Mesdames et Messieurs les parlementaires, chers amis,

Notre société connaît certainement les conditions de vie les plus favorables et les plus sécurisées que puisse imaginer la mémoire humaine, aussi bien à l'échelle de l'histoire de nos vies personnelles, qu'à celle de la mémoire collective.

Et en même temps, il semble que se répande un sentiment de crainte, voire d'anxiété, face à l'avenir. Alors que nous connaissons la paix et une prospérité économique réelle, nous voyons les événements, économiques ou naturels, déclencher des phénomènes d'affolement à la limite de la panique.

Certes, nous savons que notre prospérité n'est pas également répartie. Nous savons aussi que les précarités sociales ne sont pas seulement des effets économiques ou financiers et qu'elles se développent sur le terrain des fragilités éducatives et familiales. Nous savons aussi que l'effet de choc dont se nourrit la communication médiatisée amplifie et dramatise volontiers l'information.

Notre capacité d'analyser et de relativiser ces phénomènes n'empêche pas les réactions collectives et médiatisées, principalement commandées par des ressorts affectifs. La surenchère et le lobbying en sont des expressions habituelles. À celles et à ceux qui ont la lourde charge de légiférer ou d'exercer le pouvoir exécutif, il incombe — et ce n'est pas facile, vous le savez mieux que moi ! — de ne pas céder au mouvement des émotions, ni de les valider en y apportant une réponse, tout aussi affective et éphémère, hors de proportion avec la réalité.

Le risque de s'engager dans l'instant par une réponse immédiate à toute situation et de correspondre sans recul aux attentes et aux désirs supposés de la société n'est pas illusoire. Pas plus que le risque d'une riposte disproportionnée qui prend généralement la forme d'une loi nouvelle, chargée d'exprimer la prise au sérieux de toute situation.

À ces lois de circonstance, on demande souvent d'engager la société dans la protection ou la justification de catégories particulières de citoyens ou de conduites contestables. Qui ne voit que, à travers ces lois aux applications incertaines, et parfois impossibles, s'émousse peu à peu la force de la loi elle-même qui doit viser un bien général et tendre à une certaine universalité ?

En cédant à un processus de légitimation de mœurs partielles ou de besoins particuliers, le législateur épuise sa mission de formuler les moyens nécessaires à la vie sociale. Il se dépouille lui-même de sa fonction au service du bien de la société tout entière et de sa responsabilité à l'égard de l'avenir de cette société.

Pour vous qui êtes chrétiens, je sais que les préoccupations que je viens d'évoquer sont celles qui vous habitent quotidiennement. Je sais aussi les pressions auxquelles vous pouvez être exposés. La véritable laïcité ne suppose pas le renoncement à ses références majeures. La mission du parlementaire chrétien n'est pas de faire passer un message confessionnel, mais de s'appuyer sur ses forces spirituelles pour promouvoir une vision plus humaine de la vie.

Pour l'avenir de la dignité humaine dans notre société, je dois vous faire part de quelques questions auxquelles nous serons nécessairement confrontés dans un proche avenir.

> La famille. Depuis quelques années, la multiplication des modèles de référence transpose le débat vers un sorte de tolérance indistincte. Le respect dû à chaque personne est confondu avec la reconnaissance légale de tous les choix particuliers comme modèles sociaux. Comme vous, je suis convaincu qu'une société qui renonce à définir clairement les modalités de la succession des générations et de l'éducation des enfants porte atteinte à la cohésion du tissu social.

> L'accueil des étrangers. Des images récentes et fortes ont frappé notre sensibilité. Elles nous invitent à veiller avec toujours plus d'attention au respect dû aux personnes, même quand on leur applique légitimement la rigueur des lois. Elles doivent surtout nous aider à affronter une question plus grave. Nous ne pouvons pas nous contenter de bons sentiments. Dans nos pays industrialisés, qui osera dire que l'accueil de l'étranger et l'aide au développement passent par un effort de solidarité qui inclut la remise en cause de nos modes de vie ?

> Le respect de l'identité humaine. En quelques décennies, nous avons vu la recherche et la technologie médicales affiner leurs capacités d'atteindre les éléments constituants de l'individualité humaine. L'instrumentalisation de l'être humain à tous les stades de son existence, quelles que soient les intentions thérapeutiques qui veulent la justifier, met en question radicalement l'absolu du respect de la personne humaine. La volonté de guérir peut-elle se réaliser à n'importe quel prix ?

Sur ces questions, comme sur d'autres aussi importantes, la conscience humaine est sollicitée en deçà des croyances et des religions particulières. Ce n'est pas faire œuvre de prosélytisme que de le rappeler. Mais il va de soi que pour nous, chrétiens, ces exigences de la conscience humaine sont fortifiées et alimentées par notre référence aux commandements de Dieu et à l'enseignement du Christ.

La fidélité à ces commandements et à cet enseignement n'est pas une simple bigoterie pour esprits demeurés. Elle est le fondement même de notre engagement dans la vie sociale. Elle dépasse les moyens de la simple conviction personnelle. Elle s'inscrit dans la communion à la vie du Christ lui-même, telle qu'elle nous est offerte par le don de l'Esprit et la vie sacramentelle.

L'Esprit-Saint envoyé par Dieu après la mort et la résurrection de Jésus est, selon l'image de l'évangile de saint Jean, comme un fleuve d'eau vive qui apaise notre soif et qui nous constitue nous-mêmes comme source de vie pour nos semblables. C'est cet Esprit que nous invoquons pour éclairer notre jugement et fortifier notre résolution. Amen.

+ André Vingt-Trois, archevêque de Paris

*Homélie de la messe de rentrée des responsables politiques, Paris, basilique Sainte-Clotilde, 11 octobre 2005.

>Les textes de la messe du 11 octobre.

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