LA DECOMPOSITION de l’Irak ne sera pas sans conséquences sur l’équilibre général du Moyen-Orient (cf. carte infra). Or seules les puissances régionales sont aujourd’hui en mesure de mettre un terme au chaos. Parmi celles-ci, l’Iran peut jouer un rôle précieux.
Comment interpréter la désintégration actuelle de l’Irak ?
Le chaos actuel est la conséquence ultime de la deuxième guerre du golfe qui a mis fin à l’Etat irakien au profit de l’émiettement régional. Nous nous trouvons actuellement dans la situation de l’Irak du XIIIe siècle, lorsque Bagdad, était divisée en deux parties rivales. La partie Est, qui abritait le palais du Caliphe était plus peuplée mais en ruines. Elle s’opposait à Bagdad-Ouest, majoritairement shiite. Seuls deux ponts faisaient la jonction entre les deux parties.
L’on peut également rapprocher la situation présente de celle du XVIe siècle, période pendant laquelle l’Irak fut soumis aux influentes concurrences de l’Iran et de la Turquie : Bagdad changea trois fois de mains entre 1508 et 1638.
Est-il envisageable que l’Iran puisse stabiliser l’Irak ?
A l’évidence, l’Iran peut jouer un rôle majeur. Il ne faut pas oublier que la frontière culturelle entre les deux pays est somme toute, très artificielle. Pendant des siècles, la Mésopotamie a irrigué culturellement l’Iran achéménide. Puis la situation s’est renversée : l’Irak est devenu un relais essentiel pour la transmission de la culture et de la religion persane dans l’ensemble du monde musulman. Cette transmission a été un vecteur essentiel de stabilisation.
L’Irak a été touché à tel point par l’influence de la Perse que la partie sud de la Mésopotamie est nommé del-e-Iranshahr ( littéralement, le cœur du royaume d’Iran ).
Au XVe siècle, la plupart des Irakiens parlaient d’ailleurs le persan. L’Irak n’est donc pas un territoire comme un autre, il occupe une place extraordinaire dans l’imaginaire shiite. Ses lieux de pèlerinage s’inscrivent dans une géographie sacrée intimement liée à celle de l’Iran.
Comment pourrait s’effectuer cette stabilisation ?
Essentiellement par l’affermissement des liens économiques entre l’Iran et l’Irak oriental. L’Irak présente un intérêt économique très ancien pour l’Iran. Sous l’époque sassanide, cette province rapportait le tiers de l’impôt foncier de l’Empire. Les découvertes archéologiques indiquent qu’elle était en lien avec toutes les autres régions perses. Malgré les disputes récurrentes, les relations furent assez bonnes au XXe siècle.
Toutefois, les rivalités des grandes puissances, qui s’expliquent en raison des richesses minérales, ont empoisonné les relations entre les deux pays.
La guerre Iran-Irak (1980-1988) s’inscrit dans ce cadre.
Depuis 2003, les relations se sont normalisées et la coopération économique s’est approfondie. Aujourd’hui, la stabilisation de l’Irak ne sera guère possible sans les investissements iraniens. L’émergence de l’Iran, en tant que puissance économique responsable, constitue par conséquent la condition essentielle de la paix dans cette région fortement déstabilisée.
Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.
LES TERRITOIRES CONTRÔLÉS PAR L'EIIL
Source : L'Irak dans la tourmente, Synopsis, juin 2014
Sur ce sujet :
Irak : la renaissance du califat par l'EIIL, par Olivier Hanne
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