Source [Sedes Sapientiæ] Suite à la récente épidémie de coronavirus, les évêques catholiques de nombreux diocèses ont proscrit la distribution de la communion dans la bouche. Cette décision draconienne pose de nombreuses difficultés non seulement sur le plan personnel de la conscience des fidèles et des prêtres attachés à cette manière de communier, mais également sur le plan juridique, notamment. Ces difficultés sont encore accrues pour les prêtres et les fidèles attachés à la messe dite tridentine.
Après avoir rappelé précisément la législation en vigueur en matière de distribution de la sainte communion (I), il sera possible d’aborder la question de la validité de l’interdiction de la communion sur la langue (II). Puisque le motif du risque sanitaire est avancé pour justifier l’interdiction en question, il faudra ensuite se demander si ce motif est pertinent (III), avant de détailler quelques caractéristiques de la messe célébrée selon la forme dite extraordinaire du rite romain et de leur impact sur le plan sanitaire (IV).
I. La législation en vigueur
A. L’Instruction Memoriale Domini
Le 28 octobre 1968, le Saint-Siège consulta l’épiscopat mondial sur ordre de Paul VI, notamment sur la question suivante : « Pensez-vous qu’il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ? » Le 12 mars 1969, les résultats de la consultation furent divulgués : sur les 2136 voix exprimées, 1233 répondirent par non (57,7%), 567 répondirent par oui (26,5%), 315 répondirent iuxta modum (14,7%) et 21 votes furent déclarés nuls[1].
Suite à cette consultation, la toute nouvelle Congrégation pour le culte divin publia le 29 mai 1969 l’Instruction Memoriale Domini, que le pape fit insérer dans les Acta Apostolica Sedis. Ce document dispose notamment ce qui suit[2] :
Compte tenu de la situation actuelle de l’Église dans le monde entier, cette façon de distribuer la Sainte Communion [i. e. sur la langue] doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu’elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie. […] Cette façon de faire, qui doit déjà être considérée comme traditionnelle, assure plus efficacement que la Sainte Communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent ; que soit écarté tout danger de profanation des espèces eucharistiques. […] Aussi, devant les demandes formulées par un petit nombre de Conférences épiscopales, et certains évêques à titre individuel, pour que sur leur territoire soit admis l’usage de déposer le Pain consacré dans les mains des fidèles, le Souverain Pontife a-t-il décidé de demander à tous les évêques de l’Église latine ce qu’ils pensent de l’opportunité d’introduire ce rite. En effet, des changements apportés dans une question si importante, qui correspond à une tradition très ancienne et vénérable, non seulement touchent la discipline, mais peuvent aussi comporter des dangers qui, comme on le craint, naîtraient éventuellement de cette nouvelle manière de distribuer la Sainte Communion, c’est-à-dire : un moindre respect pour l’auguste sacrement de l’autel ; une profanation de ce sacrement ; ou une altération de la vraie doctrine. […]
Ces réponses [à la consultation de l’épiscopat] montrent donc qu’une forte majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. C’est pourquoi, compte-tenu des remarques et des conseils de ceux que « l’Esprit-Saint a constitués intendants pour gouverner » les Églises [cf. Ac 20, 28], eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, le Souverain Pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la Sainte Communion aux fidèles. Aussi, le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l’épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l’Église.
Mais là où s’est déjà introduit un usage différent – celui de déposer la Sainte Communion dans la main – le Saint-Siège […] confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d’écarter tout risque de manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d’éviter soigneusement tous autres inconvénients.
De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation, accompagnées d’un exposé précis des causes qui les ont motivées. […]
Cette instruction, rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI, a été approuvée par lui-même, en vertu de son autorité apostolique, le 28 mai 1969, et il a décidé qu’elle soit portée à la connaissance des évêques par l’intermédiaire des présidents des Conférences épiscopales.
Le dernier paragraphe indique et implique que l’Instruction correspond à un acte de nature législative. Le canoniste Federico Bortoli commente à ce sujet :
Instruction de la Congrégation pour le Culte divin, Memoriale Domini a été préparée sous mandat spécial du pape Paul VI et approuvée par lui. Or nous savons bien que les dicastères de la Curie romaine jouissent uniquement du pouvoir exécutif et qu’ils ont besoin d’une délégation pontificale spécifique pour accomplir des actes de nature législative. Il nous semble bien avoir ici à faire à une intervention législative, d’abord parce que l’Instruction a été préparée par mandat spécial du Saint-Père, mais aussi parce que nous y distinguons deux actes législatifs : d’une part est confirmée une loi universelle, jusque-là non écrite, et de l’autre, simultanément, est prévue la possibilité d’y déroger. C’est la première fois dans l’histoire de l’Église que l’autorité intervient avec une telle clarté à ce sujet et approuve, en la confirmant de façon solennelle et explicite, la coutume millénaire de la communion sur les lèvres. […] On peut donc bien dire que Memoriale Domini confirme la norme universelle qui dit que la communion se reçoit sur les lèvres[3].
Il faut admettre toutefois que la faiblesse inhérente de l’Instruction en question réside dans son caractère ambivalent puisqu’au ferme refus de modifier la loi en vigueur sur la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles succède, dans les deux avant-derniers paragraphes, une ouverture de la possibilité de distribuer la communion dans la main[4].
L’impression que l’Instruction Memoriale Domini a paradoxalement ouvert la porte à la diffusion généralisée de la communion donnée dans la main est renforcée par la lettre pastorale qui accompagnait ce document. Celle-ci concédait aux Conférences épiscopales qui le demandaient un indult[5] pour pouvoir distribuer la sainte communion dans la main des fidèles, moyennant un certain nombre de conditions[6] :
Tout en rappelant ce qui fait l’objet de l’Instruction ci-jointe, en date du 29 mai 1969, sur le maintien en vigueur de l’usage traditionnel, le Saint-Père a pris en considération les motifs invoqués à l’appui de Votre demande et les résultats du vote qui est intervenu à ce sujet. Il accorde que, sur le territoire de Votre Conférence épiscopale, chaque évêque, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser dans son diocèse l’introduction du nouveau rite pour distribuer la Communion, à condition que soient évitées toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d’irrévérence envers l’Eucharistie [suivent un certain nombre de normes].
Il résulte de ce texte que la concession de l’indult permettant la distribution de la communion dans la main à une Conférence épiscopale donnée ne signifie pas ipso facto que cette pratique soit autorisée dans tous les diocèses de ladite Conférence, mais que chaque évêque peut, s’il le juge opportun et en conscience, permettre ce nouvel usage sur le territoire de son diocèse. De fait, quelques Conférences épiscopales, de même que quelques évêques à titre individuel, ont fait usage de la possibilité de ne pas appliquer l’indult en question. Cela a été le cas notamment de S. E. Mgr Juan Rodolfo Laise, ofm. cap., évêque de San Luis (Argentine)[7]. Dans une lettre du 7 octobre 1996, le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, S. E. Mgr Tarcisio Bertone, faisait savoir à Mgr Laise qu’il avait agi selon le droit et qu’il n’avait pas rompu la communion ecclésiale en ne jugeant pas opportun d’appliquer l’indult dans son diocèse.
Cette lettre suggère au demeurant que le mode d’administrer l’eucharistie ne relève pas seulement du domaine disciplinaire, mais a aussi des implications doctrinales. Ainsi, les luthériens, qui partagent la notion de présence réelle eucharistique (du moins par le biais de la « consubstantiation »), ont-ils maintenu pendant plusieurs siècles, et dans certaines communautés jusqu’à nos jours (notamment aux États-Unis)[8], la distribution de la communion dans la bouche et à genoux. En revanche, les réformés ou calvinistes, pour lesquels la présence du Christ dans l’eucharistie n’est que d’ordre spirituel, supprimèrent immédiatement ce mode de communier.
De manière similaire à la Congrégation pour la doctrine de la foi, la Congrégation pour le culte divin répondit à Mgr Laise dans une lettre du 17 janvier 1997 :
Considérant que Votre Excellence avait le droit d’énoncer des dispositions selon sa conscience et sa prudence pastorale, on ne saurait affirmer que, ce faisant, il a offensé sa Conférence épiscopale, dont les attributions n’incluent pas d’imposer aux évêques une pratique spécifique en la matière.
La conséquence la plus importante des textes cités ci-dessus est que la loi universelle en vigueur dans l’Église catholique dispose jusqu’aujourd’hui que la norme est la distribution de la communion sur la langue, tandis que sa distribution dans la main n’est possible qu’en vertu d’un indult, là où celui-ci a été demandé et concédé.
La loi liturgique universelle en vigueur implique également que les fidèles ont toujours le droit de recevoir la communion sur la langue, tandis qu’il ne leur est permis de la recevoir dans la main qu’en vertu d’un indult accordé par le Saint-Siège.
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