Par Mgr Guy Gaucher
Liberté politique n° 11, janvier 2000.
"Que voulez-vous que fassent d'une Thérèse de Lisieux nos politiques et nos moralistes ?"
Bernanos, les Grands Cimetières sous la lune.
Lorsqu'à vingt ans je lisais avec passion l'œuvre de Georges Bernanos, j'ignorais qu'il pût y avoir un lien entre ce puissant romancier qui nous faisait descendre dans les abîmes de l'âme humaine et " la petite sainte aux roses " dont les statues dans les églises — on la trouvait partout — me repoussaient plutôt.
Et pourtant, j'ai découvert — avec d'autres — que le combattant catholique pour la vérité et la liberté (" la Vérité vous rendra libres " disait Jésus – Jn 8, 32) avait mis très tôt sa main dans celle de la jeune Thérèse Martin, entrée au Carmel de Lisieux, le 9 avril 1888, à quinze ans, l'année même de la naissance de Georges Bernanos (le 20 février, 26 rue Joubert, à Paris).
Ce rapprochement n'est pas d'abord " littéraire ", au sens où l'on cherche les sources d'un auteur. Ou du moins, si j'ai commencé ainsi mon approche de cette profonde amitié spirituelle, c'est parce que je rédigeais alors un diplôme d'études supérieures à la Sorbonne. Le lien entre la carmélite et l'auteur du Journal d'un curé de campagne est d'un tout autre ordre. Il a une signification spirituelle de grande importance qui dépasse largement la littérature pour rejoindre les questions fondamentales de l'homme contemporain. Georges Bernanos n'est en aucune façon un esthète. Combien de fois a-t-il affirmé que l'écriture était pour lui un appel, " une vocation ". Pour le bien souligner, il employait chaque fois le mot latin, vocatus. " Le bon Dieu ne m'a pas mis une plume dans les mains pour rigoler avec ... "
Thérèse de Lisieux, " appelée " par excellence, a joué un rôle dans cette mission du laïc Bernanos, dans l'Église et dans le monde. Les moments de l'histoire font se rencontrer chronologiquement deux êtres dont l'un a eu une grande influence sur l'autre : la sainte de Lisieux sur le chrétien Bernanos, l'auteur de l'Histoire d'une âme sur l'auteur de Dialogues des carmélites.
" Tout est grâce "
Tout est parti pour moi de la lecture du témoignage de Dom Paul Gordan, bénédictin allemand, dans le modeste Bulletin de la Société des amis de Georges Bernanos, de juin 1951 (n° 6). On pouvait lire dans ces lignes un article intitulé " Bernanos au Brésil " : " Quant à la "petite Thérèse" dont les Ultima Verba ne quittaient guère sa table de chevet, Bernanos aimait en elle une sœur cadette de la Pucella [Jeanne d'Arc] " (p. 5). Il s'agissait d'un petit livre de Derniers Entretiens recueillis par Mère Agnès de Jésus, (Pauline Martin), pendant la dernière maladie de sa sœur et publié le 15 janvier 1927. Lorsqu'à la page 28 de ce petit livre, je lus cette parole de Thérèse malade : " Si vous me trouviez morte un matin, n'ayez pas de peine c'est que papa le bon Dieu serait venu tout simplement me chercher. Sans doute, c'est une grande grâce de recevoir les sacrements mais, quand le bon Dieu ne le permet pas, c'est bien quand même. Tout est grâce ", ce fut un trait de lumière qui illuminera le début d'un long chemin. Je me suis alors reporté à la fin du Journal d'un curé de campagne : celui-ci agonise chez son camarade Louis Dufrety, prêtre qui a quitté l'Église. Il raconte : " Le prêtre se faisant toujours attendre, j'ai cru devoir exprimer à mon infortuné camarade le regret que j'avais d'un retard qui risquait de le priver des consolations que l'Église réserve aux moribonds. Il n'a pas voulu m'entendre. Mais quelques instants plus tard, sa main s'est posée sur la mienne, tandis que son regard me faisait nettement signe d'approcher mon oreille de sa bouche. Il a prononcé alors distinctement, bien qu'avec une extrême lenteur ces mots : "Qu'est-ce que cela fait ? Tout est grâce." Je crois qu'il est mort presque aussitôt. "
Mais déjà le P. Hans Urs von Balthasar avait écrit dans son indépassable étude le Chrétien Bernanos : " Sainte Thérèse est partout présente dans l'œuvre de Bernanos . " Il restait à repérer les traces de l'influence de Thérèse dans la totalité de l'œuvre, aussi bien dans l'œuvre romanesque que dans l'œuvre de combat, et dans la correspondance. En 1960, j'ai essayé de faire ce travail en ce qui concerne les romans l'Imposture et la Joie parus respectivement en 1927 et 1928. J'espérais aller plus loin mais les circonstances ne l'ont pas permis. Ce travail a été réalisé depuis par une religieuse canadienne, Mary Frances Catherine Dorschell, professeur à l'Université de London dans l'Ontario. Sa thèse : " Georges Bernanos' debt to Thérèse of Lisieux " a été soutenue en 1992 et publiée en 1996. Il n'y a pas encore de traduction française.
Quand et comment Bernanos a-t-il pu connaître Thérèse ? Thérèse n'a été connue que par l'Histoire d'une âme parue en septembre 1898. Le jeune Bernanos avait alors dix ans. Pendant sa jeunesse scolaire : de 1898 à 1901 chez les jésuites de la rue de Vaugirard, de 1901 à 1903 au petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs, de 1903 à 1904 au petit séminaire de Bourges, de 1904 à 1906 au collège Sainte-Marie d'Aire-sur-la-Lys ou dans sa famille, a-t-il entendu parler d'une jeune carmélite dont la renommée s'étend très rapidement ? De 1906 à 1913, il est à Paris préparant une licence de lettres et de droit. Le procès de sœur Thérèse s'est ouvert en 1910. Les premiers essais littéraires du jeune Bernanos remontent à 1907. Mais la première référence possible à Thérèse de Lisieux semble se trouver dans la nouvelle Madame Dargent, parue en 1922.
Parcours thérésien
Bernanos a fait la guerre, il s'est marié. A-t-il lu l'Histoire d'une âme — ou sa version populaire la Rose effeuillée ? Nul ne peut le dire avec certitude. Ce qui semble très probable, c'est que Bernanos soit passé par Lisieux car la description qu'il fera du gisant de la châsse (les reliques) — construite pour la béatification le 29 avril 1923 — ne peut être que celle d'un témoin oculaire . En tout cas, une lettre de Fressin (Pas-de-Calais) où se trouve sa maison de famille, écrite en 1923, semble prouver la place de sœur Thérèse dans sa vie. Début avril 1923, une perforation intestinale exige une intervention chirurgicale immédiate. Il est opéré sur la table de la salle à manger : c'est très grave . Il écrit le 4 mai : " Je suis bien fatigué. Priez pour moi. Saint Georges m'a donné un coup de pouce le 23, sœur Thérèse m'a débarrassé de ma fièvre le 29, il faudrait que Notre-Dame fit le reste ce mois-ci . ". Mais on peut dire que l'influence de Thérèse sur son œuvre commence avec Sous le soleil de Satan qui paraît en 1927 — Sainte Thérèse a été canonisée le 17 mai 1925. 1927, nous l'avons dit, c'est aussi la parution des Novissima Verba (mais la longue gestation de Sous le soleil remonte à 1919).
C'est un professeur américain, Michael Tobin qui a finement analysé ces traces de la spiritualité thérésienne : elles sont plutôt présentes " en creux " car, par certains côtés, l'abbé Donissan apparaît comme un prêtre héros qui affronte Satan dans un combat à mort, bien différemment de la voie d'abandon de la carmélite normande. Bernanos remarque que " les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré " (œ I, 213). Donissan est comme un appel vers la spiritualité thérésienne. Avec l'Imposture et la Joie, cette présence de Thérèse devient manifeste. Déjà l'abbé Chevance est profondément différent de l'abbé Donissan. Dans son humilité, sa pauvreté, sa simplicité, il vit l'esprit d'enfance. Spécialement dans sa mort et dans son agonie : " Ainsi qu'un enfant ouvre ses petits bras à la mort par un geste sacré, il s'était livré du premier coup, incapable d'imaginer nulle défense, non pas seulement résigné à souffrir, mais dans l'extraordinaire ingénuité de son cœur, à souffrir petitement, bassement, lâchement, et à scandaliser le prochain " (CF I, 492.) Mais c'est évidemment Chantal de Clergerie qui est une sorte de Thérèse laïque, totalement donnée à Dieu dans le monde, cernée comme tous les " saints " bernanosiens par l'univers du péché de son père, médiocre écrivain égoïste, du Russe Fiodor, drogué diabolique et de sa grand-mère qui a sombré dans la folie. Dans une interview de janvier 1928, Bernanos répondait, au sujet de la Joie : " Eh bien ! vous connaissez la petite sainte Thérèse... Or, l'abbé Cénabre, cette âme stérile, abandonnée, hautaine, je la mettrai en présence d'une sainte à l'état naissant, précisément, qui est toujours heureuse, se donne aussi entièrement que l'autre se refuse . " Les rapprochements entre Chantal et Thérèse sont frappants et vont parfois jusqu'à l'identité du vocabulaire. Donnons seulement quelques exemples décisifs :
Vivre au jour le jour, dans l'abandon et la confiance
L'abbé Chevance a reconnu en Chantal " l'esprit, le rayonnant esprit de confiance et d'abandon " :
Chantal. — Que voulez-vous que je fasse ? [...] Suis-je capable de choisir ! Je n'oserais jamais. Je reçois chaque heure que Dieu me donne, parce que je n'aurais même pas la force de refuser (J, 36).
Que j'accomplisse de mon mieux les petits devoirs, au jour le jour — hélas ! selon mon humeur et mes forces... (J, 95.)
Je suis née pour vivre au jour le jour... (J, 222.)
Il n'y a que le présent qui compte (J, 233).
N'a-t-elle pas jusqu'alors cru qu'à chaque jour suffit sa peine ? (J, 110.)
Thérèse. — Je ne désire pas plus mourir que vivre ; je laisse le bon Dieu choisir pour moi. C'est ce qu'il fait que j'aime (NV, 19).
Elle ajoute ailleurs : Maintenant c'est l'abandon seul qui me guide, je n'ai point d'autre boussole ! [...] Je ne puis plus rien demander avec ardeur, excepté l'accomplissement parfait de la volonté du Bon Dieu sur mon âme... (Ms A, 82 v° .)
La volonté de Dieu se trouve dans l'accomplissement des petites choses
Chantal.— Je ne réussis que les choses faciles. (J, 239.)
Aucune épreuve n'avait jusqu'alors [...] mis en péril l'humble allégresse, la certitude d'être née pour les travaux faciles qui rebutent les grandes âmes (J, 35). Trop sage pour s'emporter en vains scrupules qui eussent resserré ses chaînes, elle ne souhaitait que reprendre sa tâche quotidienne, l'exercice des devoirs simples, définis, authentiques, rentrer dans la vie mortifiée... (J, 69.)
Thérèse découvre au Carmel " le moyen d'être sainte par la fidélité aux plus petites choses " (Ms A, 32 v°).
Thérèse. — Je m'appliquais surtout à pratiquer les petites vertus, n'ayant pas la facilité d'en pratiquer les grandes (Ms A, 74 r°).
Chantal vit comme une enfant
Son père lui dit : " Il semble que tu aies fait cette gageure de vivre dans le monde avec la simplicité, l'innocence, l'esprit de soumission d'un petit enfant. "
Chantal. — Il me semble, confia-t-elle un jour à l'abbé Cénabre, qu'il est possible d'agir comme une grande personne, tenir sa petite place dans le monde, défendre des intérêts légitimes, et ne voir néanmoins les choses essentielles, élémentaires, la joie, la douleur, et la mort, qu'avec le regard d'un enfant (p. 113).
Donnez à Dieu ce qu'on demande aux petits enfants disait l'Abbé Chevance. Et lui aussi avait vécu comme un enfant (p. 244).
Au fond, je ne pensais qu'à Dieu, je n'étais simple et gaie que pour lui..., un enfant, un petit enfant... Mais les saints seuls sont des enfants ! (p. 228.)
Chantal vit dans l'humilité, la pauvreté spirituelle, la simplicité
" Sans doute, elle s'accusait intérieurement d'indifférence, de sécheresse, elle essayait d'en éprouver du trouble, du remords. Mais sa raison était trop droite, sa conscience trop claire : elle ne sentait pas sa faute, ou alors c'était la faute de la nature, son indicible pauvreté. Qui peut s'émouvoir d'être pauvre entre les mains d'un Seigneur plus riche que tous les rois ? Bien avant qu'elle en eût fait confidence à personne, ou même qu'elle fût capable de la concevoir clairement, la pauvreté, une pauvreté surnaturelle, fondamentale, avait brillé sur son enfance, ainsi qu'un petit astre familier, une lueur égale et douce. Si loin qu'elle remontât vers le passé, un sens exquis de sa propre faiblesse l'avait merveilleusement réconfortée et consolée, car il semblait qu'il fût en elle comme le signe ineffable de la présence de Dieu, Dieu lui- même qui resplendissait dans son cœur " (J, 35).
Chantal. — Je suis très, très simple, voilà tout, [...] L'avenir ne me fait pas peur, il ne me fait pas envie non plus. Les grandes épreuves sont pour les grandes âmes, n'est-ce pas ? Les petites passent doucement au travers... Eh bien ! je ne suis pas une grande âme [...] Il me faut si peu pour vivre ! Alors, je me tiens sagement sous le porche de l'église, je tends la main au bon Dieu, je pense qu'il y mettra bien toujours deux sous... (Imp., 273-274.)
Avec le Journal d'un curé de campagne, le chef-d'œuvre de Bernanos paru en 1936, nous sommes au cœur de notre sujet. Le jeune curé d'Ambricourt est le frère spirituel de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus de la Sainte Face. Tous deux sont des êtres jeunes qui meurent jeunes. Tous deux écrivent un journal . Malades, ils s'avancent vers la mort, subissant les alternatives imprévisibles de la maladie. Le curé croit d'abord qu'il est atteint de tuberculose — comme Thérèse —. Tous deux ont des hémoptysies, entrent dans la nuit de la foi, sont tentés par le désespoir et le suicide. Plus profondément, leur inaptitude devant la vie pratique les unit et surtout leur esprit d'enfance et de pauvreté, leur spiritualité des " mains vides " et de la joie trouvée dans les petites choses. Tandis que le jeune prêtre est " prisonnier de la Sainte Agonie ", Thérèse fonde toute sa spiritualité sur le Serviteur souffrant d'Isaïe 53. Tous deux se demandent comment ils feront pour mourir et, privés des sacrements en leurs derniers instants, nous l'avons dit, ils meurent en prononçant les mêmes paroles : " Qu'est-ce que cela fait ? Tout est grâce. "
Tous deux répondent à la définition de l'existence carmélitaine telle que l'a donnée Urs Von Balthasar : " L'offrande de tout l'être personnel au Dieu de Jésus-Christ, afin qu'il utilise et consume cet être pour l'œuvre rédemptrice selon le bon plaisir de son amour. " Le même théologien écrivait : " Le curé de campagne est une sorte d'adaptation en profondeur du message thérésien, non plus, comme dans la Joie par l'emprunt de détails caractéristiques, mais par une libre transposition des intuitions centrales, élevées du plan terrestre au plan de l'esprit ". C'est donc bien au mystère du Carmel que nous renvoie en définitive la prière du curé de campagne.
Mystère du Carmel
Prière simple mais prière multiforme dans toutes les circonstances de la vie qui nous relient à cet Ami incomparable qui a partagé notre vie d'homme... Prière qui entre dans le désert de l'épreuve dépouillante et connaît l'impuissance, toutes les tentations y compris celle du désespoir... Prière qui rend voyant, qui débusque le péché, qui réconcilie les pécheurs avec Dieu et entre eux, nous réconcilie avec nous-mêmes, ô miracle... Prière universelle qui prend en charge le malheur du monde dans le sillage du Serviteur souffrant, l'innocent, prière de l'agonie et de la vie offerte pour le message pascal... Prière qui contemple les merveilles de la grâce en soi-même et dans les autres... Prière qui situe un être à sa place dans " la grande famille humaine dont Notre-Seigneur est le chef " (197) et en fait un sauveur avec Jésus...
Un seul exemple des très nombreux rapprochements entre la spiritualité du curé de campagne et la carmélite normande. Que l'on compare avec les conseils du curé de Torcy à son confrère d'Ambricourt : " Travaille, fais des petites choses, en attendant, au jour le jour. Applique-toi bien. Rappelle-toi l'écolier penché sur sa page d'écriture, et qui tire la langue. Voilà comment le bon Dieu souhaite nous voir, lorsqu'il nous abandonne à nos propres forces. Les petites choses n'ont l'air de rien, mais elles donnent la paix. C'est comme les fleurs des champs, vois-tu. On les croit sans parfum, et toutes ensemble, elles embaument. La prière des petites choses est innocente " (J CC, 255- 256).
Ici l'analogie avec l'enseignement de Thérèse est frappante. Tout y est, même la comparaison avec les fleurs et leur parfum qui lui est si coutumière (par exemple MA, 6). Ailleurs, le jeune vicaire note dans son journal : " Car je n'ai de réussites qu'aux petites choses, et si souvent éprouvé par l'inquiétude, je dois reconnaître que je triomphe dans les petites joies " (JCC, 359).
La présence discrète mais profonde de Thérèse ne se trouve pas seulement dans les romans. On pourrait aussi étudier un Mauvais Rêve et M. Ouine comme l'a fait sœur Dorschell et peu d'œuvres de combat où n'affleure à un moment ou à un autre la petite sœur Thérèse. Bien sûr, on la rencontre dès 1929, dans Jeanne, relapse et sainte et Bernanos, qui met côte à côte les deux jeunes filles, évoque la carmélite comme " la dernière venue, si étrange, si secrète, suppliciée par les entrepreneurs et les simoniaques, avec son incompréhensible sourire — Thérèse de l'Enfant-Jésus " (œ, I, 40). À son grand ami Robert Vallery-Radot, il écrit début avril 1934 : " L'idée m'est venue — dans des circonstances un peu particulières qui m'y font attacher plus de prix — de dédicacer ma Jeanne d'Arc à la petite Thérèse de l'Enfant-Jésus. Voilà le texte à peu près (tenez-vous à votre chaise). Par exemple : " À la chère et auguste mémoire de celle qui fut, avec Jehanne, la plus héroïque des saintes de notre race, un vrai petit chevalier français, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus vendue par ses sœurs . " Bernanos voulut que son ami traduisit ces lignes en latin. Mais le texte arriva trop tard chez Plon pour être imprimé.
L'esprit d'enfance
En 1938, dans la préface pour le livre de Raymond Christoflour, Louis Le Cardonnel, pèlerin de l'invisible, Bernanos demeure dans cette vision polémique : " S'il n'eût dépendu que de ces malheureux, la dévotion à la petite sœur Thérèse ne serait plus aujourd'hui qu'une des mille recettes inoffensives de la confiserie dévote. Le message que cette sainte apporte au monde est pourtant l'un des plus mystérieux et des plus pressants qu'il ait jamais reçus. Le monde se meurt faute d'enfance, et c'est bien contre elle, en effet, que les demi-dieux totalitaires poussent leurs tanks " Beaucoup plus important — et de la même année —, le grand passage concernant Thérèse qu'on trouve dans les Grands Cimetières sous la lune.
Au colloque bernanosien de Palma de Mallorca, en octobre 1992, j'ai fait une communication sur ce grand sermon de 25 pages prononcé par un agnostique dans une église, le jour de la fête de sainte Thérèse de Lisieux . Telle est l'hypothèse imaginée par Bernanos, au cœur de sa réflexion sur la guerre civile espagnole. Le thème de l'homélie inattendue est celui-ci : " Que voulez-vous que fassent d'une Thérèse de Lisieux nos politiques et nos moralistes ? ". Question qui paraît incongrue — et qui est toujours d'actualité — mais qui oriente vers la réponse évangélique de Bernanos ponctuant le sermon comme un refrain : " Redevenez enfants, retrouvez l'esprit d'enfance ! " Max Milner a pu écrire : " Les Grands Cimetières ne sont pas autre chose qu'un appel à l'enfance . " Évoquant les saints ayant l'esprit d'enfance — ceux qu'il affectionne particulièrement, Jeanne d'Arc et François d'Assise — Bernanos écrit de Thérèse : " Chrétiens, l'avènement de Jeanne d'Arc au XXe siècle (elle a été canonisée en 1920) revêt le caractère d'un avertissement solennel. La prodigieuse fortune d'une obscure petite carmélite (canonisée en 1925) me paraît un signe plus grave encore " (p. 271-272). " Une sainte, dont la foudroyante carrière montre assez le caractère tragiquement pressant du message qui lui est confié, vous invite à redevenir enfants. Les desseins de Dieu, comme vous dites, sont impénétrables. Il est pourtant difficile de croire qu'on ne vous offre pas là votre dernière chance. Votre dernière chance et la nôtre. Êtes-vous capables de rajeunir le monde, oui ou non ? L'Évangile est toujours jeune, c'est vous qui êtes vieux " (p. 269).
Au Brésil, on trouve régulièrement des allusions à sainte Thérèse de Lisieux, dans des articles, des interviews, des conférences, en ce pays où on aime beaucoup la sainte française et même où on l'appelle " dans cette langue si caressante, Teresinha ", écrit Bernanos en septembre 1943, au baptême d'un avion de chasse nommé " Jeanne d'Arc " .
Dès décembre 1940, après la défaite de la France, il réunit Jeanne d'Arc et Thérèse, dans sa Lettre aux Anglais et évoque la carmélite mourante : " "Oh ! Mère, est- ce la fin ? disait à sa prieure la petite sainte Thérèse de Lisieux à l'agonie. Comment vais-je faire pour mourir ? Jamais je ne vais savoir mourir." C'est à de telles paroles, et non à celles des héros de Plutarque, que frémiront toujours, d'âge en âge, les étendards de la Patrie " (œ, III, 24). En juillet 1941, Bernanos y revient : " N'est-il pas émouvant de penser que, aujourd'hui même, alors que l'Église de mon pays s'abandonne plus que jamais à toutes les froides spéculations de la prudence sénile, elle élève si haut deux jeunes filles, sainte Jeanne d'Arc et sainte Thérèse de Lisieux ? " (Id. 124.)
À Tunis, en 1947, il prononce une magnifique conférence sur " Nos amis les saints ". Il s'interroge, un an avant sa mort : " Peut-être à force de jouer aux saints, finirons-nous par le devenir ? En tout cas, il semble que sœur Thérèse ne s'y soit pas prise autrement, on pourrait dire qu'elle est devenue sainte en jouant aux saints avec l'Enfant-Jésus, comme un petit garçon qui, à force de faire tourner un train mécanique, devient, presque sans y penser, ingénieur des chemins de fer, ou même plus simplement chef de gare... " (œ, 111,1372.)
" La douce pitié de Dieu "
Mais cette même année, Bernanos s'est déjà attelé à l'ultime œuvre de sa vie, son testament, un autre chef-d'œuvre qui ne deviendra pas un scénario de film mais œuvre littéraire, œuvre théâtrale et opéra qui feront le tour du monde, inlassablement joués : Dialogues des carmélites. N'est-il pas étonnant que surgisse en sa vie de malade, une œuvre de commande qui fait lever en lui toutes les grandes réalités spirituelles de son œuvre antérieure ? Vraiment " tout est grâce ". Ce qui surgit alors, c'est le mystère du Carmel, affronté à la tourmente révolutionnaire : la prière, la peur, l'angoisse, la mort, l'esprit d'enfance, la communion des saints, le martyre. Comment ne resurgirait en même temps devant Bernanos la présence de la petite sainte de Lisieux qui, elle-même en 1894, pour le centenaire du martyre des seize carmélites de Compiègne confectionnait des oriflammes pour les fêtes de ce carmel, en s'enflammant dans l'espérance de partager le sort de ses compagnes et méditant spécialement sur la mort de la novice, sœur Constance ? Elle avait l'image des seize carmélites dans son bréviaire (Bernanos ignorait tout cela). Dans Dialogues des carmélites, sœur Thérèse n'apparaît nulle part : elle est partout. Luc Estang a écrit très justement : " Constance et Blanche sont deux aspects de sainte Thérèse de Lisieux ; deux aspects qui en définitive, s'identifient dans ce que Bernanos aimait à nommer : "la douce pitié de Dieu" . "
Dans le même sens, on pourrait aller un peu plus loin et dire que sœur Constance, c'est sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et sœur Blanche, sœur Thérèse de la Sainte-Face. Bien entendu sans forcer les comparaisons, mais les deux sont intimement liées. Écoutons quelques répliques de sœur Constance qui n'est que gaieté, abandon, enfance et joie.
Sœur Constance, évoquant le martyre. — Mais nous, ma sœur nous ne pouvons tomber qu'en Dieu !
De son côté, sœur Thérèse, à l'infirmerie du Carmel, quelques jours avant sa mort, disait :
Thérèse. — C'est dans les bras du bon Dieu que je tombe ! (CJ 18.9.)
Sœur Constance, audacieuse. — J'ai tellement prié à cette intention, Dieu m'exaucera, j'en suis sûre.
Sœur Blanche. — Vous croyez toujours que Dieu fera votre bon plaisir !
Sœur Constance. — Pourquoi pas ? Que voulez-vous, sœur Blanche, chacune se fait de Dieu l'image qu'il peut, à quoi bon discuter là-dessus ? (œ.)
Thérèse. — Le Bon Dieu m'a toujours fait désirer ce qu'il voulait me donner (CJ. 12.7).
Sœur Blanche connaît l'angoisse, éprouve durement ses peurs, son manque humain de courage et se trouve, comme tant de personnages bernanosiens, prise dans la Saint Agonie du Christ, le nom de religion qu'elle a choisi. Sœur Thérèse a choisi de s'appeler " de la Sainte-Face ", très marquée par les textes bibliques sur le Serviteur Souffrant (Is. 53) et vivra ses derniers mois de maladie à l'ombre de la Croix, identifiée au Christ mourant d'amour, martyr, dans les angoisses, pour sauver le monde.
Thérèse. — Notre Seigneur est mort sur la Croix, dans les angoisses, et voilà pourtant la plus belle mort d'amour. C'est la seule qu'on ait vue. On n'a pas vu celle de la Sainte Vierge. Mourir d'Amour, ce n'est pas mourir dans les transports. Je vous l'avoue franchement, il me semble que c'est ce que j'éprouve (CJ 4.7.2).
Sœur Marthe. — Au jardin des Oliviers, le Christ n'était plus Maître de rien. L'angoisse humaine n'était jamais montée plus haut, elle n'atteindra plus jamais ce niveau. Elle avait tout recouvert en Lui, sauf cette extrême pointe de l'âme où s'est consommée la divine acceptation (Dialogues, œ, 1668).
La sainte de l'espérance
Essayons, pour conclure, de synthétiser quelque peu l'omniprésence de l'esprit thérésien dans l'œuvre de Bernanos, de Sous le soleil de Satan à Dialogue des carmélites. Bernanos n'a lu, semble-t-il, que l'Histoire d'une Âme et les Novissima Verba. Il est mort trop tôt pour connaître la totalité des écrits thérésiens dans leur teneur authentique. Cependant, sa profonde connaissance de la vie spirituelle et sa connivence spontanée avec sœur Thérèse l'ont situé au cœur de la spiritualité de la carmélite.
Qu'est-ce qui pouvait attirer Georges Bernanos vers Thérèse Martin ? Sans doute des traits de caractère de cette jeune fille audacieuse : son amour de la vérité et donc son horreur du mensonge, l'absolu du don de sa vie au Christ incarné, son Unique Amour (" Je choisis tout ; je ne veux pas être une sainte à moitié " (Ms A, 10 v°) ; son ardeur à vouloir la gloire de Dieu qui la faisait s'identifier à Jeanne d'Arc, la sainte préférée de Bernanos et à se vouloir guerrier ; son esprit d'enfance évangélique qui est au cœur de la spiritualité des " saints " bernanosiens, les éloigne du sublime et des héros surhumains ; sa transparence ; sa simplicité foudroyante, qui lui font débusquer le péché mais aussi cette lucidité réaliste qui lui fait voir le réel, souvent avec gaieté et humour ; l'amour exclusif de sœur Thérèse pour l'Évangile, ce livre qui lui suffit. Enfin ses épreuves et la grande nuit de la foi qui l'atteint dans les dix-huit derniers mois de sa vie, sa maladie mortelle, sa mort en pleine jeunesse qui la fait entrer dans la Passion du Christ, dans l'acceptation de cette identification au Sauveur humilié et bafoué qui ouvre aux pécheurs le chemin de " la douce Pitié de Dieu ". On peut ici retrouver les traits fondamentaux de la vie de l'abbé Chevance, de Chantal de Clergerie, du curé d'Ambricourt, du curé de Ferrouille, de sœurs Constance et Blanche de la Force, le climat carmélitain de Dialogues des carmélites.
Enfin — et ceci est sans doute central, à la fois dans l'œuvre et la vie de Bernanos — Thérèse est la sainte de l'Espérance. Tous les " saints " bernanosiens affrontent la tentation du désespoir : de Donissan à Blanche de la Force en passant par le curé de campagne. Nous savons par bien des confidences de la correspondance de Bernanos et ses écrits de combat que le démon de son cœur s'appelait " À quoi bon ? "
Comment un homme dont la vocation — au sens le plus fort de ce mot en christianisme — était de se battre pour la vérité et la liberté (" la vérité vous rendra libres " a dit Jésus, Jn, 8) pouvait-il échapper aux tentations de baisser les bras, de se taire car il était voué à la pauvreté, à la persécution, au désespoir, au non-amour de soi et des autres? Avec tous ceux de sa génération, il lui a fallu traverser les tranchées de 14-18, les charniers des grands cimetières espagnols, la défaite de 40, les déceptions amères qui ont suivi la libération de la France, l'horreur d'Auschwitz et des goulags, l'explosion atomique d'Hiroshima... en ne perdant jamais totalement cœur pour continuer à crier la valeur unique de l'homme créé à l'image du Dieu-Trinité et l'importance de sa liberté, pour lutter contre les impostures spirituelles et politiques, dénoncer les matérialismes capitaliste et marxiste. " On ne va jusqu'à l'espérance qu'à travers la vérité, aux prix de grands efforts. Pour rencontrer l'espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu'au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore " (Liberté, 14). " La plus haute forme de l'espérance, c'est le désespoir surmonté " (Id. 15). " L'espérance est une vertu héroïque. On croit qu'il est facile d'espérer. Mais n'espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu'ils prenaient faussement pour de l'espérance. L'espérance est un risque à courir. C'est même le risque des risques. L'espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu'un homme puisse remporter sur son âme. " (Id. 132) " C'est dans ma raison et non dans mon cœur que se trouve le principe de mon invincible espérance " (Lettre aux Anglais, œ III, 56).
Je constate l'influence profonde du message de sainte Thérèse de Lisieux sur l'œuvre romanesque et l'évolution des personnages qui, tous affrontés au scandale du mal, du péché, de la mort sont parvenus à la sérénité ultime du curé d'Ambricourt qui s'exprime par le fameux " Tout est grâce " thérésien. Conjointement, on peut penser que Thérèse a poussé Bernanos à passer de l'éloge de l'enfance en tant que telle a la découverte de l'enfance évangélique. Je crois aussi à l'influence de sainte Thérèse dans la vie de Bernanos. Elle lui a enseigné le chemin de l'humilité, le refus de la révolte stérile, l'acceptation de ses propres limites et l'espérance invincible qui surmonte le désespoir en ne s'appuyant que sur l'Amour miséricordieux du Père, exprimée et incarnée dans le Fils Jésus-Christ, vérifiée dans sa Résurrection : " Mort, où est ta victoire ? " Au terme de sa vie, il s'interrogeait : " Si j'ai les œuvres de l'espérance, l'avenir le dira. L'avenir dira si chacun de mes livres n'est pas un désespoir surmonté. Le vieil homme ne résistera pas toujours : le vieux bâtiment ne tiendra pas toujours la mer ; il suffit bien qu'il puisse se maintenir jusqu'à la fin debout à la lame et que celle qui le coulera soit aussi celle qui l'aura levé plus haut "
" Notre Église est l'Église des saints "
L'avenir a répondu. Par exemple, le jugement d'un très grand lecteur de Bernanos, le théologien suisse allemand Hans Urs von Balthasar : " Bernanos, dans le cœur duquel vivait la joie chrétienne, ne put détacher son esprit de cette merveille qu'est le mystère de la Rédemption. Mystère d'après lequel la lumière de la grâce et de la joie a le pouvoir de se donner elle-même pour la vie du monde. Mais que rapportent donc ces auteurs chrétiens de leur descente aux enfers, sinon le mystère de la deuxième vertu ; c'est-à-dire une espérance chrétienne débarrassée de ses entraves... [...] On peut voir dans l'éclosion d'un printemps de l'espérance chrétienne le signe caractéristique du présent chrétien. [...] Ce printemps de l'espérance a été canonisé dans le jardin de roses de Lisieux. [...] Les hardiesses de la petite sainte n'ont pas été dépassées par les auteurs qui explicitent son message, Péguy et Bernanos . "
Autre témoignage capital dont il n'est pas utile de souligner l'actualité. À l'aube du troisième millénaire, un pape venu de l'Est, laïc qui a travaillé en usine, qui a perdu nombre de ses amis tués ou déportés, qui a affronté le totalitarisme marxiste, a parcouru le monde, aujourd'hui malade et usé, nous a donné un best-seller intitulé Franchissez le seuil de l'espérance . On a pu dire que " l'espérance est devenue un des thèmes préférés de Jean-Paul II ". Venu en France en 1996, à Reims, le Pape citait Bernanos dans son homélie : " C'est quand la nuit nous enveloppe que nous devons penser à l'aube qui poindra, que nous devons croire que l'Église chaque matin renaît par ses saints. "Qui l'a une fois compris — disait Bernanos — est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle [...] une espérance surhumaine" (Jeanne relapse et sainte) " (22 septembre 1996).
Terminons en citant l'intégralité du texte de Jeanne relapse et sainte dont Jean-Paul Il n'a cité qu'un extrait : " Car l'heure des saints vient toujours. Notre Église est l'église des saints. Qui s'approche d'elle avec méfiance ne croit voir que des portes closes, des barrières et des guichets, une espèce de gendarmerie spirituelle. Mais notre Église est l'église des saints. Pour être un saint, quel évêque ne donnerait son anneau, sa mitre, sa crosse, quel cardinal sa pourpre, quel pontife sa robe blanche, ses camériers, ses Suisses et tout son temporel ? Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure ? Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l'a une fois compris est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine. Notre Église est l'église des saints. Mais qui se met en peine des saints ? On voudrait qu'ils fussent des vieillards pleins d'expérience et de politique, et la plupart sont des enfants. Or l'enfance est seule contre tous . "
En filigrane, la jeune Thérèse de Lisieux est bien présente. Bernanos, sourcier des réalités spirituelles, n'a pas été rebuté par le style de l'Histoire d'une Âme et des Novissima Verba : il a immédiatement saisi le génie spirituel de Thérèse et sa place éminente dans l'Église et la société. Il a bien compris que cette jeune contemplative était au cœur des problèmes fondamentaux du monde moderne. Souvenons-nous de la question saugrenue de l'agnostique des Grands Cimetières sous la lune en 1937 : " Que voulez-vous que fassent d'une Thérèse de Lisieux nos politiques et nos moralistes ? " Comment ne pas évoquer une autre question, celle de Staline : " Le pape, combien de divisions ? " Ce ne sont pas des canons et des tanks qui ont fait tomber le rideau de fer mais l'Histoire retiendra que le pape Jean-Paul II n'a pas été étranger à la décomposition intérieure de la dictature marxiste. Parfois quelques éclairs percent le ciel noir. Parfois quelques signes nous sont donnés du sens profond de notre vie, de l'histoire du monde. Nous ne verrons le merveilleux dessin de la tapisserie que lorsque celle-ci sera définitivement retournée. Pour l'instant nous ne voyons que l'envers et l'imbrication étrange des fils — apparemment incohérente — nous déconcerte. Ce sera seulement à la fin de l'Histoire que nous saurons vraiment la part des saints les plus cachés dans le salut du monde, unis au Christ jusque dans l'offrande totale de leur vie par amour.
Le 19 octobre 1997 sur la place Saint-Pierre, le pape Jean-Paul Il a proclamé sainte Thérèse de Lisieux docteur de l'Église. Ainsi la jeune carmélite devenait une enseignante officielle reconnue par l'Église, à la suite de trente-deux docteurs, dont seulement deux femmes. Cet acte prophétique aurait sans doute ravi Georges Bernanos qui a toujours considéré sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, comme un signe — " un phare ", disait le cardinal Yves Congar — donné à notre monde hanté par le désespoir. En 1938, alors que la Seconde Guerre mondiale se profilait à l'horizon, Bernanos déplorait que ce signe n'ait pas été compris. À l'aube du IIIe millénaire, après un XXe siècle si meurtrier, saurons-nous mieux le déchiffrer et y voir un appel pathétique à entendre le message thérésien comme la conversion de l'homme contemporain à l'esprit d'enfance qui n'est pas romantisme, naïveté ou régression psychologique, mais appel évangélique à vivre en enfant du Père de tous les hommes, révélé par Jésus-Christ, en qui nous sommes tous frères ?
Nous pouvons redire avec Bernanos qui affirmait en 1937 : " Une sainte, dont la foudroyante carrière montre assez le caractère tragiquement pressant du message qui lui est confié, vous invite à redevenir enfants. "
+ G. G.