Alors que les évêques américains ont été invités par le saint-Siège à reprendre leurs textes sur les cas d'abus sexuels commis par des prêtres, la conférence des évêques de Suisse vient rendre public un court texte, fruit de cinq années de réflexion, intitulé : " Position concernant la bénédiction par l'Église de couples homosexuels et l'engagement par l'Église de personnes vivant en partenariat homosexuel.
" On ne peut qu'en recommander la lecture (1), ce dont se sont visiblement dispensés nombre de journalistes qui avaient à en parler. Chacune de ses phrases ayant sans doute été longuement pesée, claire, brève, sans langue de bois, ferme dans ses réponses, juste dans son argumentation, toujours empreinte de charité, la Position... apparaît soucieuse d'accorder le bien des personnes et la vérité objective de leur situation : " Nous n'assumerions pas notre responsabilité si nous ne répondions pas clairement à la question " est-il affirmé dans le premier des quatre points abordés. Puis, après le rappel de l'enseignement de la foi, la conférence des évêques répond aux deux questions posées.
Le principe général de la Position est celui qui guide l'Église depuis le Christ : il faut toujours distinguer le péché de la personne qui le commet, ou plus exactement, il faut toujours distinguer dans l'acte ce qui est malice, devant donc être réprouvé, de ce qui est misère, pour laquelle le pardon est toujours offert. " L'Église ne refuse pas les personnes homosexuelles [...] Mais elle ne peut en aucun cas approuver les actes homosexuels ". L'homosexualité est souvent " une tendance profondément enracinée [...] Mais cela ne veut pas dire que l'attrait homosexuel doit être réalisé et vécu activement [...] il existe des chemins de continence qui ne diminuent pas l'être humain, mais au contraire l'enrichissent ". " La prédisposition homosexuelle est une des nombreuses limites qui peuvent conditionner l'être humain, et ce n'est qu'en en tenant compte que celui-ci peut grandir et mûrir en humanité. "
" Une union homosexuelle, fondée pour durer, peut-elle recevoir la bénédiction de l'Église ? " La réponse est négative : on peut bénir la personne, on ne peut bénir l'acte par lequel est objectivement commis un mal. Au contraire, si l'on appelle sur la personne la bénédiction de Dieu, c'est pour l'aider à lutter contre le péché. Les évêques avancent une autre raison, politique (ce qui ne signifie pas qu'elle est d'une moindre importance car il en va du bien de tous), celle de la préservation de l'institution du mariage, qui est d'une nécessité vitale pour la société : " La relation entre homme et femme dans le mariage, donnée par la nature, précède [le] droit [défini par l'État] et en est la base. La société ne peut toucher à cette relation sans se mettre elle-même en danger. Par sa forme et sa tâche uniques et spécifiques, elle fait partie intégrante du plan créateur de Dieu. On ne peut en dire autant d'une union homosexuelle. "
" Des personnes vivant en partenariat homosexuel, peuvent-elles être engagées par l'Église pour le service de la Parole ? " La question ne vise pas seulement les clercs mais aussi les laïcs auxquels ont été confiées certaines missions au sein de l'Église. Les évêques commencent par remarquer que " les personnes qui sont au service de l'Église doivent, avant toute compétence professionnelle, être imprégnées du désir de devenir semblables à Jésus par toute leur existence [...] C'est pourquoi l'Église est particulièrement exigeante pour les personnes qui désirent se mettre à son service. Il ne s'agit ni d'une discrimination, ni d'une injustice ; car chaque service ecclésial est un don gratuit de Dieu auquel personne n'a le droit de prétendre. " Le discernement auquel les évêques procèdent n'est pas arbitraire. Il consiste à affirmer qu'une " prédisposition homosexuelle vécue dans la continence n'exclut pas du ministère ecclésial ", elle est au contraire un témoignage de la puissance de la grâce dans la nature blessée.
Ce principe doit cependant être appliqué avec prudence : lorsque la prédisposition est trop forte, le témoignage pourrait facilement se transformer en contre-témoignage. C'est pourquoi le discernement doit être adapté à chaque cas. En tout cela, les personnes homosexuelles sont dans la même situation que les personnes hétérosexuelles. En ce qui concerne les personnes ayant déjà reçu un service dans l'Église, ce qui est exigé est " la volonté ferme d'une continence sexuelle ". C'est à partir de ce principe que l'on peut distinguer ce qui est une défaillance, qui peut recevoir le pardon de Dieu, et ce qui est de la complaisance dans le péché, qui ne le peut pas. " Les personnes homosexuelles ou engagées dans le célibat qui décident explicitement de ne pas vivre la continence sexuelle, deviennent inaptes pour un ministère d'Église. " Ainsi, une personne qui est engagée dans une union homosexuelle ne veut objectivement pas vivre la continence. " Pour la même raison, des partenaires hétérosexuels qui vivent en union de vie sans être mariés, ne peuvent être admis par l'Église au service pastoral. " En dehors de ces situations claires, le discernement est affaire de sagesse et de prudence, au cas par cas.
Il n'y a qu'un point mineur sur lequel le texte des évêques suisses prête le flanc à la critique : il fait en effet référence à un autre texte dans lequel les évêques disaient n'être " pas opposés à l'idée d'introduire un partenariat enregistré " entre personnes homosexuelles tout en demandant que cela n'affecte pas le caractère unique du mariage. La Position rajoute que dans le domaine du droit civil la Conférence " prend positivement note de l'effort de trouver pour les unions homosexuelles durables des dispositions juridiques qui les préservent de toute discrimination dans les domaines successoral et autres ".
Il y a là une certaine contradiction : si le " partenariat enregistré " n'est pas un mariage, alors il n'y a aucune discrimination à ne pas lui appliquer des règles spécifiques au mariage. Si, au contraire, il a à voir avec le mariage, les évêques auraient dû s'opposer à son introduction. Le problème vient de ce qu'on a admis dès le début, que ce soit en France ou en Suisse, que le " partenariat " était un mode atténué " d'union " entre des personnes, ce qui conduisait nécessairement à aligner son régime sur celui du mariage.
Il aurait été plus conforme à la réalité d'opérer une distinction au sein de la notion de " tiers " : il y a en effet des tiers avec lesquels on contracte qui sont et resteront des étrangers (le commerçant, le bailleur...) ; il y en a d'autres avec lesquels on entretient des relations plus durables, des relations d'amitié qui impliquent certains actes de libéralité (on leur fait des cadeaux, on leur lègue des biens...). Entre les tiers étrangers et les membres de la famille, il existe la catégorie intermédiaire des tiers non-étrangers, ces prochains particulièrement proches auxquels le droit pourrait faire une place. Cela éviterait d'une part d'affaiblir le mariage en parlant " d'unions " pour ce qui n'en possède pas la nature, et d'autre part de recentrer les couples homosexuels durables sur ce qui leur permet effectivement de durer, à savoir l'amitié et non les seules relations sexuelles.
Le fr. Emmanuel Perrier, op, est dominicain au couvent saint Thomas d'Aquin de Toulouse.
(1) Un communiqué de presse est disponible, mais il vaudra mieux, et de beaucoup, se reporter au texte lui-même .