Les remèdes avec lesquels notre époque prétend combattre la calamité du mauvais traitement des femmes ne réussiront qu’à les exacerber, comme il arrive chaque fois que se développent des remèdes contre les calamités sans vouloir renier la philosophie qui les inspire.
Au plus profond de cette calamité, il y a une anthropologie néfaste qui s’impose en des principes aussi haïssables que le narcissisme, la cupidité de la domination, la divinisation de la sensualité, la recherche égoïste et utilitaire de la jouissance immédiate, la soif vulgaire d’une félicité imperméable au compromis et au devoir. Mais au lieu de combattre cette anthropologie néfaste qui transforme beaucoup d’hommes en brutes indignes, on suggère aux femmes d’affirmer les mêmes principes haïssables : « balance ton porc » ! et de faire leurs les élucubrations ou stupidités proférées par quelques égéries de l’extrême-gauche dénonçant le quinqua blanc hétéro comme un violeur en puissance ou tout simplement d’exterminer les garçons. Il en découlera inévitablement un plus grand nombre de femmes maltraitées ; car là où deux bandes défendent les mêmes principes erronés, s’impose automatiquement celui qui possède la plus grande force brutale.
Pour combattre la calamité de la maltraitance, il faudrait commencer par combattre ce que notre époque divinise : un bonheur qui s’obtient par le biais de la satisfaction immédiate, du propre désir et l’exaltation du moi. Il est grotesque qu’une société qui finance et distille le poison pornographique et la sexualité la plus dévoyée et bestiale à la fois, qui raille la courtoisie et bafoue les vertus domestiques, s’émeuve dans le même moment que les hommes ne voient pas dans les femmes des êtres dignes de respect. Il est complètement dément qu’une époque qui glorifie l’utilitarisme, la souveraineté de la passion et la recherche constante de jouissances immédiates et volages prétende en même temps punir les violences qui surgissent et qui naissent des aberrations qu’elle glorifie.
Pour combattre le mauvais traitement de la femme, il faut assumer premièrement que toute relation humaine digne de ce nom se fonde sur la notion de sacrifice. Il n’y a pas de vie heureuse sans sacrifice mutuel, sans renoncement de soi-même, sans patience héroïque et constante. Les êtres vils s’évertuent à imposer leur volonté et leur désir ; les êtres nobles s’efforcent d’accomplir leur devoir, d’apprendre à se donner, de cesser de s’appartenir. C’est seulement ainsi que l’homme se sent uni à l’autre et envahi par son destin, y compris lorsque s’éteint la passion, y compris quand le spleen nous guette ; si l’inverse se passe, le tissu vital et l’extinction de la passion rendent odieux l’être qui nous accompagne.
Thibon disait que lorsqu’il manque le sacrifice, dans le couple, l’un ne peut aimer en l’autre qu’un éclat superficiel qui ne tarde pas à se dissiper. Et quand cet éclat se ternit, l’amour se transforme en aversion et mépris. Et comme toute chose qu’on méprise, on finit par le traiter inévitablement à coups de pied. Là où il n’y a pas de sacrifices, l’amour se convertit en velléité narcissique de posséder et de dominer. C’est ainsi que les relations entre hommes et femmes se transforment en un duel d’égoïsmes où ne tardent pas à naître les susceptibilités, les méfiances, les rancœurs, les irritations et finalement l’animosité et l’aversion.
Quand dans les relations entre un homme et une femme le don de l’un à l’autre est célébré, l’amour est une offrande ; et l’être aimé devient une authentique patrie : une terre qui se cultive et dont on prend soin, qui s’épanouit et devient féconde.
Quand dans les relations entre homme et femme domine l’exaltation du moi, l’amour est convoitise et désir d’annexion ; alors l’être possédé devient une triste colonie : une terre qu’on spolie, qu’on piétine et qu’on explose pour ensuite l’abandonner.
Au lieu de faire de l’autre une authentique patrie, par le biais d’une anthropologie fondée sur le don de soi et le sacrifice, notre époque prétend faire des hommes et des femmes de vulgaires et odieux colonisateurs. Ils ne réussiront ainsi qu’à exacerber la calamité qu’ils annoncent néanmoins combattre.
Thierry Aillet
Ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon