Nous reproduisons ci-dessous l’intervention du Professeur Jean Yves Naudet Président de l’Association des économistes catholiques, Vice-président de l’Association internationale pour l’enseignement social-chrétien Membre de l’Académie catholique de France, à l’occasion du 6eme Colloque sur l’actualité de la doctrine sociale de l’Eglise organisée par la Fondation de Service Politique et l’Association des économistes catholiques qui s’est déroulé samedi 11 février à Paris sur le thème : Crise économique, crise politique, crise morale.
Notre rencontre porte un titre qui évoque la triple dimension de la crise : économique, politique, morale. La question de la dette publique est au cœur de cette problématique : c’est une question économique, puisqu’elle porte sur un problème financier et budgétaire ; c’est une question politique, puisqu’elle concerne les déficits cumulés des finances publiques et que le vote du budget est un acte politique ; mais c’est aussi une question morale. Mais pour bien poser une question d’ordre éthique en économie, il faut d’abord comprendre la question économique elle-même : quelle est l’ampleur de la dette publique et d’où vient-elle ?
Une dette publique faramineuse
Ce n’est pas dans l’histoire la première crise des dettes souveraines et certaines ont déjà conduit des Etats à la banqueroute. Mais la crise actuelle est d’une ampleur exceptionnelle par les montants concernés comme par le nombre de pays touchés. Une dette publique vient d’emprunts faits par la puissance publique à l’occasion de déficits budgétaires non couverts pas la création monétaire. Si les dépenses publiques dépassent les recettes (fiscales pour l’essentiel), le déficit doit être comblé par appel à l’épargne et donc par l’emprunt. Si le phénomène se poursuit dans le temps, les emprunts de l’année s’ajoutent aux emprunts non encore remboursés des années précédentes, ce qui donne le total de la dette publique. Celle-ci trouve son origine dans les déficits du budget de l’Etat, mais aussi dans ceux des organismes publics de protection sociale et des collectivités locales.
Le montant exceptionnel de la dette actuelle provient de l’accumulation de trois phénomènes : un déficit durable, structurel des budgets publics (le dernier budget français à l’équilibre remonte à 1974), les politiques keynésiennes de relance de 2009, par hausse des dépenses publiques, face à la récession, qui s’ajoutent aux politiques de relance plus anciennes, comme en France celles de 1975 ou de 1981, et enfin la récession elle-même (qui entraine moins de recettes fiscales à taux d’impôt inchangé, puisque la masse imposable diminue).
La dette publique française au sens de Maastricht est de 1693 milliards d’euros à la fin du second trimestre 2011, soit 86,2% du PIB. Certains éléments n’y figurent pas, comme les retraites des fonctionnaires, que l’Etat devra bien payer, ce qui nous mène au delà de 2000 milliards. Mais restons sur les chiffres officiels. Ceux-ci sont abstraits pour nos compatriotes, mais cela représente une dette publique par habitant de 25 884 euros, soit environ 57 000 euros par ménage (au sens de l’INSEE) ou encore 100 000 euros pour une famille moyenne (deux parents, deux enfants). La comparaison est pertinente, puisque ce sont bien les Français qui devront rembourser. A titre de comparaison, la dette privée des ménages (pour leur logement ou leurs achats à crédit) est de 15 273 euros par personne. La dette publique représente donc presque le double de la dette privée.
La dérive est ancienne, puisqu’en 1978, la dette publique française était encore à 20% du PIB, 36% à la fin des années 80, 60% à la fin des années 90n bien plus de 80% aujourd’hui et la dérive se poursuivra mécaniquement, selon les prévisions officielles, pour se rapprocher cette année des 90% (88,3%). Les contraintes des traités européens (60% du PIB maximum pour la dette, 3% pour le déficit annuel) n’ont pas empêché, ni en France, ni ailleurs, de faire exploser cette limite, qui n’était pourtant qu’une « règle d’or » très atténuée. De telles digues se révèlent bien fragiles en l’absence d’une volonté politique claire.
Les Français n’ont pas toujours conscience d’autres caractéristiques de cette dette. D’abord, le budget est alourdi chaque année du poids de la charge de la dette, ce qui veut dire du seul paiement des intérêts : environ 50 milliards d’euros, presque autant que toutes les recettes de l’impôt sur le revenu ou encore que les dépenses de l’enseignement scolaire : c’est devenu pratiquement le premier poste de dépenses du budget. Cela plombe durablement les finances publiques et souligne aussi l’enjeu du taux d’intérêt auquel on emprunte (d’où les débats autour de la notation des Etats, qui indique le degré de confiance qu’inspireny ceux-ci) : une hausse du taux de l’emprunt, c’est une hausse de la charge de la dette, d’où l’importance des différentiels de taux entre l’Allemagne et les pays les moins solvables. Plus encore que les agences de notations, c’est le différentiel de taux d’intérêt qui traduit l’opinion de marchés, c'est-à-dire des préteurs, sur la solvabilité d’un pays. Quand les taux dépassent 20% comme en Grèce, on comprend que c’est la survie du pays qui est en jeu.
Un autre élément essentiel est l’internationalisation de la dette : la dette française est à plus de 70% détenue par des non-résidents, dont les deux tiers vivent en dehors de l’Union européenne : un pays surendetté est un pays dépendant et une dette excessive détenue par de non résidents implique une perte de souveraineté (ce qui n’est pas le cas de tous les pays : la dette publique japonaise est considérable, mais elle est détenue par des résidents).
Autre question dont nos compatriotes n’ont pas conscience : le remboursement du capital. Pour l’instant, il est impossible, puisque les budgets continuent à être en déficit (même si ceux-ci ont été réduits) : il ne reste rien pour rembourser. Dans ces conditions, lorsque les emprunts arrivent à échéance, l’Etat emprunte à nouveau. Emprunter, pour rembourser les emprunts, dans le secteur privé cela s’appelle de la cavalerie et conduirait un chef d’entreprise devant les tribunaux ; mais les Etats, eux, se le permettent.
C‘est ce qui explique qu’année après année, les besoins de financements publics dépassent largement les déficits de l’année. Ainsi, pour 2012, la France devrait emprunter sur les marchés 178 milliards d’euros, dont environ 78 milliards pour le déficit 2012 (la réalité sera plus élevée avec la récession qui diminue les recettes fiscales, mais restons aux chiffres officiels) et environ 100 milliards d’emprunts pour rembourser les emprunts venant à échéance : il y a là une fuite en avant pathétique. Pour l’ensemble de la zone euro, c’est 811 milliards d’euros qu’il faudra trouver pour la seule année 2012 : Où et auprès de qui ? A quel taux ? Au prix de quels sacrifices ? Tout cela passe le sens commun.
La France n’est qu’un exemple, pas le pire, pas le plus sage non plus, puisque son endettement se situe au dessus de celui de la moyenne de l’union européenne (80%). C’est en Europe et notamment dans la zone euro que la crise des dettes souveraines est la plus aigue. Certes, les Américains ont une dette publique colossale (100% du PIB), mais le dollar reste la monnaie de référence et leur banque centrale monétise largement leur dette (ce qui peut se traduire un jour en inflation) et on vient devoir ce qu’il en était pour le Japon, dont la dette publique atteint 229% du PIB. En Europe, la Grèce en est à 139%, l’Italie à 120%, l’Irlande à 101%, l’Allemagne à 80% (mais avec des perspectives meilleures car son déficit annuel est plus faible qu’ailleurs).
Notons quelques autres pistes de réflexion. D’abord, la dette est essentiellement due en France à l’administration publique centrale (près de 80%), le reste se partageant entre les collectivités locales et la sécurité sociale. La responsabilité politique (gouvernement, parlement) est donc au cœur de la question des dettes publiques. Cet endettement sert avant tout à financer des dépenses de fonctionnement, puisque les dépenses d’investissement ne représentent qu’environ 4% du budget. Sans engager la discussion sur les moyens de réduire la dette, notons que la France détient le record des dépenses publiques par rapport au PIB, soit 56,6% du PIB en 2010. Autrement dit plus de la moitié du PIB passe par des organismes publics ou parapublics (Etat, sécurité sociale, collectivités locales) ; sans vouloir faire de polémique, cela relativise le discours de ceux qui dénoncent la dérive « ultralibérale » de la politique française.
Tout ceci est connu ; les conséquences économiques sont évidentes : la dette pèse sur la croissance, créé un effet d’éviction en détournant l’épargne des investissements productifs, plombe l’avenir, menace l’équilibre financier des préteurs confrontés au risque de non-remboursement, entraine un risque d’inflation si la dette est monétisée, menace la souveraineté du pays, peut provoquer un effet domino quand les pays ont la même monnaie, sans que ces déficits n’aient aucun effet positif sur la croissance. Le mur de la dette est devenu un enjeu majeur, qui paralyse toute initiative et imposera des sacrifices pour sortir de cette impasse. Cette erreur économique est aussi une faute morale.
Une immoralité majeure
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France a publié le 3 octobre 2011 des « éléments de discernement » en vue des élections de 2012. On y trouve des rappels concernant la vie naissante, la famille, l’éducation, la fin de vie, etc. mais « pour aller plus loin », notamment sur les questions économiques, les évêques nous invitent à relire « grandir dans la crise », un texte du Conseil famille et société de mars 2011 ; on y trouve ceci : « La crise couvait depuis longtemps. Elle s’est manifestée d’abord dans le domaine écologique. Puis les crises alimentaire, financière, économique, monétaire et sociale se sont succédées rapidement, révélant une crise bien plus profonde, une crise spirituelle, une crise de sens ».
Monseigneur André Vingt-Trois, lors du discours d’ouverture de l’assemblée de printemps des évêques, pointe un élément plus précis : « L’illusion d’une grande distribution des fonds publics continue de masquer les failles structurelles de notre pays et contribue à prolonger les rêves d’une société de consommation sans rapport réel avec les moyens disponibles, ni dans les foyers, ni dans la société. ». Le cardinal-archevêque de Paris ne met-il pas l’accent sur une question morale centrale, celle du mensonge : persuader que chacun, individuellement ou collectivement, peut vivre au dessus de ses moyens. Le cas de l’Etat est pire, car il ne trouve ses ressources qu’auprès des contribuables. Il y a donc mensonge quand on fait croire que l’Etat peut vivre au dessus de ses moyens, c'est-à-dire de nos moyens, et qu’il lui suffit de fixer ses dépenses sans référence aux recettes, et de trouver ensuite des pseudo-recettes grâce à l’emprunt. Même un Etat n’est pas au dessus de la réalité et nul ne peut vivre éternellement à crédit, pas même lui. La réalité se venge, comme on le voit avec la crise des dettes souveraines. Il y a immoralité à faire croire qu’on peut avoir des dépenses publiques sans rapport avec la capacité contributive du pays.
N’y a-t-il pas aussi une fuite en avant vers le toujours plus, vers l’illusion que l’on peut attendre de la manne publique, donc des autres, de quoi dépenser plus. Ce que les évêques résument par la formule « dans nos sociétés, chacun revendique toujours plus ses droits sans beaucoup s’inquiéter de ses devoirs ». Et l’un des devoirs, c’est de se demander quelle charge on fera peser sur les autres, via la manne publique. Comme celle-ci ne suffit pas à satisfaire toutes les demandes, le recours au déficit et à l’emprunt est la conséquence de cette méconnaissance de nos devoirs. Les politiques, responsables ultimes du bien commun, n’ont-ils pas pour fonction de montrer les limites de ce mécanisme dans lequel chacun croit pouvoir vivre au détriment de tous les autres ? Les évêques nous rappellent que « le mode de vie qui est le notre depuis quelques décennies ne pourra pas être celui de tous les pays du monde, ni même se maintenir perpétuellement tel quel chez nous ».
Lors du discours d’ouverture de l’Assemblée plénière de novembre 2011, le président de la conférence épiscopale française a souligné la gravité de la crise « qui n’est pas simplement », selon lui, « une crise de la gouvernance » ou « une crise de la distribution des revenus ». Parmi les risques, il évoque celui-ci : « laisser croire que nous pouvons indéfiniment continuer de vivre à crédit. En accumulant les déficits et le poids de la dette, qui obère les investissements pour l’avenir, on consommera les chances des jeunes générations et on mettra sur leurs épaules un fardeau insupportable. Même si nous savons que la consommation est un des leviers de la croissance, nous ne pouvons pas continuer à laisser dépendre toute l’activité économique d’une énième relance de cette consommation par l’aggravation de la dette publique ».
L‘archevêque de Paris met l’accent sur l’immoralité principale de la dette publique : celle qui consiste à faire payer aux générations suivantes nos folles dépenses d’aujourd’hui. On nous a parlé, à propos de la réforme des retraites, des liens intergénérationnels ; on se heurte là à un problème démographique : des générations de moins en moins nombreuses devant prendre en charge les générations précédentes plus nombreuses, à un moment où l’espérance de vie s’accroit. Voilà qu’à cette question déjà si lourde des retraites, nous y ajoutons la dette publique. Il faudra la rembourser. Qui le fera ? La génération suivante.
Voilà l’immoralité. Qu’on finance à crédit des dépenses d’investissement, cela peut se discuter, mais cela a un sens. Ces investissements sont durables ; ils profiteront aussi aux générations suivantes ; on peut admettre qu’ils en paient leur part. Mais l’ampleur des déficits est tel que la dette publique actuelle a servi avant tout à financer nos dépenses de fonctionnement. S’il s’agit de la protection sociale, cela veut dire faire financer par les générations futures nos dépenses de santé ou de chômage d’aujourd’hui. Est-ce moral ? S‘il s’agit des dépenses de l’Etat, cela veut dire faire financer les salaires des fonctionnaires d’aujourd’hui par les générations à venir. Est-ce moral ?
On a pu lire dans un quotidien que « nous sommes une génération de voleurs. Nous volons nos propres enfants », ce qui est le comble de l’immoralité. La vérité consiste à dire ceci : où nous voulons maintenir nos 56% de dépenses publiques, nos dépenses de l’Etat, notre nombre de fonctionnaires, nos services publics, notre protection sociale, etc. à leur niveau actuel, et alors nous devrons en payer nous-mêmes le vrai prix, ce qui implique d’augmenter le taux de prélèvements obligatoires d’autant. On peut douter du réalisme de cette proposition alors que la France a les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde, que nous sommes dans une économie ouverte où la compétitivité est centrale, et qu’aller au delà du taux actuel de prélèvements réduirait encore plus la croissance économique. Ou bien nous disons la vérité : nous avons les dépenses publiques les plus élevées du monde, de dix points supérieures à celles de l’Allemagne. Au-delà de la façon de résoudre la crise actuelle de la dette, dont mes collègues parleront, c’est bien le choix à long terme qui nous est offert.
Nous avons depuis plus de trente ans choisi une troisième solution : des dépenses publiques toujours plus lourdes, en refusant de les payer cash et en en reportant la charge sur la génération suivante. C’est ce que les économistes appellent l’équivalence ricardienne, du nom de David Ricardo, classique anglais du XIX°, ou l’effet Ricardo-Barro : la dette publique d’aujourd’hui se traduit par les impôts de demain, ce qui fait qu’un comportement rationnel consiste face à une politique de relance par hausse du déficit et de la dette, à accroitre son épargne pour faire face aux impôts futurs. Comme on emprunte parfois à très long terme, cela veut dire qu’on pénalise nos enfants sur des dizaines d’années. Faute d’avoir su choisir entre ramener les dépenses au niveau de la recette ou amener les recettes au niveau des dépenses, nous avons choisi la fuite en avant de la dette ; cette erreur économique est une faute morale. Ne voulant pas toucher à notre confort actuel, nous avons sacrifié le confort futur de nos enfants, qui devront en outre financer nos retraites, alors que notre refus de la vie réduit le nombre d’actifs futurs. Ils seront moins nombreux pour supporter une charge alourdie.
Si nous avons tous une part de responsabilité dans cette immoralité, les politiques y ont une responsabilité majeure. Responsables ultimes du bien commun, ils présentent ou votent le budget ; ils expliquent que le marché est myope, que seuls les politiques voient loin et parlent du développement durable, qui doit se préoccuper des générations à venir ; et ils offrent aux générations à venir l’endettement durable, semblant avoir pris pour devise l’expression de madame de Pompadour, « après nous, le déluge ».
La dette publique présente d’autres signes d’immoralité. Les déficits annuels, supérieurs aux 3%, et la dette, supérieure aux 60%, ne respectent pas les traités signés; on peut ne pas apprécier le traité de Maastricht, mais, quand on est au pouvoir, ne pas l’appliquer, sans l’avoir juridiquement dénoncé, c’est ne pas respecter les engagements signés.
Face à la crise des dettes souveraines, la pression des organismes européens, des Etats dominants et des institutions internationales, qui font la leçon aux autres, refusent le jeu démocratique interne aux nations, conseillent ou imposent des changements de gouvernements, souhaitent ou imposent des gouvernements de technocrates, pose un problème de souveraineté et la question de la légitimité démocratique de ces décisions. Pour un système démocratique, n’y a-t-il pas une interrogation sur la légitimité et la moralité de décisions dont le peuple semble écarté ?
Les solutions à la crise de la dette, dont mes collègues parleront, ne posent-elles pas d’autres questions éthiques ? Si l’on cherche, comme le suggèrent certains, à monétariser la dette, et à créer de l’inflation, pour alléger les remboursements futurs, ne créée-t-on pas un nouvel impôt, l’impôt inflation, le plus injuste de tous, qui frappe d’abord les plus fragiles et n’a été voté par personne ? Quel cynisme immoral de proposer d’alléger les remboursements futurs par l’inflation, ce qui signifie voler l’épargnant en le remboursant en monnaie dépréciée.
Réduire la dette en diminuant les dépenses publiques, après les avoir augmenté, n’est-ce pas rendre la rigueur plus injuste et dure : il est plus sain d’empêcher le dérapage des dépenses publiques que de constater après coup qu’elles sont devenues excessives et de les réduire brutalement, alors que l’on a habitué les citoyens à la manne publique. La rigueur dans la gestion a priori est toujours préférable à la conversion brutale à la rigueur imposée par la réalité que l’on avait refusé de voir. Dire à quelqu’un qu’il a droit à quelque chose, puis lui retirer brutalement, est-ce moral ? Les solutions, nécessaires, à la crise, sont injustes et immorales. Ceux qui supportent le poids du redressement nécessaire ne sont pas ceux qui ont pris la décision qui a conduit à la dérive des dettes souveraines.
Finalement, le péché qui a conduit les hommes politiques à la dérive des finances publiques, outre l’ignorance économique, n’est-il pas l’impatience, le refus d’accepter les contraintes et les lenteurs du réel, la volonté du tout, tout de suite, dans une focalisation maladive sur le court terme ; on reproche à certains actionnaires une focalisation sur les résultats trimestriels sans perspective à long terme ; que dire des hommes politiques, qui veulent forcer le rythme de la croissance, oublier le réel, distribuer une manne qui n’existe pas, faire vivre l’Etat au dessus de ses moyens et des nôtres.
Benoît XVI a rappelé que « la sagesse de l’Eglise a toujours proposé de tenir compte du péché originel même dans l’interprétation des faits sociaux (…). A la liste des domaines où se manifestent les effets pernicieux du péché, s’est ajouté depuis longtemps déjà celui de l’économie. Nous en avons une nouvelle preuve, évidente, en ces temps-ci » dit-il (CIV §34).
Par quel « miracle de l’isoloir », selon l’expression du Nobel James Buchanan, un homme serait-il à la fois pécheur et juste, capable d’immoralité et de moralité dans son comportement économique et deviendrait-il exempt des faiblesses humaines, oublieux de son intérêt personnel ou électoral, dans le domaine politique ? Jean-Paul II ne nous avait-il pas rappelé qu’une « démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois » (CA § 46). Dénonçant la « crise des systèmes démocratiques, » dont nous parlerons cet après-midi, Jean-Paul II expliquait que « les requêtes qui viennent de la société ne sont pas toujours examinées selon les critères de la justice et de la moralité, mais plutôt d’après l’influence électorale ou les poids financier des groupes qui les soutiennent » (CA § 47). Dans la crise actuelle de la dette publique, au-delà de toutes les considérations techniques, n’y a-t-il pas ce refus de prendre des décisions en fonction de critères de justice et de moralité ? Pour le dire autrement, la crise de la dette publique ne vient-elle pas du fait que beaucoup d’hommes politiques ignorent ce qu’est le bien commun ?
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