Deux informations, apparemment indépendantes, ont été publiées cette semaine. D'une part Bercy a annoncé que les déficits publics seraient plus élevés que prévus, en 2005 comme en 2006. D'autre part, le taux d'épargne des ménages s'est réduit cette année et devrait diminuer encore l'an prochain.
Or ces deux informations sont liées, car un déficit accru implique un recours plus élevé à l'emprunt, donc à l'épargne des ménages. Une nouvelle fois, c'est le secteur privé qui risque de faire les frais de ce dérapage des déficits, puisque l'épargne qui finance les déficits publics ne sert pas à financer les investissements productifs.
Toujours 3% de déficit public
Rien ne va plus, une fois encore, du côté des déficits publics. Il y a des années que nous avons un déficit public égal ou supérieur à 3% du PIB. Chaque année, le gouvernement annonce une réduction de ce déficit, en particulier parce qu'il est contraire à nos engagements européens, et chaque année cette réduction n'a pas lieu : les déficits se maintiennent ou s'aggravent.
Il y a deux semaines que le gouvernement savait qu'il ne pourrait tenir ses objectifs, mais il vient seulement de l'admettre. Pour 2005, ce déficit devait être " sous la barre des 3% ". C'était un engagement fort du gouvernement. Mais les déficits publics ont dérapé dans tous les domaines : État, Sécurité sociale, assurance-chômage, collectivités locales. Résultat, selon Thierry Breton, " 3% de déficit public, c'est l'objectif du gouvernement cette année ". Plus question d'être en dessous.
Pour 2006, le déficit aurait dû, selon le gouvernement, tomber à 2,2%, avec une perspective d'équilibre à horizon 2007. Au bout de quelques mois, cette prévision a été changée pour passer à 2,7%. Cette semaine, toujours selon le ministre de l'Économie et des finances, " pour l'année prochaine, l'objectif sera d'être dans cette marge (3%) et pas au-dessus ". Autrement dit, ce sera déjà bien si on arrive à limiter le déficit public à 3% du PIB ! Selon Les Echos, compte tenu de la faible croissance, " 3% de déficit serait déjà un tour de force ".
1.100 milliards d'euros de dette
En réalité, de nombreux experts pensent que l'on sera plus près des 3,4 ou 3,5%. En effet, pour cette année, le déficit a été artificiellement réduit grâce à une soulte apportée par EDF de 0,4% du PIB. Ce miracle ne se reproduira pas l'an prochain. Faut-il s'étonner de cette situation ? Avec une croissance très inférieure aux prévisions (par exemple moins de 1,5% de hausse du PIB en 2005), les recettes fiscales sont elles aussi très inférieures aux prévisions budgétaires. Et la même situation va se reproduire en 2006, puisque le budget qui est en préparation repose sur une hypothèse de 2,5% de croissance, alors qu'on sait déjà qu'elle sera inférieure à 2%. À cela, il faut ajouter le nouveau dérapage de la Sécu, qui va nécessiter un nouveau plan de redressement.
En réalité, on sait très bien que le déficit ne diminuera sérieusement que lorsque les dépenses publiques diminueront. Ce n'est pas en gelant, comme s'apprête à le faire le gouvernement, 4 milliards de crédits cet automne que l'on va régler le problème. Mais c'est en réduisant fortement le nombre de fonctionnaires. Il fallait, dès cette année et a fortiori en 2006 ne pas compenser les départs en retraite. Le minimum était de ne compenser qu'un départ sur deux. Or, pour 70 000 départs en retraite, il y aura à peine 5000 recrutements de moins, sans compter les postes de non titulaires crées à l'Éducation nationale (45 000 !).
Par ailleurs, il faut impérativement faire redémarrer la croissance ; pour cela, il faut réduire les impôts, pour relancer l'offre par l'incitation à produire et à entreprendre. Raison de plus pour réduire encore plus les dépenses publiques. Mais, en attendant, rien de tout cela n'est fait et les déficits explosent. Il faut donc les financer. Solution immédiate : on emprunte toujours plus. Cela va gonfler l'endettement public, qui dépasse déjà les 1.100 milliards d'euros (7000 milliards de francs, soit une dette publique de 18.000 euros par personne, enfants compris).
Les déficits d'aujourd'hui font les impôts de demain
Dans ces conditions, l'endettement public va dépasser les 67% du PIB, ce qui fait que nous sommes en dehors des clous pour un second critère européen, puisque nous avons pris l'engagement de ne pas dépasser les 60% d'endettement. Nous nous rapprochons à grande vitesse des 70% du PIB. En attendant, la charge de la dette (c'est-à-dire le poids des seuls intérêts) pèse de plus en plus lourd sur le budget (aggravant le déficit) et est devenu le second poste budgétaire, juste avant l'Éducation nationale et largement devant la Défense.
Bien entendu, il faudra un jour ou l'autre rembourser cette dette publique. Comment ? Évidemment grâce aux impôts, suivant une loi économique bien connue : les déficits d'aujourd'hui font les impôts de demain. Ce qui signifie que c'est la génération future qui va porter le poids final des déficits actuels. Nous lui léguerons des dettes et des dettes inutiles puisqu'elles ne servent qu'à financer des dépenses de fonctionnement ou des dépenses sociales et non des investissements durables. C'est une véritable bombe a retardement que nous préparons pour nos enfants, et cela sans parler des problèmes renvoyés aussi au lendemain, comme le financement des retraites.
En attendant, pour aujourd'hui, nous finançons ces déficits par l'emprunt, c'est-à-dire par l'épargne des ménages. Or cette épargne, même si elle est assez abondante en France, n'est pas extensible à l'infini. Le taux d'épargne était encore il y a quelques années de 17% du revenu brut disponible des ménages. En 2004, ce taux s'est réduit à 15,4%. Cette année, il devrait être de 15,1% et l'an prochain de 15% au plus. L'épargne diminue au moment ou l'État emprunte plus. Or cette réduction de l'épargne n'est pas une bonne nouvelle, contrairement à ce que pensent les keynésiens. En effet, l'épargne sert avant tout à financer le logement et surtout les investissements productifs des entreprises. Plus l'État emprunte, moins il reste de financement pour le secteur privé (effet d'éviction). Et cela encore plus si le taux d'épargne diminue.
Voilà pourquoi la conjonction des déficits publics accrus et de la contraction de l'épargne, n'est pas une bonne nouvelle. Il faut absolument sortir de cette spirale infernale en réduisant drastiquement les dépenses publiques. Ce n'est pas le chemin que l'on prend avec le budget 2006.
*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université d'Aix Paul-Cézanne, président de l'Association française des économistes catholiques
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