Après l'affaire des caricatures du Prophète, c'est au pape Benoît XVI d'être attaqué pour des propos accusateurs qu'il aurait tenus contre l'islam. Il suffit de se rapporter au texte de son discours — que les médias omettent de donner mais qu'il est possible de consulter sur le site du Saint-Siège (en anglais), et désormais en français (cf. infra, traduction Zenit) — pour voir qu'il s'agit d'une fausse polémique, montée de toutes pièces. Le principe en est simple : extraire une citation de son contexte, prétendre y découvrir un message implicite, et en donner une interprétation à l'opposé du sens objectif.
1/ Nature du texte mis en cause
Il s'agit d'un cours (une "leçon") donné le mardi 12 septembre à l'université de Ratisbonne, devant un auditoire de "représentants de la science" — des professeurs et des chercheurs. Benoît XVI s'y exprime en ancien professeur de théologie invité dans une grande université.
2/ Objet du discours
Cette conférence traite principalement des rapports de la foi et de la raison, et de la nécessité de ne pas réduire la raison à la méthodologie des sciences dures entendue dans son sens le plus restreint. Ce qu'il vise ici, bien entendu, est le statut de la théologie parmi les sciences. L'essentiel du texte concerne le processus de "dés-hellènisation" en cours depuis la Réforme, que Benoît XVI dénonce. Le fond de son argumentation repose sur le fait que "Dieu agit avec Logos", c'est-à-dire à la fois avec raison et par la parole.
3/ Position du texte incriminé
Pour point de départ de son exposé, Benoît XVI reprend un extrait d'une discussion du XIVe siècle entre l'empereur byzantin Manuel II Paléologue, connu pour son érudition, et un lettré persan à propos de la "contrainte en religion", ou conversion forcée, qui est au cœur de la guerre sainte, ou effort, telle qu'elle est voulue par l'islam. Cette manière de procéder, qui consiste à remonter à un texte ancien pour arriver à son sujet, fait partie du formalisme habituel des exposés universitaires.
L'argument de l'empereur est que la foi vient de l'âme raisonnable et non du corps. Mais, avant d'en venir à ce point, l'empereur, passant outre les divergences d'interprétation qui existaient déjà alors au sein de l'islam, avait commencé par attaquer de manière étonnamment "brusque" ou "abrupte" [1] son interlocuteur dans ces termes : "Montre-moi seulement ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines, comme son ordre de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait." Ce n'est qu'après cette assertion, que le pape juge "violente", que l'empereur explique pourquoi le fait de répandre la foi par la violence est déraisonnable. S'ensuit la discussion sur le Logos, qui est le sujet de ce cours.
4/ Remarques additionnelles
Le discours de Benoît XVI part d'une discussion entre deux érudits, l'un chrétien et l'autre musulman, pour déboucher sur la réaffirmation du "besoin urgent aujourd'hui d'un dialogue authentique des cultures et des religions" et sur un appel pour que la philosophie se mette "à l'écoute des grandes expériences et des grandes intuitions des traditions religieuses de l'humanité".
Au total, c'est un faux procès qui est intenté au pape quand on interprète son discours comme une condamnation de l'islam sur le thème de la guerre sainte. La simple lecture de ses propos dissipe tous les malentendus. Plus encore, ce texte est brillant et mérite d'être lu. Il montre, s'il était besoin, l'immense intelligence de notre pape et sa capacité à être profond et riche en restant bref.
5/ L'emballement médiatique
Une question se pose : qui a diffusé les propos de Benoît XVI ainsi travestis dans les médias mondiaux ? Dans quel but ?
Les premières critiques semblent être venues des médias allemands (dont l'agence DPA et le Frankfurter Allgemeine Zeitung) et italiens (La Repubblica), et ont donné lieu à des déclarations de responsables d'associations islamiques, dont le Dr Ingrid Mattson, présidente de l'Islamic Society of North America. Ces critiques ont été reprises le mercredi 13 septembre dans une dépêche AFP, puis dans la Libre Belgique et le journal permanent du Nouvel Observateur, qui en ont donné une version simplifiée. Ensuite, les journalistes ont procédé selon leur habitude, en recopiant leurs confrères sans vérifier l'information.
Plusieurs évêques français ont réagi publiquement pour restaurer la vérité des faits, dont Mgr Dominique Mamberti, le nouveau secrétaire des relations du Saint-Siège avec les États (le "ministre des Affaires étrangères" du pape), Mgr Michel Dubost, Mgr André Vingt-Trois, Mgr Jacques Perrier, et tout récemment le cardinal Jean-Marie Lustiger (au Monde, daté du 18 septembre). Il faut espérer qu'ils seront entendus.
*Editeur.
[1] Selon les traductions (Erstaunlich schroffer dans la version originale de Benoît XVI).