Au-delà des idées programmatiques et des grands discours, il n'est pas interdit de s'intéresser aux réalités toutes simples. Familier du monde de la santé, il m'arrive, comme tout un chacun, d'avoir besoin de consulter. Rendez-vous à l'hôpital Ambroise Paré à Paris. Retour d’expérience
Sachant que cet établissement hospitalier était un établissement test pour le déploiement francilien du dossier médical personnel (DMP), je demande à l'infirmière administrative qui me reçoit à l'accueil du Service où j'ai rendez-vous si, elle-même, a cette information.
Comme ce n'est pas la première fois que je me rends dans ce service où je viens pour une visite de routine, je suis dispensé des formalités administratives habituelles. Mais rien n’empêche a priori qu’un dossier médical personnel soit ouvert à mon nom. Bien au contraire, si j'en crois les informations en ma possession.
Je vais très vite déchanter. Devant l'air consterné de mon interlocutrice, je comprends que ma demande est incongrue et que sa priorité du moment n'est pas d'apposer sur ma carte vitale le petit macaron qui indiquerait urbi et orbi que je suis l’heureux bénéficiaire du DMP.
Son problème à elle ce n'est pas d'ouvrir un dossier dans lequel seraient répertoriées toutes les données de santé me concernant, mais le système d’information hospitalier Orbis, prérequis au déploiement dans l'hôpital du DMP, qui ferait défaut.
Le système Orbis doit lui-même en effet être « DMP compatible » selon la terminologie de l'art, autrement dit être en mesure de transmettre une synthèses médicale au DMP. Or, me dit-elle, ledit système à été créé par une société éditrice allemande ; il ne donnerait satisfaction à personne au sein de l'hôpital, ni aux administratifs ni aux professionnels de santé. Dommage, l’AP-HP a prévu de déployer largement ce système une fois qu’il aura fait ses preuves à l’hôpital Ambroise Paré, me déclare-t-elle. Je la quitte pour mon rendez-vous, souhaitant avec elle qu’Orbis évolue dans le bon sens puisque l’ouverture de mon DMP dépend de lui.
Je ne baisse pas les bras pour autant. Profitant honteusement du colloque singulier qui s'ouvre avec le médecin avec qui j’ai rendez-vous, je réitère devant lui ma demande touchant le DMP. Le chef de service cette fois, non seulement accueille ma demande favorablement, mais s'étonne que cela n'arrive pas plus vite tant il y voit d’avantages pour le patient et pour les équipes médicales, ne serait-ce que « tracer les responsabilités de chacun au fil des entretiens et éviter les erreurs ». En un mot, il est dithyrambique.
Je partage d'autant plus son étonnement que je le vois se démener devant moi avec ce qui lui tient lieu de dossier médical personnel : une feuille cartonnée bleue, griffonnée par ses différents confrères au gré des consultations passées et qui, dans le meilleur des cas, me suivra à l'intérieur dudit service, mais pas au-delà, à mes risques et périls. Voilà la triste réalité dont il convient d'urgence de sortir.
On peut bien sûr regretter qu'il y ait à ce jour moins de 100 000 dossiers médicaux personnels ouverts : « près de quinze mois après la "mise en production" du système d’information national DMP, plus de 94.000 Français possèdent un dossier médical personnel et ils devraient être environ 300.000 à la fin de l’année , avec un rythme d'ouverture de 3600 par semaine en moyenne » a indiqué l’agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip santé) à l’occasion de sa seconde conférence annuelle, organisée le 15 mars à Paris.
C'est sans doute techniquement compliqué, on a peut-être préjugé des difficultés de l'exercice, négligé le facteur temps nécessaire à sa bonne appropriation par les différentes parties prenantes, le déploiement du DMP n’en répond pas moins à un besoin réel, tout particulièrement chez les patients même s'il ne fait pas encore, on le verra, l'unanimité des professionnels de santé.
Une chose est certaine, on ne peut pas en même temps et sous le même rapport, comme le prévoit la loi HPST, vouloir assurer la continuité des soins sur l'ensemble du territoire français, faciliter les allers-retours entre la ville et l'hôpital, repenser les relations entre les établissements de soins publics et privés, et ne pas s'atteler, séance tenante, même si c'est difficile, à réunir les conditions effectives de succès du déploiement national du DMP.
Or, sous les coups de boutoir du PS, c'est précisément le contraire qui se produit. À croire qu'en France, torpiller les grands projets d'envergure soit un sport national : alors que les industries du numérique et de la santé, pourtant échaudées par l'échec du DMP première manière, font corps avec des équipes de l’Asip santé en charge du DMP côté ministère (cf le site internet dmp.gouv.fr.) pour surmonter les obstacles inéluctables en pareille entreprise, nous assistons, ébahis, à une offensive contre le projet de la part de Gérard Bapt, député (PS) de la Haute-Garonne.
Dans une lettre ouverte à Nora Berra datée du 9 mars 2012 notre parlementaire règle son compte une bonne fois pour toutes avec le DMP. Il dénonce notamment les conditions de création des DMP comptabilisés par l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip santé) en charge : "Ces résultats ne sont obtenus que par de véritables actions de 'dumping' auprès des hôpitaux, subventions à la clé, comme s’il fallait faire rapidement du chiffre pour sauver le projet". Si l’on voulait torpiller le projet, on ne s'y prendrait pas autrement !
Les syndicats représentatifs des médecins libéraux, s'ils sont moins sévères, affichent un enthousiasme mesuré vis-à-vis du dossier médical personnel. Ils ne sont pas très favorables à son développement pour des raisons par contre plus compréhensibles, du moins plus audibles.
L’un des vices rédhibitoires, selon eux, qui selon le directeur de l‘Asip de santé lui-même expliquerait pour une large part le retard constaté par rapport au plan de marche envisagé au départ, viendrait de la non compatibilité du DMP avec les logiciels de gestion de cabinets médicaux qui ne sont pas tous « DMP compatibles », loin s’en faut.
Gageons que le jour où cette compatibilité sera assurée, le DMP apportera aux médecins une vraie valeur ajoutée qui, loin de prendre sur son temps métier, sera au contraire pour lui un facteur d'enrichissement.
Mais pour l’heure, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), s'estime fondée de remettre en cause les droits du patient sur le contenu de son DMP, de même que le "droit au masquage" qui permet de "rendre inaccessibles à certains professionnels de santé des données présentes dans le DMP".
A en croire son président, "lorsque l’on prend ces patients en urgence et que l’on voit qu’il y a des items cachés, ça nous crée le doute" et, "Si on crée le doute, ce n’est plus la peine d’avoir un DMP".
Le collectif interassociatif sur la santé (Ciss) qui regroupe plus de 30 associations intervenant dans le champ de la santé à partir des approches complémentaires de personnes malades et handicapées, de consommateurs et de familles, observe pour sa part que ce sont souvent les professionnels de santé qui refusent de créer des DMP "pour des raisons plus ou moins fantaisistes".
La représentante du Ciss, Magali Léo, aurait rapporté plusieurs signalements de patients demandeurs de DMP "refroidis par leurs médecins, qui tantôt arguent la méconnaissance, avancent le défaut d’équipement, le manque de temps médical disponible, ou refusent purement et simplement, pour des raisons qui ne sont pas détaillées" (dépêche TIC Santé du 23 mars).
Pour le Ciss, "en deçà d’une certaine masse critique, il a peu de chances de décoller" et "ce sera grâce aux professionnels de santé, en qui les patients ont confiance, que le DMP pourra être peu à peu introduit dans notre système de santé. Lorsque les patients qui en demandent l’ouverture se voient opposer un refus pour des raisons plus ou moins fantaisistes, c’est toute la stratégie de déploiement qui menace de s’effondrer", a-t-elle conclu lors de la 2de conférence annuelle de l’Asip santé.
Nous ne pouvons qu'être d'accord avec la conclusion qui sera la nôtre de Jean-Yves Robin directeur général l’Asip santé : « Le sort du DMP ne serait, selon lui, pas lié au résultat des élections législatives du mois de juin. "C’est un projet de santé publique, d’intérêt général, qui promeut les droits des malades et qui améliore les pratiques professionnelles. C’est cela qui doit garantir la constance de l’action publique, indépendamment de la respiration démocratique de ce pays"
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