Quelques uns de mes amis se sont éloignés de la pratique religieuse, ou même ont apostasié l’Eglise « institutionnelle », parce qu’ils ont découvert chez de nombreux catholiques une inconséquence fatale et une incohérence entre ce qu’ils professent et les œuvres pour lesquelles, selon ce qu’annonce l’Evangile, les véritables disciples du Christ doivent se distinguer. Ce mal du pharisaïsme incrusté dans le cœur de l’Eglise est sans doute le plus grave de tous ceux qui corrompent la foi, et le plus difficile obstacle à l’évangélisation :que Jésus-Christ fasse de la lutte contre le pharisaïsme un combat personnel constant n’est pas un hasard ( il n’y a pas de péché qui reçoive autant de condamnation et d’exécration dans sa prédication) ; et ce n’est pas pour rien si parmi ses détracteurs les plus excités, ceux qui le menèrent à la Croix furent les pharisiens manipulateurs, qui ne supportaient pas son implacable et très vigoureuse dénonciation : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites Insensés et aveugles ! Serpents, race de vipères !
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont pleins d'ossements de morts et de toute espèce d'impureté vous paraissez justes aux hommes, mais, au dedans, vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité. »
Le pharisaïsme est la cause principale de l’apostasie généralisée qui afflige l’Eglise ; à cette cause endogène il faut bien entendu en rajouter beaucoup d’autres celles-là exogènes qu’aujourd’hui de plus en plus d’intellectuels ,écrivains, philosophes, sociologues, analysent ; «Trois jours et trois nuits ou le grand voyage des écrivains à l’abbaye de Lagrasse » en est un témoignage fort qui participe à montrer que quand les gens qui sont incités à déserter la foi découvrent parmi ceux qui n’avons pas déserté une authentique communauté de foi et de vie, une congruence naturelle entre ce que nous annonçons et ce que nous vivons, une liturgie élévatrice, l’ humilité « des soldats de la grâce » l’Eglise ne se délite pas comme un château de sable.
Heureusement tout de même que les instituts de sondages n’existent que depuis peu. S’ils avaient existé il y a 2000 ans, l’église catholique n’aurait jamais vu le jour. On peut en effet penser que sous Pilate 80% des habitants de Jérusalem qui acclamaient Jésus le jour des Rameaux hurlaient à sa crucifixion six jours plus tard, et que quelques décennies passèrent pour que 90% des habitants de Rome approuvassent Néron de donner les chrétiens en pâture aux lions du cirque. Et les persécutions n’auront de cesse de fortifier cette Eglise comme si le sang des martyrs des hordes mahométanes, de la Révolution française, des idéologies totalitaires – communisme, nazisme- dont elle accouchât, des « cristeros » massacrés par un gouvernement franc-maçon au Mexique, des Républicains espagnols, de l’Etat islamique, de ses satellites et pharisiens de complices qui hantent les symposiums du libéralisme libertaire occidental et ferment les yeux sur les génocides arménien et des chrétiens d’Orient, comme si le sang des martyrs, disais-je, irriguait quotidiennement les racines de l’Eglise éclaboussant de charité les rictus démoniaques de leurs bourreaux ,maîtres des basses œuvres.
Naturellement, nous ne devons pas confondre les inévitables faiblesses de la nature humaine, conséquence de notre condition de pêcheurs, avec le pharisaïsme, qui est plutôt le contraire : car le pharisien a l’habitude d’être quelqu’un d’altier et d’arrogant au cœur endurci qui se croit invulnérable aux embuches du péché qui affligent le reste des mortels ; et du haut de sa tour de présomption , il construit une religiosité de pure façade , une espèce de foi desséchée ,qui finit par se convertir en imposture.
Leonardo Castellani, qui n’a jamais cessé de dénoncer le pharisaïsme , établit dans sa magnifique œuvre : « Les cahiers de Benjamin Benavides », une graduation de ce mal corrupteur extrêmement claire et parlante :
- La religion devient purement et simplement apparente et ostentatoire ;
- La religion devient profession et rôle ;
- La religion devient un outil de profit, d’honneur, de pouvoir et d’argent ;
- La religion devient passivement dure, insensible, désincarnée ;
- La religion devient hypocrisie, et le « saint » hypocrite commence par mépriser et détester ceux qui pratiquent humblement mais fermement et de manière missionnaire ;
- Le cœur de pierre devient cruel, activement dur ;
- Le faux croyant poursuit les vrais croyants avec une fureur aveugle et fanatisme idéologique implacable.
Dans cette graduation, Castellani fait une distinction entre les trois premiers degrés qui sont les plus tristement habituels, et les quatre derniers, qu’il qualifie à juste titre de diaboliques.
A propos du pharisaïsme de « première catégorie », nous en faisons tous l’expérience quotidienne : c’est la religion mue en apparence et démonstration affectée, le sel qui devient fade, le « professionnalisme de la religion » dont Gustave Thibon disait qu’il est un mal qui prospère surtout dans des circonstances et environnements où la foi est un gage de reconnaissance sociale ; et dans lequel, en même temps qu’une multitude de non croyants singent certaines attitudes extérieures de religiosité affectée ou de cléricalisme routinier, d’autres quelque plus vipérins en profitent pour se tailler une part du gâteau, en faire commerce et surtout de l’utiliser comme levier au carriérisme qui les boursoufflent. En ces temps qui sont les nôtres , où la religion a cessé d’incarner une certaine forme de reconnaissance sociale qu’elle pouvait avoir ou avait hier, ce pharisaïsme de « première catégorie » tend à disparaître ,même s’il conserve son rayon d’action en interne et « dans la sphère privée » pour parler la novlangue ; en revanche, le pharisaïsme de « seconde catégorie » , le plus terrible et odieux , se développe avec une puissance vorace et cherche à investir les structures du pouvoir de l’Eglise, confisquant parfois même des attributs de gouvernance. Il n’a plus rien à voir avec l’hypocrisie onctueuse, avec la bigoterie flagorneuse, avec la mesquine ambition ou la médiocre et petite intrigue de sacristie (même si, naturellement, il y participe) mais il se complait dans la perfidie et le crime, dans la persécution inquisitoriale du juste et dans la trahison de la véritable foi dont le pharisien paradoxalement se présente comme étant l’exécuteur le plus crédible, le défenseur le plus fidèle.
Nous n’avons pas une visibilité quotidienne de l’activité de ces pharisiens, car elle se développe en des lieux où la foi devient bureaucratie et négoce ; mais les effets de son activité contaminent toute l’œuvre de notre Sainte mère l’Eglise. Et lorsque quelqu’un rencontre l’un de ces pharisiens, bien que sa foi soit aussi robuste que le chêne, il tremble et plie comme le jonc fragile. Le vers est dans le fruit, le malin est à l’œuvre mais aujourd’hui il a un nom : le Nouvel Ordre Mondial.
Dostoïevski dans « Les frères Karamazov », introduit un récit traitant de la nature humaine , de la liberté et de la manipulation : Le grand inquisiteur. L'inquisiteur représente et défend cette « Église ou à tout le moins cette société de l'efficacité », que Jésus risque encore de déranger. L'inquisiteur va même jusqu'à reconnaître qu'il est avec le démon : « Nous ne sommes pas avec Toi, mais avec lui, depuis longtemps déjà. » Il reconnaît que son action consiste à manipuler et à berner les humains : « Ils mourront paisiblement, ils s’éteindront doucement en ton nom, et dans l’au-delà, ils ne trouveront que la mort. » Ses thuriféraires plastronnent à la tête de cabinets d’expertises onusiens, de ministères, de loges, d’ONG de la « bienpensance » du droitdelhommisme et du vivre ensemble ou alors au service de mouvements –marionnettes et militants qui opèrent et travaillent derrière tous les masques possibles ( l’humanitaire, le social, l’écologisme ,l’éducatif, l’égalitarisme chimérique, le droit du sol [L’Esprit des lois (1748), avait écrit : « Le droit du sol est l’absurdité qui consiste à dire qu’un cheval est une vache parce qu’il est né dans une étable.»] travaillent disais-je à la déshumanisation, à « L’abolition de l’homme » déclinée par Lewis . C’est l’épreuve la plus dure qu’il nous faut endurer ; c’est pour leur conversion que nous prions, c’est pour leur conversion que nous combattons, c’est pour leur conversion que nous souffrons.
« Quand on ne confesse pas Jésus Christ, me vient la phrase de Léon Bloy : « Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable ». Quand on ne confesse pas Jésus Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon…Je souhaite à nous tous que l’Esprit Saint, par la prière de la Vierge, notre Mère, nous accorde cette grâce : marcher, édifier, confesser Jésus Christ crucifié. Qu’il en soit ainsi ! » Pape François 14 mars 2013
Thierry Aillet
Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon