Lors d’une conférence de l'Association Régionale Nice Côte d'Azur de l'IHEDN (AR29), le 27 juin 2012, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, a livré aux auditeurs son sentiment sur les événements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe. Liberté Politique reproduit ici l’intégralité de sa conférence. Après une présentation saisissante de ce qu’il nomme l’hiver islamiste, ce spécialiste reconnu du monde arabo-musulman, développe davantage le cas de la Syrie, pays dont il est très proche, et procède à une mise au point historique.
Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé d‘islamisation au prix d‘une incompréhension généralisée et de l‘opprobre internationales.
Avant de développer ce sujet, je crois devoir faire une mise au point puisque d‘aucuns croient déceler dans mes propos et prises de positions des relents d‘extrême droite et de complaisance pour les dictatures.
Je me rends régulièrement en Syrie depuis 45 ans et y ai résidé pendant plusieurs années. Je ne prétends pas connaître intimement ce pays mais je pense quand même mieux le connaître que certains de ces journalistes qui en reviennent pleins de certitudes après un voyage de trois ou quatre jours.
Mes activités m‘ont amené à devoir fréquenter à divers titres les responsables des services de sécurité civils et militaires syriens depuis la fin des années 70. J‘ai pu constater qu‘ils ne font ni dans la dentelle ni dans la poésie et se comportent avec une absolue sauvagerie. Ce n‘est pas qu‘ils ont une conception différente des droits de l‘homme de la nôtre. C‘est qu‘ils n‘ont aucune conception des droits de l‘homme…
Un héritage historique
Leur histoire explique en grande partie cette absence. D‘abord, ils puisent leur manière d‘être dans quatre siècle d‘occupation par les Turcs ottomans, grands experts du pal, de l‘écorchage vif et du découpage raffiné. Ensuite, ils ont été créés sous la houlette des troupes coloniales françaises pendant le mandat de 1920 à 1943, et, dès l‘indépendance du pays, conseillés techniquement par d‘anciens nazis réfugiés, de 1945 jusqu‘au milieu des années 50, et ensuite par des experts du KGB jusqu‘en 1990. Tout ceci n‘a guère contribué à développer chez eux le sens de la douceur, de la tolérance et du respect humain.
Quant au régime syrien lui-même, il ne fait aucun doute dans mon esprit que c‘est un régime autoritaire, brutal et fermé. Mais le régime syrien n‘est pas la dictature d‘un homme seul, ni même d‘une famille, comme l‘étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père, Bashar el-Assad n‘est que la partie visible d‘un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d‘Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d‘une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l‘Occident semble encourager et promouvoir dans la région.
Quand je suis allé pour la première fois en Syrie en 1966, le pays était encore politiquement dominé par sa majorité musulmane sunnite qui en détenait tous les leviers économiques et sociaux. Et les bourgeois sunnites achetaient encore – parfois par contrat notarié – des jeunes gens et de jeunes filles de la communauté alaouite dont ils faisaient de véritables esclaves à vie, manouvriers agricoles ou du bâtiment pour les garçons, bonnes à tout faire pour les filles.
Alaouites : des apostat pour les Sunnites
Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée depuis plus de mille ans. Je vous en donne ici une description rapide et schématique qui ferait sans doute hurler les experts mais le temps nous manque pour en faire un exposé exhaustif.
Issus au Xè siècle, aux frontières de l‘empire arabe et de l‘empire byzantin, d‘une lointaine scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de syncrétisme mystique compliqué entre des éléments du chiisme, des éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom d‘Alaouites – c‘est à dire de partisans de Ali, le gendre du prophète – quand ils veulent qu‘on les prenne pour des Musulmans et sous le nom de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a fondé leur courant – quand ils veulent se distinguer des Musulmans. Et – de fait – ils sont aussi éloignés de l‘Islam que peuvent l‘être les chamanistes de Sibérie.
Et cela ne leur a pas porté bonheur… Pour toutes les religions monothéistes révélées, il n‘y a pas pire crime que l‘apostasie. Les Alaouites sont considérés par l‘Islam sunnite comme les pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l‘ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n‘a jamais été remise en cause et est toujours d‘actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères Musulmans. Pourchassés et persécutés, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l‘actuelle Turquie tout en donnant à leurs croyances un côté hermétique et ésotérique, s‘autorisant la dissimulation et le mensonge pour échapper à leurs tortionnaires.
Un revirement social grâce à un renversement politique
Il leur a fallu attendre le milieu du XXè siècle pour prendre leur revanche. Soumis aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, les bourgeois musulmans sunnites de Syrie ont commis l‘erreur classique des parvenus lors de l‘indépendance de leur pays en 1943. Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que l‘institution militaire n‘était qu‘un médiocre instrument de promotion sociale, ils n‘ont pas voulu y envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé l‘encadrement de l‘armée de leur tout jeune pays aux pauvres, c‘est à dire les minorités : chrétiens, ismaéliens, druzes, chiites et surtout alaouites. Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux persécutés, vous prenez le risque à peu près certain qu‘ils s‘en servent pour voler les riches et se venger d‘eux. C‘est bien ce qui s‘est produit en Syrie à partir des années 60.
Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d‘une des plus modestes familles de la communauté alaouite, devenu chef de l‘armée de l‘air puis ministre de la défense, s‘est emparé du pouvoir par la force pour assurer la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille appartient et des minorités alliées – chrétiens et druzes – qui l‘ont assisté dans sa marche au pouvoir. Il s‘est ensuite employé méthodiquement à assurer à ces minorités – et en particulier à la sienne – le contrôle de tous les leviers politiques, économiques et sociaux du pays selon des moyens et méthodes autoritaires dont vous pourrez trouver la description détaillée dans un article paru il y maintenant près de vingt ans [1].
La guerre civile des minorités alliées contre les Sunnites
Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chi‘ites, Ismaéliens et surtout par les Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d‘Irak et des Coptes d‘Égypte.
Car, contrairement à la litanie que colportent les bien-pensants qui affirment que « si l‘on n‘intervient pas en Syrie, le pays sombrera dans la guerre civile »… eh bien non, le pays ne sombrera pas dans la guerre civile. La guerre civile, le pays est dedans depuis 1980 quand un commando de Frères musulmans s‘est introduit dans l‘école des cadets de l‘armée de terre d‘Alep, a soigneusement fait le tri des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d‘assaut en application de la fatwa d‘Ibn Taymiyya. Les Frères l‘ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie – que l‘oncle de l‘actuel président a méthodiquement rasée en y faisant entre 10 et 20000 morts. Mais les violences intercommunautaires n‘ont jamais cessé depuis, même si le régime a tout fait pour les dissimuler.
L’incompréhension occidentale
Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie d‘accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective.
Peu habitué à la communication, le régime syrien en a laissé le monopole à l‘opposition. Mais pas à n‘importe quelle opposition. Car il existe en Syrie d‘authentiques démocrates libéraux ouverts sur le monde, qui s‘accommodent mal de l‘autoritarisme du régime et qui espéraient de Bashar el-Assad une ouverture politique. Ils n‘ont obtenu de lui que des espaces de liberté économique en échange d‘un renoncement à des revendications de réformes libérales parfaitement justifiées. Mais ceux-là, sont trop dispersés, sans moyens et sans soutiens. Ils n‘ont pas la parole et sont considérés comme inaudibles par les médias occidentaux car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage médiatisé du « dictateur » comme cela a été fait en Libye.
Photo : Drapeau de la Syrie libre lors d'une manifestation à Tel Aviv © Wikimedia Commons / Oren Rozen
Le chapo et les intertitres sont de la rédaction Liberté Politique.
[1] Alain Chouet, « La désintégration par le politique » in « Tribus, tribalisme et États au Moyen Orient », Maghreb-Mashrek n° 147, (Paris), 03/1995.
Objectivement, il y a alliance entre les Occidentaux (USA et UE), dominés par les franc-maçons, et les sunnites pour exterminer les chrétiens du Moyen-Orient. D'ailleurs, au sein même de nos pays, nos gouvernements s'emploient a détruire toutes les valeurs chrétiennes : IVG, euthanasie, mariage homo... Seule la sainte Russie s'oppose à ce mouvement : Bravo, Poutine !
Il faut savoir que le Président de Syrie a été élu par le Parti Baas. Ce parti est laïc et les chrétiens sont fortement représentés et bénéficient d'un traitement égal à celui des musulmans. Si l'on casse cet équilibre précaire, les choses vont se passer comme en Irak. Les chrétiens vont à nouveau être persécutés et obligés de s'exiler. La suite évidente est le développement d'un conflit au Liban, puis en Jordanie. Ensuite, il y aura Israël.
Le Washington Post a-t-il vendu une grosse mèche de l’administration Obama ? Sur son site, le quotidien de référence américain a mis en ligne ce 16 mai un article qui démontre crûment le double langage du gouvernement américain sur la Syrie. Officiellement, on s’en souvient, Washington avait désapprouvé la position et les agissements de ses amis qataris et séoudiens, résolus à financer et armer les rebelles. Les indications, largement médiatisées, de très hauts responsables militaires américains sur la présence d’al-Qaïda en Syrie motivaient sans doute cette « réserve » affichée. Les dirigeants américains concédaient cependant qu’ils fourniraient une aide « non léthale » à l’ASl, c’est-à-dire qu’ils lui donneraient des médicaments ou des moyens de communication, mais pas d’armes. Récemment, l’administration Obama s’était vantée d’avoir multiplié les contacts avec ses « amis et contacts » dans la région pour renforcer la crédibilité de l’opposition syrienne auprès des riches « donateurs » du Golfe. Ce que donc à la Maison Blanche et au Département d’État on appelait « accroître l’aide non léthale à l’opposition syrienne« .
Voir le commentaire en entierVous avez dit « non lethal » , Mr Obama ? Oui, mais le Washington Post nous apprend donc aujourd’hui que les rebelles « ont commencé à recevoir de plus grandes quantités d’armes, et de meilleure qualité, ces dernières semaines, une opération certes payée, indique le quotidien, par les États du Golfe, mais en partie coordonnée par les États-Unis. Le Washington Post s’appuie sur des déclarations d’opposants et d’officiels américains et autres. Ces officiels considérant qu’une montée en intensité de l’affrontement militaire en Syrie est désormais inévitable.
Dans cette perspective, de plus en plus sereinement et cyniquement envisagée par les responsables américains, du matériel s’est accumulé, écrit le W.P., dans certains endroits de Damas, d’Idleb et aussi à Zabadani, sur la frontière libanaise. Et, selon le quotidien, des opposants qui se plaignaient voici deux mois encore du manque de munitions et de matériel ont déclaré cette semaine que l’afflux d’armes s’était « significativement » accru après l’annonce par l’Arabie séoudite et le Qatar d’un financement mensuel de l’ASL et autres activistes à hauteur de plusieurs millions de dollars.
La Confrérie syrienne des Frères musulmans a ouvert sa propre « ligne de crédits » aux bandes armées, grâce à la générosité de donateurs privés ou étatiques (le Golfe, toujours) : un membre de la direction des « Frères », Mulham al-Drobi l’a affirmé.
Le Washington Post croit voir l’effet de ce réapprovisionnement massif dans le bilan (OSDH) des affrontements de lundi dernier à Rastan, qui se seraient soldés par la mort de 23 soldats syriens, un niveau de pertes inusité jusqu’à présent. Il faut cependant faire la part de la propagande, et dans le bilan annoncé par l’OSDH et dans le lien que fait le journal américain entre ce bilan annoncé et la crue de matériel parvenu en Syrie. Et puis, pas mal d’armes sont saisies, aux frontières et dans le pays, par les forces de l’ordre.. Ou par les douaniers et militaires libanais, chez eux.
Le Washington Post, toujours au chapitre de la politique d’assistance « non léthale » d’Obama à l’opposition syrienne, nous apprend aussi que cette même semaine, des « officiels » américains ont eu des discussions avec des représentants de Kurdes syriens, portant sur la possibilité « théorique » d’ouvrir conte le régime syrien dans une région jusque-là restée globalement à l’écart des troubles.
Entre les potentats théocratiques du Golfe et les impérialistes « démocrates » de Washington, il n’y a décidément que le niveau d’hypocrisie qui varie.
Pour le reste, les fournitures et manigances américano-wahhabites peuvent accroître le niveau de violence « léthale » en Syrie, elles ne pourront pas donner la victoire à leurs mercenaires. Cet engagement indirect étant le prix à payer, hélas, pour l’impuissance des Occidentaux à pouvoir mener une « bonne vieille guerre classique ». La Syrie se retrouve confrontée, outre les gangs salafistes, à au moins quatre « vrais-faux-belligérants » : les Américains, la Turquie, l’Arabie séoudite et le Qatar. Aucun ne passera à l’acte, et tous se battront jusqu’au dernier djihadiste syrien ou libyen, ou tunisien.”
Ci-daprès, le lien vers l’article du W.P. : http://www.washingtonpost.com/world/national-security/syrian-rebels-get-influx-of-arms-with-gulf-neighbors-money-us-coordination/2012/05/15/gIQAds2TSU_story.html