Les Français se rendent compte régulièrement que les stratégies de lobbying anglo-saxonnes sont infiniment plus efficaces que les leurs. Plutôt que de vouloir imiter des voisins différents, les Français gagneraient à renouer avec leur propre culture de l’influence.
EN MATIERE DE LOBBYING, la France tente régulièrement de se convaincre qu’elle doit rattraper son retard afin d’être à la hauteur de ses alliées ultramarines. C’est peut être oublier que les stratégies d’influence, loin d’être nées du hasard, sont les témoins d’une culture très ancienne qu’il serait parfaitement vain de prétendre redresser à l’aune des modes du temps.
Si l’on considère les stratégies françaises de l’influence, il s’avère que celles-ci ont été parfaitement efficaces dans deux domaines : la sphère culturelle et le champ politique. Même si l’on peut distinguer les hommes qui exercent effectivement le pouvoir de ceux qui soufflent leurs pensées à d’autres, le pouvoir et l’influence sont intimement liés. Ils s’inscrivent surtout dans une culture profonde qui est militaire et aristocratique en France.
Dans les loges de l'Opéra
Ceci explique que les Français aient excellé dans les cabales et intrigues littéraires d’une part et dans les camarillas politiques de l’autre. Il n’est que de dresser le tableau des cabales en France pour s’en rendre compte. Celles-ci s’inscrivent dans deux espaces majeurs : le théâtre et la Cour. D’un côté la cabale contre Phèdre de Racine (1677), de l’autre la cabale des Importants (1643).
Les Français conspirent admirablement dans les loges de l’Opéra de Paris et au Congrès de Vienne, quant aux affaires commerciales, elles sont traitées avec un parfait mépris. Or, d’un point de vue historique, les monarchies militaires du continent ont été doublées par les républiques marchandes qu’il s’agisse de la Hollande, de l’Angleterre ou des États-Unis.
La puissance des commerçants
C’est donc la culture d’influence des commis-voyageurs qui a fini par triompher. Comme ceux-ci ont favorisé l’avènement politique de ploutocraties — à peine déguisées en démocraties — afin que les marchandises puissent s’échanger sans aucune entrave, la nécessité de l’influence s’est fait sentir de façon accrue.
En premier lieu au sein des parlements nationaux, puis au sein des instances internationales, au fur et à mesure que celles-ci dépossédaient les représentations nationales, et enfin au sein des comités opaques édictant les normes infra-législatives, qui pour être discrètes n’en sont pas moins infiniment plus puissantes que les lois.
Dans ces circonstances, faut-il que les Français courent après une culture de l’influence commerciale qui n’est pas la leur ou à l’inverse renouent avec leur culture de l’intrigue politique afin de gagner d’une main ce qu’ils ont perdu de l’autre ? Il ne fait guère de doute que la seconde solution s’impose : peut-on forcer sa nature sans s’exposer à de cruelles déconvenues ?
Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr.
Illustr. : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
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