Conflit avec la Géorgie en 2008, annexion de la Crimée en 2014, et exercices militaires d’ampleur de type « Vostok 2018 », Vladimir Poutine multiplie les occasions d’étaler la puissance de l’armée russe. Le président russe entretient un climat de tension à l’ouest et au sud de ses frontières. Si la désescalade tant espérée par les Européens semble devoir s’amorcer aux frontières ukrainiennes, il n’en reste pas moins que la Russie et son armée sont perçues comme menaçantes pour nombre de leurs voisins.
Le spectre de la guerre tant à s’éloigner quelque peu, mais les dernières semaines ont été riches d’enseignement. La Russie n’hésite plus à faire pression sur son voisin ukrainien en disposant de 100 000 hommes et de matériel de guerre à quelques encablures de la frontière. L’Ukraine est quant à elle bien esseulée sur le plan militaire avec un allié américain prompt à condamner les mouvements de troupes russes, mais pas disposé à résister sur le terrain. Finalement, seule la diplomatie européenne a su faire preuve d’une certaine efficacité avec cette volonté de poursuivre le dialogue malgré les signaux négatifs envoyés par Moscou.
Si l’invasion de l’Ukraine est de l’ordre du possible pour l’armée russe, quand est-il vraiment de sa puissance militaire ?
Un géant militaire sans rival au niveau européen
La Russie est un état continent, à cheval sur l’Europe et l’Asie. Son immense territoire – le plus vaste du monde avec plus de 17 millions de km² – lui permet de disposer de bases militaires allant de la mer Noire au détroit de Béring.
Longtemps, la profondeur stratégique de la Russie a constitué son principal atout en plus de celui d’hivers rigoureux. La prise de Moscou par Napoléon et la retraite de la Grande Armée ont précédé la bataille de Stalingrad et la vaine percée allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les étendues glacées ont joué un rôle considérable dans les échecs essuyés par ces forces conquérantes, mais le paradigme est désormais autre. L’armée russe est perçue comme ayant des velléités conquérantes et non plus défensives.
La Russie dispose d’une armée d’un peu plus d’ 1 million de soldats. Des effectifs de taille auxquels s’ajoute une conscience et une admiration collective pour l’armée et la sécurité du territoire russe. Une sécurité mise à mal selon le Kremlin si d’aventure l’Ukraine venait à rejoindre l’OTAN. L’organisation militaire créée par les États-Unis contre l’URSS n’a en effet cesser de croître depuis la fin de la Guerre froide cernant en grande partie les frontières occidentales de la Russie. Du point de vue russe, Kiev n’a pas vocation à entrer dans l’OTAN et la pression exercée au cours de cet hiver 2021-2022 est venue le rappeler avec force.
La pression a été vraiment intense, car tous les experts s’accordent à dire qu’il n’y a pas de réponse militaire soutenable pour l’Ukraine contre la cinquième armée au monde en termes d’effectifs. Une armée aujourd’hui mieux équipée et dotée de technologies redoutables.
Une puissance technologique considérable
Avec aujourd’hui plus de 70 % de matériels neufs, la Russie vainc ses vieux démons géorgiens. Le conflit de 2008 avait révélé des défaillances aussi bien techniques qu’organisationnelles au sein de l’armée russe. Cette modernisation des outils de l’armée russe a été permise par une hausse de 175% de son budget militaire depuis 10 ans. 21 000 chars, 50 000 blindés de combat dotent l’armée de terre russe d’une capacité de frappe considérable.
La menace russe prend aussi la forme d’une puissance nucléaire aujourd’hui inégalée. Le pays dispose de plus de 6 257 missiles nucléaires. La Russie est la première puissance nucléaire devant les États-Unis (5 550), distançant de loin la Chine (350), la France (290), et autres puissances qui disposent de l’arme atomique.
Enfin, la Russie entretient une relation ambiguë, mais étroite avec la Chine
A partir des années 1990, la Russie et la Chine ont progressivement tissé des relations politiques et économiques importantes. En 1996, a été créée l’organisation de la coopération de Shanghai (OCS). S’affirmant en opposition à un monde sous hégémonie américaine, l’alliance est avant tout économique, mais la puissance démographique qu’elle représente (rassemblant plus de la moitié de l’humanité par la présence de la Chine et de l’Inde dans l’alliance) est un atout considérable. Le poids démographique, en plus de la croissance économique impressionnante qui portent ces pays leur donnent, sur l’échiquier politique mondial, une place de plus en plus incontournable.
Par ailleurs, la Russie a gardé son influence sur d’anciens pays satellites. Par exemple l’OTSC, rassemble d’anciennes républiques soviétiques (Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan) indépendantes depuis le début des années 1990. Cette organisation fait figure de contre-alliance face à l’OTAN même si son poids militaire est bien moindre.
La menace russe est plus perceptible que jamais et repose sur une puissance militaire indéniable. Secondée par des pays satellites et une puissance chinoise qui poursuit certains objectifs communs (défi face aux États-Unis, volonté de ne subir aucune ingérence dans ce qu’elle juge comme relevant de sa politique intérieure ou de sa sphère d’influence), la Russie est un acteur incontournable de la géopolitique mondiale. Au fond, les Russes n’ont jamais oublié que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.
Philippe Dubois