Malgré les bombardements intenses auxquels ils sont soumis, deux bastions kadhafistes résistaient toujours, le 30 septembre, aux ex-rebelles : Syrte (ville de 70 000 habitants située à 360 km à l'est de Tripoli et chef-lieu de la région d'origine du colonel Kadhafi) et Bani Walid (à 170 km au sud-est de Tripoli, une vaste oasis, fief des Warfala, l'une des plus grandes tribus libyennes). Comment expliquer cette résistance acharnée ? L'envoyée spéciale du Monde (26 septembre) a posé la question au colonel Abdel Salam Jadalla   commandant en chef de l'Armée nationale de libération libyenne sur le front est de Syrte . Réponse :  Ils savent que s'ils ne meurent pas au combat, ils seront jugés pour ces crimes et qu'au bout du compte, c'est la mort qui les attend.  Dans ces conditions, on peut comprendre que les kadhafistes ne soient guère disposés à rendre les armes !

Résultat : les forces aux ordres (plus ou moins...) du Conseil national de transition (CNT) continuent d'enregistrer de lourdes pertes (dont celle du commandant du front nord de Bani Walid, tué au combat). Une fois de plus, les ex-rebelles accusent l'OTAN de les assister trop mollement et réclament qu'elle intensifie ses frappes contre les combattants kadhafistes.  L'OTAN n'a pas pour objectif d'apporter un soutien aux forces du CNT au sol, a répondu le porte-parole de l'organisation. C'est pourquoi aucune coordination opérationnelle n'est effectuée avec les forces du CNT  (ce qui est évidemment une galéjade). Faire la guerre mais de loin, frapper fort mais pas trop, en affichant des motifs humanitaires, c'est toute l'équivoque de l'opération Unified Protector qui, en se rangeant clairement du côté des insurgés, a largement outrepassé la mission de protection des populations que lui a confiée l'ONU en mars dernier.

S'agissant précisément des populations, la crise humanitaire dépasse le seuil critique dans les fiefs kadhafistes assiégés. Le coordonnateur humanitaire de l'ONU en Libye, Panos Moumtzis, n'a pas caché sa  très grande préoccupation  pour les civils pris dans les combats. Les habitants manquent de tout : nourriture (spécialement du lait pour les bébés), eau potable, pétrole, électricité. Selon l'ONU, quelque 24.000 personnes ont fui Bani Walid et près de 2.000 ont quitté Syrte, ce qui ne signifie pas pour autant que leur sort soit enviable.

C'est à la fin novembre que les Nations unies prévoient de mettre un terme à leurs opérations d'aide humanitaire d'urgence en Libye. Mais n'avait-on pas prévu aussi de mettre fin à l'opération Unified Protector le 27 septembre ? Réuni le 22 septembre 2011 à Bruxelles, le Conseil de l'Atlantique nord, a prolongé de trois mois l'intervention militaire de l'OTAN dans les airs et aux larges des côtes libyennes.

Fixer une échéance paraît d'autant moins réaliste qu'on ne voit pas d'avancée  non plus sur le front des luttes intestines au CNT entre libéraux , islamistes, caciques de l'ancien régime ralliés à la rébellion et opposants de toujours, sans parler des oppositions régionales, tribales et claniques qui affectent la Libye. Confronté à une vive opposition des islamistes, le n°2 du CNT, le  libéral  Mahmoud Jibril, chef de l'exécutif, vient de créer à la surprise en annonçant qu'il ne ferait pas partie du prochain exécutif libyen, au cours d'une conférence de presse à Tripoli (29 septembre). Quant au n°1, Moustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition, il a reconnu qu'il était  confronté à une mentalité libyenne qui veut que chaque tribu, chaque région, chaque ville ait sa part dans le nouveau gouvernement. 

Celui-ci comptera-t-il, par exemple, des représentants des Amazighs (berbères) vivant dans les montagnes de l'ouest du pays et à la frontière avec l'Algérie, qui représentent 10% de la population libyenne ? Ils exigent que la langue amazigh soit reconnue dans la future Constitution et ont organisé une vaste manifestation pour soutenir leur revendication à Tripoli, le 26 septembre. Ils ont néanmoins peu de chance d'être entendus. Bien que persécutés par Kadhafi et majoritairement ralliés à la rébellion, les berbères sont facilement assimilés à des pro-Kadhafi sous prétexte que certains d'entre eux, les nomades Touaregs de Ghadamès, ont combattu aux côtés de l'ancien dirigeant. Après les pogroms anti-noirs de Benghazi et Misrata, la chasse aux Touaregs est ouverte. Le représentant de la Coordination des Touaregs pour la Libye, Ishak Ag Al-Husseini, a accusé les opposants à Kadhafi d'avoir mené des  liquidations collectives contre sa communauté qui compte environ 600.000 personnes.

Le Conseil national de transition (CNT) avait prévu d'annoncer la formation d'un gouvernement de transition le 18 septembre. Finalement, aucun gouvernement ne sera décidé avant la fin des combats. On peut craindre, dans ce climat de guerre civile, que même après la défaite des partisans de Kadhafi, il soit reporté aux calendes grecques...ou libyennes.

 

Sources : Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Nouvel Observateur, Jeuneafrique.com, Geostrategie.com

 

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