La Turquie enflamme à nouveau les esprits. Une petite phrase tenue par le secrétaire d'État du Saint-Siège, Mgr Tarcisio Bertone, à la fin d'un entretien accordé à un journaliste de la "Stampa", a provoqué un tintamarre qui témoigne de la déraison qui s'empare régulièrement du monde médiatique.
À l'unisson, les agences ont annoncé immédiatement : Le Vatican pour l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Manipulation ou ignorance ? Sans doute un peu les deux. Il reste que la fin de l'irrationalité avec laquelle les Européens abordent la question turque elle-même n'est pas pour demain. Et que l'essentiel du message de l'Église passe encore à la trappe, malheureusement.
Les faits tout d'abord. C'est à l'issue d'un colloque organisé le 29 mai dans les locaux flambant neufs de l'Université européenne de Rome (de la Légion du Christ), sur le thème Christianisme et sécularisation , que le cardinal répond aux questions de plusieurs journalistes, dont Marco Tosatti (la Stampa).
Le cardinal évoque la montée du laïcisme européen, sur un ton très tocquevillien : "Le despotisme n'a pas besoin de religion, la liberté, si." Il constate et accepte la confrontation, mais condamne le mensonge médiatique, comme dans le traitement du voyage du pape au Brésil, où l'on a falsifié les faits. Enfin, le journaliste lui demande comment une Europe sécularisée peut discuter avec une Turquie ouvertement sujette à l'islamisme; Mgr Bertone, fidèle au souci constant du Saint-Siège de protéger les populations chrétiennes, souligne l'attachement de la Turquie à la laïcité, un attachement qui pourrait permettre son entrée dans l'Union européenne. Voici le texte intégral de l'échange, traduit par nos soins :Q. – Nous parlons de sécularisation. On parle de l'entrée en Europe d'un pays, comme la Turquie, qui a un problème opposé, celui du fondamentalisme, et qui veut entrer en Europe.
R. – Il est vrai qu'il y a un peu de contradiction. La Turquie est un pays qui se définit laïque ; en Europe on exalte le laïcisme comme tel, pas seulement la laïcité, mais le laïcisme, et au nom de ce laïcisme on ne veut aucune référence aux racines judéo-chrétiennes. Cependant même la Turquie a fait beaucoup de chemin, et continue de progresser. Je veux dire qu'il y a des évolutions ; il y a naturellement des positions très diverses, mais dans le concert des sujets, peuples et gouvernements qui respectent les règles fondamentales de la vie commune, on peut dialoguer et construire ensemble un bien commun à l'échelle européenne et même à l'échelle de la communauté internationale.
Q. — Même avec une entrée en Europe ?
R. – Même avec une entrée en Europe.
Le cardinal ne dit nulle part, et a fortiori officiellement, que le Saint-Siège souhaite l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne (ce qui n'est pas en son pouvoir, comme il avait été rappelé avant et après le voyage du Saint-Père à Ankara en novembre dernier).
Premièrement, il mentionne la tradition laïque turque, et son "évolution", ce que l'on peut lire comme le soutien d'une ligne préservant davantage la liberté religieuse que les menaces du fondamentalisme musulman.
Deuxièmement, il évoque les conditions d'une coexistence pacifique au sein du corps politique et dans le cadre des relations internationales (les règles fondamentales de la vie commune). A cet égard, on peut dire deux choses : a/ tous les peuples y sont soumis (et seraient sans doute inspirés d'écouter ce que dit l'Église à leur sujet, et de lui laisser la liberté de créer les conditions de leur mise en œuvre) ; b/ ces conditions peuvent s'exercer dans le cadre de l'Union européenne, Turquie y compris ou non.
Bref, une chose est de proclamer le Saint-Siège soutient l'entrée de la Turquie en Europe , autre chose voici ce que nous disons à l'Europe et à la Turquie pour remplir les conditions d'une vie commune, intégration ou non . Déontologiquement, il eut donc été plus juste de dire que, comme ils l'ont toujours dit, les diplomates du Saint-Siège ne s'opposent pas à l'entrée de la Turquie dans l'UE, une question qui n'est pas de leur ressort.
Et surtout, que l'essentiel du message de l'Église porte sur ces principes de vie commune. Pour que les choses soient plus claires, il suffit de se reporter à l'intervention du cardinal au cours du colloque lui-même, consacrée à la vanité d'une Europe où l'"on exalte la laïcité en tant que telle et même plus encore le laïcisme. Et au nom de ce laïcisme, on rejette toute référence aux racines judéo-chrétiennes". Cette "fermeture aux valeurs transcendantes, propre de la sécularisation, se coupe de la vérité et se substitue à l'idéologie, au scepticisme ou au nihilisme". Tout cela, a-t-il précisé, "contrairement à la vérité, n'ouvre pas mais intoxique ; n'éclaire pas l'intelligence, mais l'égare ; n'alimente pas la vie intérieure, mais la meurtrit jusqu'à l'étouffer ; ne renforce pas les valeurs, mais les rend plus incertaines ou, même, les vide".
Pour cette raison, les chrétiens "ne se conçoivent pas comme le résidu d'une Europe en voie de disparition, mais comme l'avant-garde d'une nouvelle Europe, qui – comme l'a souligné récemment le pape Benoît XVI — peut être réaliste et non cynique, riche d'idéaux et libre de toutes illusions naïves, inspirée par l'éternelle et vivifiante vérité de l'Évangile" (source : Zenit Italie, traduction Décryptage).
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