Jean 3,16-18 : Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle.
Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. 18 Qui croit en lui n'est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.
LA MAMAN qui tient son petit bébé dans ses bras avec tendresse et délicatesse, par le fait même, sans même le savoir, elle fait l'expérience de la Trinité. L'amour maternel qui est dans son cœur découle, par un canal secret, de cet amour qui est en Dieu, j'allais dire l'amour avec quoi Dieu est fabriqué.
La Trinité n'est donc pas un rébus, elle est un don, don libérateur et précieux. Ce mystère nous dit que Dieu n'est pas hétérogène à l'expérience la plus noble de l'homme.
La Trinité nous apprend, elle nous révèle que Dieu n'est pas je ne sais quel Narcisse refermé sur lui-même. Narcisse, un jeune homme de la mythologie grecque, d'une beauté exceptionnelle. Vous connaissez l'histoire : un jour qu'il s'abreuvait à une source, voyant son reflet dans l'eau, il en tomba amoureux. Resté de longs jours à contempler son image, il désespérait de ne jamais pouvoir rattraper son propre visage. Il finit par en mourir.
Narcissisme ? Régis Debray, qui était dans l'entourage de François Mitterrand, est un intellectuel qui semble opérer ces temps-ci un certain changement de point de vue. On vient de l'interviewer sur Mai 68 dans l'Express, à l'occasion de la réédition de son brillant pamphlet paru en 1978, intitulé Mai 68, une contre-révolution. Je résume son propos, il dit que Mai 68 a été une "démocratisation du narcissisme". Comme si le narcissisme devait ne pas rester dans les beaux quartiers et se répandre partout ! Il parle aussi du "nombrilisme d'une génération".
Revenons à la Trinité, d'ailleurs nous n'en sommes pas loin.
La fête d'aujourd'hui nous apprend, suite à l'Évangile et aux lettres de Paul, que, en Dieu, il n'y a pas la moindre trace de narcissisme, pas la moindre goutte de nombrilisme. Aucun repli sur soi : c'est aussi le programme du chrétien.
Certes, les lectures d'aujourd'hui ne nous font pas entendre le mot "trinité", ce mot ne se trouve pas dans les Écritures. Cependant beaucoup d'expressions de la liturgie, venant des lettres de Paul principalement, apportent un écho de ce mystère. Moi-même, chers amis, au début de cette eucharistie, je vous ai salués par une formule nettement trinitaire, qui est la suivante : "La grâce de Jésus notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit-Saint soient toujours avec vous." Faut-il rappeler aussi que le signe de croix, souvent tracé par le chrétien sur sa poitrine, ce signe est un énoncé de la Trinité ? Faut-il rappeler encore que tous nos baptêmes consistent à verser l'eau sur un front "au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit", en obéissance à l'injonction du Seigneur rapportée par Matthieu, chapitre 28, verset 19 ?
Au niveau de l'histoire de l'Église, il fallut défendre à plusieurs reprises ce mystère trinitaire souvent rejeté par la raison quand elle ne raisonne pas suffisamment. Il fut établi définitivement lors des conciles oecuméniques de Nicée (325) et de Constantinople (381).
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Seconde partie de cette méditation, attardons-nous un peu sur le très beau texte de Jean, qui clôture l'entretien avec Nicodème au chapitre trois.
Le mot "trinité" peut sembler abstrait. En revanche, la parole de Jean ne l'est pas, au contraire il annonce : "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique." Nous savions déjà que "Dieu est amour", mais nous ne savions pas qu'il l'était jusque là, jusqu'à donner le meilleur de lui-même, son propre Fils, le Bien-aimé, sur une croix.
Jean était le seul apôtre qui assista de près à la tragédie du Calvaire, avec Marie il était aux premières loges. Il insiste sur le Fils, "son Fils unique". On songe au sacrifice d'Isaac par son père Abraham.
Nous aussi nous sommes au pied de la croix ! Devant ce mourant, témoignage ultime de l'amour de Dieu pour nous, il n'est plus permis d'hésiter ou de biaiser. Ni non plus d'ergoter. Depuis ce gibet, depuis ce phare, nous sommes transpercés par un faisceau de lumière ou alors aspirés dans le trou noir. Dieu est lumière. Depuis le Golgotha surgit un flash, il n'est plus possible de se réfugier, de se cacher dans l'ombre, nous sommes démasqués.
Chers amis, vous le voyez, le mystère de la Trinité n'est pas je ne sais quelle abstraction pour savant coupant des cheveux en quatre. Bien au contraire, ce mystère est capital pour nos vies, il est existentiel : "Celui qui croit en lui échappe au jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé".
Redisons, relisons la parole de Jean, qui est une lumière dans la nuit :
"Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique. Tout homme qui croit en lui ne périra pas, il obtiendra la vie éternelle, tout homme qui refusera de croire est déjà jugé."
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Je terminais la préparation de cette homélie le lundi de Pentecôte. Dans l'après-midi, je vais jeter un coup d'oeil à la télévision. Je tombe sur le Titanic, en train de couler évidemment.
Vous connaissez les faits : le superbe paquebot de la White Star Line était réputé insubmersible, il ne pouvait pas couler. Dans la mythologie grecque, les Titans sont des personnes ou des objets géants. Or pour son voyage inaugural, une nuit d'avril 1912, à cause d'un manque de prudence, ayant heurté un iceberg au sud de Terre-Neuve, il sombra en deux heures, faisant un grand nombre de victimes.
De même aussi, l'homme de tous les temps s'est cru insubmersible.
Arrogant, dans la force de son âge, il croit pouvoir se passer de Dieu.
Auto-suffisant, il se figure que rien ne pourra lui arriver. Cela s'appelle l'athéisme. Lors de la construction du navire, pour se moquer de leurs camarades catholiques irlandais, certains ouvriers avaient peint en grosses lettres, juste au-dessus de la ligne de flottaison, à l'endroit où l'iceberg a opéré son travail de cisaillement, ils avaient écrit en lettres énormes, encore visibles à travers plusieurs couches de peinture, quelques blasphèmes comme : "Ni Dieu ni Pape", et "Ni la terre ni le ciel ne peuvent nous engloutir".
Il y avait eu aussi l'orgueil des ingénieurs n'admettant pas l'ombre d'une erreur, l'orgueil de la compagnie anglaise désirant battre coûte que coûte (c'est le cas de le dire) le record de vitesse, l'orgueil du commandant ne tenant pas compte des conseils de prudence. Chers amis, vous voyez le rapport avec la Trinité du Dieu amour.
Oui, en Dieu, il n'y a aucun orgueil, aucune suffisance. Au lieu de vouloir jouer les titans, au contraire Dieu s'est toujours abaissé. Nous le voyons bien à la crèche et sur la croix. Nous l'apercevons dans la Trinité.
Prions pour que nos frères humains, laissant de côté toute bouffissure et jactance, se tournent vers la vérité, qui est le Dieu d'amour, Jésus son fils, et l'Esprit.
Tout à l'heure j'ai comparé la croix du Golgotha à un phare : que nos frères, parfois isolés sur un océan de noirceur, ne refusent pas la lumière venant de la Trinité. AMEN.
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