoque l’enthousiasme de l’équipe du jeune prétendant à la fonction suprême. L’idée paraît révolutionnaire: il s’agit de tout remettre à plat, de créer un dispositif par points, d’en finir avec les 42 régimes actuels, de donner des repères simples à comprendre pour tout le monde. Et, au passage, de se différencier de ses concurrents comme François Fillon, qui plaide pour un report de l’âge de départ en retraite à 65 ans
L’entourage du candidat demande à des sondeurs de soumettre la proposition à un panel de Français. Ce qu’on appelle, dans le jargon des professionnels, un «quali». Une étude non publiée destinée à évaluer l’impact de cette mesure dans l’opinion publique.
La piste semble intellectuellement excellente et politiquement « disruptive ». Sa mise en œuvre, en revanche, fait l’objet de bien moins de projections…
Quand arrivent les résultats, c’est l’emballement au QG d’En marche!. Dans leur document de «recommandations», les sondeurs de Kantar Public écrivent: «Ce projet de réforme tel qu’il est présenté par Emmanuel Macron suscite un accueil positif. Il est perçu comme apportant une réelle nouveauté, une alternative aux solutions du passé, permettant de surmonter les blocages d’aujourd’hui. Il est porteur de valeurs qui suscitent l’adhésion: clarté, lisibilité, mais également visibilité (on peut se projeter dans l’avenir), d’égalité à travers l’idée de règles communes, de liberté et de responsabilité (on donne à chacun les moyens de mieux se préparer).» N’en jetez plus! La piste semble intellectuellement excellente et politiquement «disruptive». Sa mise en œuvre, en revanche, fait l’objet de bien moins de projections…
Quelques voix s’élèvent toutefois en interne pour réfléchir aux conséquences concrètes. Qui sont les gagnants, qui sont les perdants? «Il manque encore une analyse sur ce point-là», remarque David Amiel, un pilier de la campagne qui deviendra conseiller à l’Élysée, puis auprès de Benjamin Griveaux dans la course aux municipales parisiennes. «À priori, les grands perdants sont les fonctionnaires et dans une moindre mesure les (cadres du privé, NDLR) plus qualifiés, s’ils ont une retraite ascendante et que leur retraite est désormais calculée sur les euros cotisés tout au long de leur vie et non sur les vingt-cinq dernières années seulement», avance-t-il dans un mail, dévoilé depuis par les «Macron leaks» - cette fuite massive de courriers internes derrière laquelle se profile l’ombre du renseignement russe. Mais le sujet n’a pas le temps d’être creusé, car le sprint final s’annonce.
Mai 2017. Auréolé de sa victoire, Emmanuel Macron compose l’équipe gouvernementale et, tout naturellement, il propose à Jean Pisani-Ferry de s’occuper des retraites, «la mère des réformes», comme le disent les macronistes. C’est lui qui a ficelé son programme. Il a débauché cet économiste à France Stratégie, l’ex-commissariat au Plan, qui a décliné la promesse d’une réforme systémique des retraites dans le projet présidentiel. Une vieille idée de la CFDT, inspirée des économistes de gauche Antoine Bozio et Thomas Piketty et de leur ouvrage publié en 2008, Pour un nouveau système de retraite. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de noter que l’un des co-auteurs est devenu le principal porte-voix des anti-réformes. L’essayiste à succès Thomas Piketty n’a de cesse de dénoncer l’«arnaque» qui se profile.
Coup dur: Jean Pisani-Ferry refuse l’offre d’Emmanuel Macron. Un peu par orgueil, beaucoup par dépit. «Il voulait être rattaché directement au premier ministre et pas à Agnès Buzyn, la ministre de la Santé et des Solidarités», rappelle un observateur. «Il souhaitait rendre compte directement à Emmanuel Macron, et à personne d’autre», assure un autre acteur du dossier. Seulement voilà: peu emballé par la réforme, Édouard Philippe préfère la déléguer à l’équipe d’Agnès Buzyn.
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