[Messe de rentrée des parlementaires]
LE DON DE L'ESPRIT-SAINT que nous invoquons au cours de cette messe de rentrée ne sera certainement pas superflu pour la vie politique de notre pays au moment où nous entrons dans une série d'élections importantes : présidentielle, législatives et municipales.
Mais l'Esprit-Saint peut-il avoir quelque chose à faire dans ce débat ? Il n'est pas futile de se poser la question. À la lumière de la Parole de Dieu, telle qu'elle nous est proposée ce soir, je voudrais évoquer avec vous un moment le don de l'Esprit fait par le Christ dans le mystère de sa Résurrection et ce qu'il nous permet d'oser mettre en œuvre dans la vie publique.
L'espérance en l'avenir
L'épître aux Romains de saint Paul nous propose la vision chrétienne du cours des choses et de l'histoire des hommes. L'Apôtre nous invite à considérer que la réalité de ce monde n'est pas vouée à l'échec et au non-sens ou au non-être. Chaque génération est appelée à faire face à ses difficultés, mais les embûches et les tracas qui marquent autant chaque vie personnelle que la vie de nos sociétés ne sont pas la clef de notre histoire. Nous sommes dans des douleurs qui ne sont pas les douleurs de la mort, mais les douleurs de l'enfantement.
Beaucoup de nos contemporains sont atteints par le scepticisme ou le cynisme : à quoi bon proposer des solutions, il n'y a rien à faire... À quoi bon choisir des hommes et des femmes pour conduire les affaires du pays, puisque, en tout état de cause, cela ne changera rien... Dans ce contexte, c'est la grandeur et le mérite de celles et de ceux qui se proposent à nos suffrages que de relever les défis du temps présent et de s'employer à proposer des remèdes.
Comment vont-ils briguer les suffrages pour convaincre ? Vont-ils promettre à chaque catégorie de Français une assistance plus généreuse qu'auront à payer les générations suivantes ? Ou vont-ils s'efforcer d'exprimer une vision du bien commun qui mobilise les énergies ? Comment vont-ils puiser le courage de dire les choses telles qu'elles sont et non pas telles qu'on les rêve ? Comment rendre confiance en l'avenir sans exprimer une certaine vision de notre vivre ensemble et des tâches auxquelles notre pays doit faire face ?
Il me semble que ce courage de la vérité qui seule peut rendre l'espérance demande une lucidité et un désintéressement particuliers. Seul ce courage permet d'échapper à la démagogie et d'affronter les problèmes réels sans les contourner. Beaucoup des élus de la nation sont convaincus de la nécessité de ce courage. Beaucoup s'efforcent de le vivre. Beaucoup s'y réfèrent dans les dialogues particuliers. Je vous invite à prier pour que cette lucidité et cette vigueur ne s'effritent pas dans la chaleur des campagnes électorales.
Le respect des hommes
Il n'y a pas de véritable démocratie sans respect des citoyens. Il n'y a pas de respect du citoyen quand on ne cherche pas à s'appuyer sur ses capacités raisonnables et son jugement éclairé. Une période électorale doit être avant tout un temps de vérité pour exprimer les enjeux principaux des années de la mandature à venir en ne voilant pas les difficultés prévisibles ni les efforts nécessaires pour les surmonter ensemble.
Ce serait mépriser la raison des électeurs que croire qu'ils se déterminent principalement sur des critères de publicité médiatique ou en fonction de leurs seuls intérêts particuliers. Ce serait mépriser les électeurs que les juger inaccessibles aux intérêts généraux du pays et incapables de comprendre et d'accepter les réformes nécessaires. Ce serait mépriser les électeurs que croire que la masse d'informations dont ils disposent ne fait pas évoluer leur perception du monde et des enjeux internationaux.
Au contraire, une période électorale intensive peut être une occasion de développer chez beaucoup le sens du bien commun et de l'intérêt général. Est-il permis, en outre, de suggérer que les candidats qui assument cette dimension pédagogique de l'élection font un bon calcul car ils développent déjà les moyens préalables à l'exécution d'une politique responsable ?
Les convictions et l'exercice du pouvoir
Pouvons-nous aller plus loin dans cette référence à la raison humaine pour la gestion des affaires publiques ? Solliciter le suffrage des électeurs suppose de leur dire quelque chose de vrai sur les programmes qui pourraient être mis en œuvre. Les promesses mirobolantes n'abusent personne et ont plutôt pour effet de décrédibiliser ceux qui les font.
Mais les électeurs sont en droit de demander plus encore à ceux qui espèrent leurs voix. Ils doivent connaître, et clairement, leurs convictions sur un certain nombre de questions fondamentales pour l'avenir de l'espèce humaine et pour le respect de la dignité humaine dans notre pays. Nous pouvons sans doute nous réjouir qu'un certain nombre de candidats, potentiels ou déclarés, aient fait connaître leurs projets d'action sur quelques-unes de ces questions. On serait heureux de les entendre sur d'autres sujets qui concernent plus largement nos concitoyens.
Jusqu'où accepteront-ils d'aller dans l'instrumentalisation de l'être humain pour la recherche scientifique ? Comment comptent-ils traiter la question de l'accueil des étrangers dans notre pays ? Quels moyens vont-ils mettre en œuvre pour une meilleure intégration de la jeunesse et son accession au travail ? Comment envisagent-ils de gérer l'évolution démographique de notre société et le partage économique nécessaire qu'elle entraîne ? On pourrait facilement allonger cette liste ou la détailler, mais vous connaissez ces sujets mieux que moi.
En tout cas, la pire des réponses serait d'annoncer une conviction personnelle généreuse, apte à séduire un électorat bienveillant, mais qui serait abandonnée au nom des responsabilités du pouvoir. Il est compréhensible qu'un programme économique soit adapté en raison des évolutions de la situation. Mais il n'est pas admissible, vous le savez bien, de professer des convictions humanistes à titre privé et de les contredire quand on a la responsabilité et le pouvoir de les défendre et de les traduire dans la législation.
La paix et la sécurité
L'Évangile selon saint Jean fait retentir la promesse de la paix que le Christ donne à ses disciples. Elle est reprise, vous le savez, en chaque messe, avant la communion. La paix est une aspiration légitime de toute personne humaine. C'est pourquoi la promesse que le Christ fait aux siens de leur donner sa paix nous paraît tellement correspondre à une attente générale. Sans doute, prêtons-nous moins d'attention à la suite de son propos : Ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne. La paix que le Christ promet, et qu'il donne effectivement, n'est pas la simple régulation sociale de la violence, mais la paix complète de ceux qui vivent dans la réconciliation de Dieu en qui s'apaisent toute récrimination contre les autres et tout ressentiment contre soi-même.
Nous savons bien qu'il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement d'apporter cette paix qui dépasse de loin les contraintes d'une légitime sécurité. Du moins, cette promesse nous permet-elle de mesurer modestement les limites de la domination de la violence par la force de la loi républicaine. Il est certes du devoir des responsables de la sécurité publique de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la sauvegarde de la paix civile. Mais ils savent que cette sécurité imposée n'est que le premier degré d'une véritable paix sociale.
La paix entre les citoyens ne peut se réduire à ce premier degré, elle nourrit une ambition plus haute : faire progresser les conditions favorables à une coexistence pacifique entre les membres du corps social. Ces conditions favorables sont d'abord, évidemment, le respect des convictions religieuses et culturelles particulières, à quoi doit contribuer l'éducation à une laïcité authentique. C'est aussi un investissement déterminé de la puissance publique dans une répartition équitable des ressources et des charges communes. C'est enfin la mise en œuvre des moyens politiques pour le développement des corps intermédiaires qui contribuent à la création et au développement du tissu social : familles, associations, syndicats, etc.
La sécurité et la paix dans notre pays dépendent évidemment de nos relations avec le monde. Ce serait une illusion de croire que la fermeture de notre pays aux économies et aux cultures étrangères serait un gage de sécurité et de paix. Il ne peut pas y avoir de paix durable dans un pays sans un engagement fort dans le dialogue et la coopération avec les autres pays pour faire progresser une plus juste répartition des richesses humaines et un plus réel partage des risques naturels ou économiques.
C'est donc d'abord l'éducation à la solidarité qui construit la paix, non le repli sur nos acquis. La contrainte peut être un moyen nécessaire pour accompagner les progrès de l'intégration à la vie sociale. Elle ne saurait s'y substituer en aucun cas.
***
En évoquant rapidement quelques unes des questions qui vont s'imposer à notre corps social dans les mois qui viennent, j'ai conscience de rejoindre un certain nombre des interrogations qui habitent vos pensées et qui animent votre action au service de vos concitoyens. J'ai surtout conscience d'avoir formulé des objectifs qui dépassent les possibilités humaines individuelles et font mieux ressortir la grandeur du mandat reçu des citoyens.
Mais permettez-moi du moins de partager avec vous le fondement de mon espérance pour l'avenir. Sans doute nous n'avons pas à attendre le Ciel sur la terre. Sans doute aucune majorité si forte soit-elle ne pourra mener à bien toutes les tâches qui lui incomberont. Sans doute devrons-nous encore longtemps supporter que notre pays soit confronté à des épreuves diverses. Mais la vitalité de notre pays, la générosité des hommes et des femmes qui s'engagent sincèrement dans un service désintéressé de leurs concitoyens sont des réalités et elles peuvent changer beaucoup de choses.
Les épreuves inévitables dans toute existence humaine comme dans l'histoire de toute société peuvent devenir les douleurs d'un enfantement si nous les vivons dans une réelle solidarité, si nous construisons une fraternité qui donne son fondement à la liberté et à l'égalité.
C'est notre mission à nous, chrétiens, de reconnaître la force divine, l'Esprit du Christ, qui habite tout effort des hommes pour construire un monde meilleur. Ce qui motive notre engagement au service de la construction de la société, ce qui refait nos forces lorsque nos combats paraissent vains aux yeux des hommes, c'est que nous savons que Dieu prépare pour nous le monde nouveau et que chacun de nos efforts, ce que saint Paul appelle nos gémissements — ceux de tous les hommes et de la création entière — forment le matériau que l'Esprit pourra transfigurer.
En cette Eucharistie, accueillons déjà le don de la paix que nous fait le Seigneur. Qu'il renouvelle nos forces et qu'il nous donne de nous engager dans l'espérance qui ne déçoit pas,
Amen.
+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris.
Le 10 octobre 2006, en la Basilique Sainte-Clotilde,
homélie de la messe de rentrée des responsables politiques.
Pour en savoir plus : www.catholique-paris.com
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