L’africaniste Bernard Lugan publie un atlas unique en son genre sur les conflits africains d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Cet outil d’analyse et de prospective, à la fois historique et géostratégique, qui permet de comprendre l’Afrique réelle, dans toutes ses dynamiques. Il répond aux questions de Liberté politique.
Liberté politique. — Avec "Afrique : la guerre en cartes", vous publiez un atlas de 300 pages en quadrichromie composé de 100 cartes accompagnées de leurs commentaires dans lequel vous présentez les guerres et les crises d'aujourd'hui de 2014 tout en annonçant celles de demain. Ce livre a été construit à partir de vos cours à l'Ecole de Guerre et aux Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Vous expliquez qu’en raison de son parti-pris résolument concret, loin des idéologies ou des propos convenus, il a pour vocation d'être directement utilisable par tous ceux qui, civils ou militaires, sont d'une manière ou d'une autre concernés par l'Afrique. Quels points ou quelles zones mettez-vous particulièrement en évidence ?
Bernard Lugan. — Toutes celles qui connaissent une forme ou une autre de conflictualité. Je développe évidemment tout ce qui concerne la Libye et sa contagion, tout ce qui se rapporte au Sahel et à sa ceinture de conflits, à la Corne ou à la Centrafrique. Je traite également la région interlacustre et l'interminable guerre du Kivu. Tous les conflits et crises africains sont cartographiés et expliqués.
Cependant, je ne me contente pas de les décrire car je les replace dans l'espace et dans le temps afin de montrer qu'il s'agit régulièrement de résurgences. La question du Mali est ainsi réintroduite dans son contexte géographique et historique. Comment comprendre les problèmes sahéliens si l'on ne pose pas la problématique des rapports entre pasteurs et agriculteurs, entre nordistes et sudistes puisque là est la clé de compréhension ?
J'insiste également sur les relations traditionnelles entre l'Afrique du Nord et la zone sahélienne parce que c'est le long des anciennes voies caravanières et grâce aux contacts séculaires entre les peuples de ces régions que s'est construit l'arc djihadiste. Je montre également, cartes à l'appui, que le Tchad, pivot de l'actuel dispositif anti-djihadiste est d'une extrême fragilité.
Une des grandes originalités de votre atlas est qu'il annonce les guerres demain et qu'il les cartographie. Est-il donc possible de prévoir les conflits futurs ? Ne prenez-vous pas un risque ?
Non, car ce fut le coeur même de mon enseignement à l'Ecole de Guerre et parce que, mes auditeurs, futurs officiers d'état-major, allaient devoir gérer la prospective. Avec cet atlas, je donne aux militaires, aux investisseurs, aux hommes d'affaires et à tous ceux qui s'intéressent à l'Afrique, un outil expliquant le présent et éclairant le moyen terme par la mise en évidence des zones qui vont connaître des problèmes ou qui sont susceptibles d'en connaître.
Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Trois cas peuvent être mis en évidence. Le premier concerne ceux des actuels conflits qui sont inscrits dans la durée et qui vont se prolonger sous une forme ou sous une autre. Qu'il s'agisse de la question du Sahara occidental, de l'irrédentisme touareg, de la dislocation libyenne, de l'arc de rupture sahélo-saharien, de l'archipel de crise de l'Afrique centrale, de la question du Kivu, de celle du Soudan du Sud ou encore de la Somalie, tous vont rester au coeur de l'actualité car leurs causes n'ont pas été réglées.
Le second se rapporte aux conflits qui peuvent se réveiller à tout moment. Parmi ces derniers il est possible de mettre en évidence les menaces d'éclatement de la RDC, la question de l'enclavement de l'Ethiopie avec en corollaire la question de savoir si, entre l'Ethiopie et l'Erythrée, la guerre est inévitable. Le cas de l'Afrique du Sud devra être suivi avec attention car la nation "arc-en ciel" risque de plus en plus d'apparaître comme une "nation-grenade", du moins s'il n'est pas mis un terme au naufrage économique qui pourrait déboucher sur un chaos social, donc racial.
Quant à l'Algérie, la crise latente s'y transformera en révolution le jour où les revenus des hydrocarbures ne permettront plus d'y acheter la paix sociale. Avant de considérer l'Algérie comme l'arc-boutant de la stabilité régionale, il est donc important de connaître ses faiblesses.
Quelles sont les nouvelles formes de conflictualité ?
Elles vont être liées aux ressources alimentaires, à l'eau, aux conséquences d'une démographie devenue folle qui va nécessairement conduire à des guerres ou qui va changer la nature de certains conflits traditionnels.
D'ores et déjà, une question se pose qui est de savoir si une guerre pour le Nil est possible dans la mesure où l'Egypte risque de se trouver étranglée par les barrages éthiopiens, ougandais et soudanais du Sud en cours de construction ou en projet.
Les conflits futurs seront également une conséquence des recherches pétrolières. Sur le continent, le pétrole du rift va donner naissance à des tensions interétatiques.
Déboucheront-elles sur des conflits régionaux ? La question mérite d'être posée et prise en compte.
Quant au triangle du Canal de Mozambique, il va devenir une zone hautement convoitée en raison de ses immenses réserves en hydrocarbures et là encore, les immanquables conflits de délimitation des eaux territoriales seront porteurs de bien des orages. Or, comme nous y sommes présents avec un chapelet d'îles, nos états-majors doivent intégrer cet élément. Quant aux politiques, ils doivent donner à nos marins les moyens d'y défendre nos intérêts qui y seront nécessairement contestés et menacés.
Voilà des questions que tous, militaires, politiques, industriels, doivent connaître afin d'être en mesure d'anticiper. Voilà des sujets que tous ceux qui ont à travailler avec l'Afrique doivent maîtriser avant d'y investir. C'est un tel outil que je leur donne avec ce livre.
Cet ouvrage est publié par les éditions de l'Afrique réelle ce qui signifie qu'il n'est pas en vente dans le commerce et qu'il est donc exclusivement disponible sur commande chez vous. Pourquoi ne pas l'avoir fait publier par un éditeur traditionnel ?
Parce qu'aucun éditeur français n'a voulu prendre le risque de publier un atlas en quadrichromie compte tenu des coûts de fabrication en France. Ceux qui étaient intéressés voulaient travailler à l'économie, en rognant sur la qualité du papier, sur le nombre de couleurs et autres mesquineries qui illustrent la mort de l'édition française. J'ai donc résolu le problème en le faisant imprimer à mes frais en Irlande.
Travaillant en direct avec un imprimeur irlandais avec lequel j'ai déjà publié trois ouvrages dont une Histoire des Berbères et Mythes et manipulations de l'Histoire africaine, je n'avais aucune crainte quant au rendu et surtout quant à la souplesse de la fabrication.
Propos recueillis pas François Billot de Lochner.
Afrique, la guerre en cartes
300 pages dont 100 cartes en quadrichromie, format A4
42 € (37 € + 5 € pour envoi en colissimo)
Pour commander, soit par paypal : www.bernard-lugan.com
soit par chèque chez l'auteur : Bernard Lugan
BP 45 - 42360 Panissières
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