Comment l’Europe encourage le “chantage migratoire”

Source [Le Monde] L’immigration constitue l’arme ultime des pays du Sud. L’UE doit imaginer des mécanismes de régulation pour ne pas être à la merci d’Etats sans grand scrupule, souligne Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».

Derrière chaque immigré, il y a un émigré dont les origines bousculent l’ordre national du pays d’accueil. En s’exilant, aucun être humain ne fait une croix sur sa vie passée, a analysé subtilement le sociologue Abdelmalek Sayad dans La Double Absence (Seuil, 1999). A l’échelle collective, les migrations ne concernent pas seulement les pays de destination ; elles sont avant tout une réalité internationale mettant en jeu des rapports de force géopolitiques.

Le Maroc, en ouvrant soudainement sa frontière avec l’enclave espagnole de Ceuta, lundi 17 mai, laissant filer vers l’Union européenne (UE) quelque 8 000 de ses ressortissants, souvent très jeunes, pour faire pression sur Madrid à propos du Sahara occidental, a mis en lumière cette réalité trop souvent occultée : l’immigration constitue l’arme ultime des pays du Sud, un atout entre les mains des faibles pour faire pression sur les puissants.

Non seulement les hommes peuvent être chassés de chez eux par les guerres, les persécutions et la pauvreté, attirés par les lumières des pays nantis, mais ils constituent autant de pièces sur l’immense échiquier des relations diplomatiques.

 

Cette réalité n’est pas nouvelle. En 1980, Fidel Castro avait mis dans l’embarras le président américain Jimmy Carter en ouvrant les vannes de l’émigration au port de Mariel, provoquant un afflux incontrôlé de migrants, parmi lesquels de nombreux délinquants libérés de prison pour l’occasion par les autorités. Et, depuis plusieurs décennies, la pression migratoire des pays latino-américains constitue un enjeu central des relations entre le Mexique et les Etats-Unis et de la vie politique américaine.

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