Adoptée de justesse, la réforme de la santé voulue par Barack Obama devra être revotée, à cause de vices de procédure. En principe, 32 millions de personnes vont enfin pouvoir disposer d'une couverture médicale aux États-Unis, comblant ainsi un retard sidérant à nos yeux d'Européens. Le paradoxe veut que ce progrès social fait subir une défaite majeure à la culture de vie.
La presse française n'a pas vu à quel point la question de l'avortement est cruciale dans le vote des membres de la chambre des représentants. Au contraire, on a cru que les concessions d'Obama sur l'emploi des fonds fédéraux à propos de l'avortement effaçaient toutes les difficultés alors qu'il s'agit d'un leurre dénoncé vigoureusement pas les évêques catholiques : faute de garantie législative formelle , n'importe quel avocat obtiendra satisfaction pour le remboursement d'un avortement.
Dans le Figaro du 23 mars, Laure Mandeville écrit : Ce lundi, tout en se réjouissant du passage de la loi, le New York Times et le Washington Post insistaient sur le fait que pas une voix républicaine n'avait rallié le projet , sans mentionner pourquoi. La raison première de leur opposition était que la loi donne à l'État pour la première fois aux U.S.A. la possibilité de financer l'avortement avec les impôts des citoyens, en dépit du décret Obama sur les fonds fédéraux, et surtout n'offre aucune protection en faveur de la liberté de conscience.
Ni l'AFP, ni Le Monde ne mentionne seulement le mot avortement dans leurs articles ou dépêches sur cette question. Pourtant ces vénérables institutions auraient pu lire dans le New York Times, dès le 21 mars :
Après un an de combat et des semaines de manœuvres d'intimidation législatives, les démocrates de la Chambre des représentants et la Maison Blanche ont remporté leur victoire quelques heures seulement avant le début du vote le dimanche. Ils se sont mis d'accord avec les opposants à l'avortement au sein de leur parti pour rappeler dans un décret présidentiel que les fonds fédéraux fournis par le projet de loi ne pouvaient être utilisés pour les avortements, ralliant pour les démocrates la poignée de vote finale voix dont ils avaient besoin pour en assurer le passage [1].
Pourquoi cet échec ?
Le tour de passe-passe annoncé sur les fonds fédéraux n'a donc convaincu que les démocrates. Alors que le puissant mouvement en faveur de la vie semblait avoir le vent en poupe aux États-Unis, pourquoi cet échec ?
Le Parti républicain, opposé majoritairement à l'avortement, se structure autour d'une alliance forte des milieux d'affaire et des milieux familiaux contre l'interventionnisme d'État dans la vie des personnes et des entreprises. Lorsqu'il fut au pouvoir dans les années Reagan (1981-1989), Bush père (1989-1993) et Bush fils (2001-2009), le Parti républicain n'a pas su écouter les demandes pourtant répétées des évêques catholiques (cf. communiqué ci-dessous) et les besoins des millions d'Américains qui souffraient d'un manque criant de couverture de santé. Il eut pourtant été possible de proposer des solutions respectant le principe de subsidiarité et évitant un interventionnisme d'État qui n'est pas dans la culture profonde des États-Unis.
La pression de la demande profita à Obama. Rappelons par ailleurs que celui-ci fut élu avec un soutien fort de Planned Parenthood, le réseau du Planning familial américain, champion du droit des femmes à disposer de leur corps , dont il partage avec son épouse les options idéologiques.
Parallèlement, la crise morale qui toucha la société américaine autour de la contraception et de l'avortement n'épargna pas les catholiques : sur les 136 catholiques de la chambre des représentants, 127 ont voté pour une loi qui développe l'accès à l'avortement sans protéger la liberté de conscience des personnels médicaux, et que les évêques ont pourtant condamnée fermement.
Les mouvements en faveur de la vie avaient mis leur espoir dans Bart Stupack, membre démocrate de la Chambre des représentants et défenseur de la vie. Celui-ci avait su constitué autour de lui une coalition de 24 démocrates favorables à la vie , sur lesquels s'abattit une pression politique démentielle. Résultat, il perdit la moitié de ses soutiens, puis... lui-même choisit, après des manœuvres d'intimidation législatives (cf. New York Times ci-dessus), de céder en échange d'un Executif Order (décret présidentiel) censé réaffirmer le consensus précédent entre démocrates et républicains : pas de financement fédéral de l'avortement et liberté de conscience .
Or les juristes consultés sont formels : ce décret ne vaut pas le papier sur lequel il a été signé . C'est également l'opinion des évêques américains qu'ils expriment néanmoins en des termes plus diplomatiques : Le fait qu'un décret soit nécessaire pour clarifier des points de la législation montre qu'il existe des déficiences dans la loi elle-même. Nous ne comprenons pas comment un décret, aussi bien intentionné soit-il, peut se substituer à des dispositions légales.
Aux États-Unis, en effet, la loi est faite par le Congrès et non par le Président ; tous les étudiants en droit constitutionnel savent cela. Bart Stupack avait un air un peu gêné sur Foxnews, la chaîne conservatrice, en essayant d'expliquer le contraire... Il a lui-même admis qu'il disposait des quatre voix qui auraient pu faire échouer le vote. Contrairement à ses espérances, la culture de vie n'a pas trouvé son Thomas More.
Nous publions ci-dessous, traduit par nous-mêmes, le communiqué de presse de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, publié après le vote de la loi.
Une loi profondément viciée
Communiqué de presse de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB)
23 mars 2010
Depuis près d'un siècle, les évêques catholiques des États-Unis appellent à une réforme de notre système de santé afin que tous puissent avoir accès à des soins qui tiennent compte et confirment leur dignité humaine. Être un disciple signifie, travailler pour que toutes les personnes aient accès à ce qui les rend pleinement humain et favorise leur dignité humaine (Catéchisme pour adultes USA, p. 454). Parmi ces éléments figure la fourniture des soins de santé nécessaires et appropriés.
Pendant trop longtemps, aucune réponse n'a été donnée à cette question dans notre pays. Souvent, alors que beaucoup avaient accès à des soins médicaux excellents, des millions d'autres, y compris des femmes enceintes, des familles en difficulté ou ayant des problèmes médicaux ou physiques graves étaient dans l'incapacité de payer les soins dont ils avaient besoin. En tant qu'évêques catholiques, nous avons exprimé notre soutien aux efforts pour combler cette lacune nationale et sociale. Nous nous sommes exprimés en faveur des plus pauvres et de ceux qui vivent parmi nous sans défense. De nombreux éléments de la réforme de santé promulguée par le Président répondent à ces préoccupations et contribuent ainsi à remplir le devoir que chacun d'entre nous a envers le bien commun. Nous sommes des évêques, et par conséquent des pasteurs et des enseignants. Dans ce rôle, nous applaudissons les efforts déployés pour élargir à tous les soins de santé.
Des déficiences
Néanmoins, quel que soit le bien que cette loi apporte ou a l'intention d'apporter, nous, les évêques catholiques, nous sommes opposés à son vote, car il existe des preuves formelles qu'elle étendra le rôle du gouvernement fédéral pour financer et faciliter le recours à l'avortement et aux assurances qui le couvrent. La loi propose des milliards de dollars de nouveaux financements sans interdire explicitement l'utilisation de ces fonds pour l'avortement, et elle accorde des subventions fédérales pour des programmes de santé incluant les avortements. Son échec à préserver le statu quo juridique qui a réglementé la position du gouvernement face à l'avortement, comme le faisait le projet de loi initial adopté par la Chambre des représentants en novembre dernier, pourrait remettre en cause ce qui fut la loi de notre pays depuis des décennies et qui menace le consensus de la majorité des Américains: les fonds fédéraux ne peuvent pas être utilisés pour des avortements ou des programmes qui incluent des avortements. Plus étrange encore, la loi oblige tous ceux qui choisissent des programmes subventionnés par le gouvernement fédéral qui couvrent l'avortement à payer pour financer les avortements d'autres personnes avec leurs propres deniers. Si cette nouvelle loi vise à empêcher les gens d'être complices de l'avortement des autres, elle est en guerre avec elle-même.
Nous partageons pleinement la volonté admirable du président Obama, exprimée dans son décret présidentiel (Executive Order) à venir, dans lequel il déclare qu' il est nécessaire d'établir un mécanisme de contrôle adéquat pour s'assurer que les fonds fédéraux ne seront pas utilisés pour des avortements . Toutefois, le fait qu'un décret soit nécessaire pour clarifier des points de la législation montre qu'il existe des déficiences dans la loi elle-même. Nous ne comprenons pas comment un décret, aussi bien intentionné soit-il, peut se substituer à des dispositions légales.
La loi est en outre profondément viciée parce qu'elle a omis d'inclure les mesures nécessaires pour fournir les indispensables protections de la liberté de conscience (tant à l'intérieur qu'au-delà du contexte de l'avortement). De plus, de nombreux travailleurs immigrés et leurs familles pourrait être mis dans une situation beaucoup plus difficile puisqu' ils ne seront pas autorisés à acheter une couverture de santé dans les nouveaux dispositifs à venir, même s'ils utilisaient leur propre argent.
De nombreuses personnes au Congrès et dans l'Administration, ainsi que des personnes et des groupes de la communauté catholique, ont insisté à plusieurs reprises pour qu'il n'y ait pas de financement fédéral en faveur de l'avortement dans cette loi et pour qu'une forte protection de la liberté de conscience soit assurée. D'autres analyses qui ont été publiées montrent que tel n'est pas le cas, et c'est la raison pour laquelle nous nous y opposons, dans sa forme actuelle. Nous et beaucoup d'autres suivront la mise en œuvre par le gouvernement de la réforme des soins de santé et veilleront à ce que le Congrès et l'administration soient à la hauteur des promesses qui ont contribué à son passage. Nous pensons enfin qu'une nouvelle législation sera presque certainement nécessaire pour répondre à ses lacunes.
Comme évêques, nous tenons à signaler les actions fondées sur leurs principes des membres en faveur de la vie du Congrès des deux partis, à la Chambre et au Sénat, qui ont travaillé courageusement pour créer une législation qui respecte les principes énoncés ci-dessus. Ils ont souvent été vilipendés et ont du travailler contre de puissants courants.
En tant qu'évêques de l'Église catholique, nous parlons en son nom et en faveur de la foi catholique elle-même. La foi catholique n'est pas un programme qui répond à un parti, et nous saisissons cette occasion pour renouveler notre engagement à travailler en faveur de soins de santé qui vraiment et pleinement garantissent la vie, la dignité, la conscience et la santé de tous, de l'enfant dans le sein de sa mère jusqu'aux derniers jours des personnes sur la terre.
[1] Texte original : "After a year of combat and weeks of legislative brinksmanship, House Democrats and the White House clinched their victory only hours before the voting started on Sunday. They agreed to a deal with opponents of abortion rights within their party to reiterate in an executive order that federal money provided by the bill could not be used for abortions, securing for Democrats the final handful of votes they needed to assure passage."
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