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Pourquoi le parti socialiste n’est plus capable de gouverner ? Parce qu’il n’est plus en contact avec la réalité.

La dernière fois que le parti socialiste a été au pouvoir, de 1997 à 2002, Lionel Jospin, premier ministre sortant, ne put même pas être qualifié pour le second tour. C’est dire l’ampleur du mécontentement que généra cette expérience.

Il est à craindre qu’une nouvelle expérience socialiste ne soit encore plus décevante.

Cela tient à l’évolution du parti socialiste français, de moins à moins à même de gouverner, cela pour deux raisons.

La première est connue, nous ne nous y attarderons pas ; acceptant la mondialisation et la construction européenne, les socialistes voient leurs marges de manœuvre pour développer un projet social propre, réduites au strict minimum. Au moins sur le plan économique et social, la gauche et la droite présentent de plus en plus des programmes qui se ressemblent. Sarkozy et Hollande sont ainsi à peu près d’accord pour appliquer la règle d’austérité décidée à Bruxelles.

Envahissement idéologique

Mais il est une autre raison, plus profonde, à cette impuissance, c’est la perte de contact des socialistes avec le réel, en raison de l’envahissement idéologique.

Cette évolution explique l’éloignement de la gauche et du peuple. Du temps où le socialisme représentait vraiment un contre-pouvoir populaire, il amenait avec lui, quand il était aux affaires, des avancées sociales qui étaient des réalités, pas des chimères. Les congés payés, les assurances sociales étaient des réalités. Quand Guy Mollet, peut-être le dernier socialiste français authentique, instaure la minimum vieillesse ou prend des mesures décisives pour démocratiser l’enseignement secondaire et supérieur (IPES, bourses), il ne joue pas avec les symboles mais il traite des réalités : vingt ans après, cette démocratisation a considérablement avancé. Les mots lui sont si indifférents qu’il remplace en 1956 « l’allocation de salaire unique », conçue par le régime de Vichy, par une « allocation de la mère au foyer » à l’assise plus large (oui, nous avons bien dit Pétain : salaire unique ; Mollet : mère au foyer, une évolution sémantique impensable aujourd’hui). La mise en place en 1983 de l’allocation parentale d’éducation est sans doute la dernière mesure de cette veine : une mesure utile hors de toute considération idéologique ; elle se trouve aujourd’hui, qui s’en étonnera, contestée par le mouvement féministe qui y voit, à tort, un encouragement au maintien de la mère au foyer.

La valeur des mots

Le mondialisme interdisant tout projet social d’envergure, les socialistes en sont dramatiquement réduits à jouer avec les symboles. Il y a dans les sections socialistes, des mots chargés positivement, d’autres négativement. Plus rien de réfléchi là, seulement des réflexes pavloviens issus d’une idéologie fatiguée. Ou d’un cocktail d’idéologies : un peu d’écologie, du féminisme, de l’antiracisme et peut-être même, qui sait ? encore un peu de social. Ces charges sémantiques sont bien connues des initiés: banlieues : + ; monde rural : -, homosexualité : + ; famille : -, méthodes pédagogiques +, immigration : +, armée : -, police : -, catholicisme : -, islam +, nucléaire : -, nouvelles énergies : +, bio : + ; formation : +, apprentissage : - etc. La valeur de certains mots a changé au cours du temps : la défense des langues régionales était portée au début du XXe siècle par les « Félibriges », proches de l’Action française, l’homosexualité au temps de Proust paraissait l’apanage d’une aristocratie décadente ; ce sont aujourd’hui des « marqueurs » de gauche particulièrement forts ! Le travail fut longtemps la valeur de gauche, la valeur ouvrière par excellence ; dans la gauche bobo qui rêve de la fin du travail, le mot est devenu suspect. La laïcité était à gauche autant qu’il s’agissait de combattre l’Église catholique ; elle vire à droite dès lors qu’elle veut s’opposer aux prétentions de l’islam.

La combinatoire des symboles 

Quelles peuvent être les réalités derrière ces mots ? Cela n’a aucune importance. Savoir si les méthodes pédagogiques dites modernes, promues par Philippe Meirieu, sont efficaces pour élever le niveau des élèves n’est pas une question : être pour ces méthodes, c’est être de gauche, contre, de droite. Savoir s’il est bon ou mal pour le pays que la population soit plus ou moins dispersée n’est pas en cause : être pour le rural, c’est être pétainiste, et cela parce qu’un porte-plume de génie, issu de la gauche, Emmanuel Berl, mit dans la bouche du vieux maréchal que « la terre, elle, ne ment pas ». Est-il vraiment nécessaire de donner le droit de vote aux étrangers ? Peu importe : le mot étranger est connoté positivement. Que représente psychologiquement un avortement pour une femme, cela n’a pas d’importance. Poser la question, c’est déjà être réactionnaire et ainsi de suite.

Il y a longtemps qu’au parti socialiste on a cessé de penser aux problèmes réels. Celui qui maîtrise les mots n’a aucun mal à faire son chemin dans le parti. Dès lors que le programme socialiste est l’œuvre de comités, d’un travail collectif - et dans toute démarche collective, c’est le conformisme qui prévaut -, il n’est pas difficile de deviner ce qui en sortira : une combinatoire de symboles sans rapport avec les vrais problèmes. La dynamique interne du parti socialiste, à coup de motions que ne sépare qu’une scolastique comprise des seuls initiés, ne repose que sur les symboles

Politique idéologique

Cette situation explique le caractère affligeant du programme de François Hollande : que ses arêtes saillantes soient une augmentation, sans doute irréalisable, des postes d’enseignants (un signal plus qu’un vrai projet) , le mariage homosexuel, les emplois-jeunes (association de mots magique, pur produit de communication dont il ne sort généralement rien), la remise en cause du quotient familial – pourtant voté par toute la gauche à la Libération mais déjà écorné en 1981, l’intégration de la charte des langues régionales à la constitution, le droit de vote des immigrés, tout cela n’étonnera personne. Une fois la charge des mots entrée dans la machine, un ordinateur aurait pu bâtir le programme socialiste !

Et malheur aux membres de ce parti qui rompraient avec cette sémantique ! Quand Ségolène Royal (un des rares esprits libres qui y subsiste) proposa d’impliquer l’armée dans les banlieues, elle jouait certes elle aussi sur les symboles : l’armée est symbole de discipline mais tout à fait inadaptée à ce genre de mission ; elle désignait cependant un vrai problème, connu du vrai peuple : il y a bien une question de la sécurité dans les banlieues et c’est largement une affaire de discipline, scolaire pour commencer. Évoquant un vrai problème et utilisant les mauvais mots, elle s’est trouvée assez vite marginalisée par le parti socialiste.

L’empire que les mots ont pris au parti socialiste explique que presque toutes les réformes qu’il a engagées au cours des trente dernières années aient été mauvaises ou aient eu des effets pervers. La vraie politique consiste à résoudre les problèmes réels et, si possible, à ne pas toucher à ce qui marche. La politique idéologique, qui se paye seulement de mots, crée des problèmes là où il n’y en avait pas. Problèmes : les réformes purement idéologiques, comme la volonté de fusionner des communes, l’application de principes absolus comme la médecine gratuite (génératrice d’abus et de frustrations dès lors que les petits salariés n’en bénéficient pas), la concurrence pure et parfaite, y compris dans les services publics, ou la libre circulation des hommes (idées venues de Bruxelles et pas particulièrement socialistes à l’origine, mais où le socialiste Jacques Delors joua un rôle clef), le maintien du tronc commun au collège, demain une euthanasie que l’on imposera au corps médical pourtant très satisfait du juste équilibre trouvé avec la loi Léonetti.

Que le programme socialiste ne prenne en compte pratiquement aucune des préoccupations profondes des Français, telles que nous les évoquions en commençant, qui s’en étonnerait ?

Le programme de François Hollande montre que, non seulement le parti socialiste ne s’est pas remis en cause depuis sa défaite cuisante de 2002, mais encore que le virus de l’idéologie a fait des progrès en son sein. Irréel, le programme socialiste est aussi inactuel : aucune mesure vraiment nouvelle, tout vient du vieux fonds du parti socialiste.

Ce programme est à mille lieues de s’attaquer à aucun des problèmes de la société française car il se situe dans une autre logique que celle de la politique classique, laquelle vise à résoudre des problèmes réels et non à agiter des chimères. Que cette déconnection du parti socialiste avec le réel le rende incapable de gouverner, les Français le sentent confusément. Et même certains électeurs socialistes !

 

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Photo : © Wikimedia Commons / parti socialiste