Dans un avis rendu publique le 14 février, le Conseil national de l’ordre des médecins ouvre la porte à l’euthanasie en se prononçant en faveur d’une aide active à mourir délivrée sous la forme d’une sédation terminale à des patients qui le demanderaient de manière réitérée.
Rompant avec ses prises de positions antérieures, l’ordre des médecins a adopté à l’unanimité moins une voix un avis dans lequel il recommande d’accéder aux « requêtes persistantes, lucides et réitérées d’une personne atteinte d’une affection pour laquelle les soins curatifs sont devenus inopérants et les soins palliatifs instaurés » sous la forme de l’administration d’ « une sédation adaptée, profonde et terminale [1] ». Sont visées « des situations cliniques exceptionnelles » comme « certaines agonies prolongées » ou des « douleurs psychologiques » qui « restent incontrôlables ».
Ouverture d’une brèche
Le propos du conseil de l’Ordre ne se laisse pas facilement analyser tant le raisonnement est par endroits confus, ce que n’ont pas manqué d’observer plusieurs commentateurs[2]. Pour Mgr Pierre d’Ornellas, chargé des questions de bioéthique au sein de la Conférence des évêques de France, la position de l’Ordre ouvre toutefois « à une dérive d’euthanasie [3]».
Conscient d’ailleurs d’ouvrir une brèche dans le dispositif juridique actuel encadrant l’accompagnement de la fin de vie en France, l’ordre des médecins propose qu’en matière de sédation terminale accélérant la mort, tout médecin puisse « se récuser en excipant la clause de conscience ». Avouant enfin que « l’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui ne saurait être transgressé par un médecin agissant seul », l’Ordre conseille que la décision soit prise par un « collège de médecins ».
En désaccord avec ses confrères, l’ancien président du conseil de l’Ordre, le professeur Denys Pellerin, leur répond que la loi du 22 avril 2005 dite loi Leonetti se suffit largement à elle-même. Il est en outre périlleux de parler de « situations exceptionnelles », ajoute-t-il : « Qui va définir le côté exceptionnel ? Va-t-on devoir établie une liste exhaustive ? Et qui va s’en charger ? Le législateur, l’Ordre, le Comité national d’éthique, la "formation collégiale" mentionnée par le Conseil ? Ces interrogations sans réponse me laissent très inquiet. »
Pour le professeur Pellerin, le texte adopté a tort d’évoquer des « douleurs psychologiques incontrôlables », une expression qui renvoie selon lui à la notion d’ « arrêt de vie » : « C’est la porte ouverte au suicide médicalement assisté et il n’entre pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort. » On peut également critiquer l’idée de donner à un collège professionnel pouvoir de vie et de mort sur autrui, une mesure qui dilue en fait la responsabilité médicale personnelle.
Principe du double effet
Mgr d’Ornellas a raison de rappeler que « la grande question est celle de l’intention ». En effet, le principe de la sédation constitue une pratique tout à fait légitime en fin de vie à condition de bien respecter les critères de sa mise en oeuvre. La législation française l’autorise, mais avec l’intention de soulager le malade, en aucune manière dans le but de précipiter son décès.
Le principe de la sédation consiste à réduire l’activité cérébrale sans altérer de façon majeure les grandes fonctions vitales[4]. Selon la définition de la Société française de soins palliatifs, la sédation pour détresse en phase terminale est la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à une perte de conscience[5]. Elle consiste donc, en cas de symptômes douloureux réfractaires, à induire cette baisse de la vigilance de la personne, en utilisant des moyens pharmacologiques adaptés que les praticiens des soins palliatifs maîtrisent avec à-propos.
Concrètement, les spécialistes envisagent son application soit pour provoquer la somnolence d’un malade que l’on peut éveiller à la parole ou par toute autre stimulation, soit pour induire une perte de conscience qui sera transitoire (sédation intermittente) ou non (sédation prolongée).
Intention de soulager
Le rapport de 2008 issu des travaux de réflexion de la mission parlementaire d’évaluation de la loi sur la fin de vie n’avait pas laissé dans l’ombre cette question et avait insisté sur le discernement moral dont il convenait d’entourer cette pratique : « La sédation ne doit pas être pratiquée à la demande du malade pour provoquer la mort puisque l’interdit fait au médecin de provoquer délibérément la mort tel qu’il est posé par l’article R. 4127-38 du code de la santé publique demeure […]. Elle ne saurait constituer une méthode douce d’euthanasie [6]. »
Ainsi la permission légale ne doit en aucun cas couvrir l’administration de produits dans le but d’abréger la vie du patient. Dans l’hypothèse visée par la loi, la mort n’est pas le résultat recherché : sa venue possible n’est qu’une conséquence envisagée du traitement dont l’objectif unique est de calmer une douleur réfractaire, selon le principe du double effet.
Tout l’intérêt des débats, auditions et rapports ayant débouché sur le vote à l’unanimité par le Parlement de la loi du 22 avril 2005, évaluée et reconduite en décembre 2008, est d’avoir rappelé que l’ensemble des formes d’administration intentionnelle de la mort, directes ou indirectes, sont interdites au nom du respect de la dignité de la personne. Pour protéger ce principe fondamental, les deux missions parlementaires de 2004 et 2008 n’ont pas hésité à mettre à l’honneur le « double effet » en insistant particulièrement sur la justesse de l’intention morale des professionnels de santé dans leurs pratiques.
Si l’intention porte sur le fait d’accélérer la mort et que le traitement est utilisé comme un moyen pour cela, l’acte est une euthanasie moralement illicite. Si l’intention est de soulager la douleur et que l’abrègement possible de la durée de vie n’est qu’une conséquence non directement voulue, l’acte entre dans le cadre légitime du principe du double effet et peut être moralement licite.
Dans cette situation, la cause de la mort du malade n’est pas à proprement parler la sédation mais la pathologie sous-jacente. Autrement dit, le malade, s’il décède, ne meurt pas du fait du médecin mais du libre cours de sa maladie qui a pris le dessus. Mgr d’Ornellas a parfaitement raison de réfuter l’expression ambigüe de « sédation terminale » : « Il est plus juste de parler de sédation en phase terminale. »
Selon le blog Le Salon beige, le député Jean Leonetti (UMP, Alpes maritimes) déposerait une proposition de loi avant la fin du mois pour inscrire dans le Code de la santé publique un « droit à la sédation pour les malades conscients » qui serait également reconnu aux personnes inconscientes qui auraient exprimé leur demande dans des directives anticipées. Si l’exposé des motifs ne se laisse pas facilement interprété, la proposition de modification de l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique nous semble plus conforme à l’éthique et au principe du double effet que l’avis du conseil de l’Ordre :
"« Toute personne en état d’exprimer sa volonté et atteinte en phase terminale d'une affection grave et incurable, dont les traitements et les soins palliatifs ne suffisent plus à soulager la douleur physique ou la souffrance psychique, est en droit de demander à son médecin traitant l’administration d’un traitement à visée sédative, y compris si ce traitement peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie selon les règles définies à l’article L1110-5 code de la santé publique. La mise en oeuvre du traitement sédatif est décidée de manière collégiale. La demande formulée par le malade et les conclusions de la réunion collégiale sont inscrits dans le dossier médical. »
"
Cependant, on ne comprend pas bien pourquoi Jean Leonetti insiste de nouveau sur ce point alors que sa loi était parfaitement claire et que le rapport d’évaluation parlementaire de 2008 avait rappelé le cadre de mise en œuvre de la sédation en phase terminale.
L’euthanasie sous couvert de sédation
L’avis du Conseil national de l’ordre des médecins rejoint en fait l’une des recommandations figurant dans le rapport Sicard remis au chef de l’État le 18 décembre dernier. Après l’évocation d’une assistance médicalisée au suicide sur laquelle nous reviendrons, le Pr Didier Sicard envisage en effet comme piste d’évolution législative pour « terminer sa vie dans la dignité » l’usage de la sédation terminale après arrêt de traitement curatif avec l’objectif de précipiter la mort d’une personne en fin de vie : « Il serait cruel de laisser mourir ou de laisser vivre sans apporter au malade la possibilité d’un geste accompli par le médecin accélérant la survenue de la mort. » Dans ce dernier cas, la sédation terminale effectuée par l’équipe médicale reviendrait à exécuter une euthanasie qui ne dirait pas son nom, une « euthanasie palliative » selon l’oxymore forgée par certains.
Saisi par le président de la République sur la question du suicide médicalement assisté et de la sédation terminale, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) devrait rendre ses arbitrages courant avril. Le rapport de la mission sur la fin de vie présidée par le professeur Sicard et l’avis du Conseil national de l’ordre des médecins ouvrant tous les deux la porte à une euthanasie par sédation terminale, il y a tout lieu de craindre que le CCNE reprenne cette position contraire à l’éthique.
_____________________
[1] Conseil National de l’Ordre des Médecins, « Fin de vie, assistance à mourir », 8 février 2013.
[2] Martine Perez, « Confusion sur la fin de vie », Le Figaro, 15 février 2013 ; Vincent Olivier, « Euthanasie : le Conseil de l’Ordre ouvre à nouveau la confusion », L’Express.fr, 14 février 2013.
[3] « Mgr d’Ornellas dénonce un risque de dérive d’euthanasie », La Croix, 17 février 2013.
[4] Docteurs Michèle-Hélène Salamagne et Sylvain Pourchet, Euthanasie et sédation – Aux limites du soin : les situations extrêmes en fin de vie, Espace éthique AP-HP, Vuibert 2006, p. 216.
[5] V. Blanchet, R. Aubry et al., La sédation pour détresse en phase terminale, Recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Med. Pal. 2002, n. 1.
[6] Solidaires devant la fin de vie, Rapport d’information n. 1287 (2 tomes), Assemblée nationale, Paris, décembre 2008, p. 208.
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mon beau-frère, suite à une mauvaise chute à la tête a été sédaté de façon à ne pas souffrir ; là il est en mode réveil et nous saurons jeudi prochain s'il s'en sortira : voilà je suis pour la sédation dans la mesure où le patient ne souffre pas
A tous ceux, se permettant d’aborder ce sujet sociétal avec légèreté, dérision et parfois cynisme, enfermés dans certains clivages politiques, idéologiques, dogmatiques, nous soumettons nos réflexions.
Voir le commentaire en entierComment peut-on se dire, par ailleurs, qu’après tout, l’euthanasie est déjà une réalité dans nos hôpitaux…, alors à quoi bon légiférer ! Comment peut-on accorder « force de loi » à la clandestinité, en risquant par ailleurs, des dérapages dans un sens ou dans un autre ?
Le 8 février 2013, le Conseil national de l'Ordre des médecins s'est prononcé en faveur d'une évolution de la législation sur la fin de vie en France en envisageant pour la première fois le recours à une sédation terminale dans des "situations exceptionnelles". Ils n'évoquent que les personnes lucides qui réitèrent leurs requêtes pour être délivrées en phase terminale de maladies incurables. Les grands oubliés de toutes ces délibérations sont à nouveau les patients en état végétatif chronique irréversible qui eux, ne pouvant pas s'exprimer, ne bénéficieront donc pas d'un recours à une sédation terminale, n'étant pas estimés en situation exceptionnelle.
A peu près 2000 personnes se trouvent à l’heure actuelle, en France, en état végétatif chronique. Ce chiffre, avec les progrès de la technologie médicale, va être en constante augmentation, qu’il s’agisse de personnes qui font des accidents vasculaires cérébraux très graves ou des accidentés de la route et notamment les jeunes gens en deux roues.
Que faire ? Faire appliquer la loi Léonetti (c'est-à-dire, laisser mourir le patient de faim et de soif, en plusieurs jours, avec un accompagnement). Pourquoi refuser « réparation » à ces victimes collatérales des progrès de la réanimation moderne en ne pratiquant pas une aide active à mourir, alors qu'ils sont les principaux concernés ? Il est normal et légitime de tout tenter pour faire revenir à la vie une personne inconsciente, en arrêt cardio ventilatoire, mais après…, après…, quand les IRM attestent que les lésions cérébrales sont telles que seule une vie végétative se profile, que faire ? Il n’y a pas de tuyaux à enlever, de machines à débrancher…, on ne peut plus revenir en arrière, seul le corps survit, de façon autonome. Notre fils (un des premiers cas d'application de la loi Léonetti, en coma végétatif chronique irréversible, inconscient, paralysé à 100%, trachéotomisé et s'étouffant dans ses glaires quotidiennement pendant presque 9 ans), est mort en 6 jours cauchemardesques. Monsieur le député Jean Léonetti, qui nous a auditionnés à l'Assemblée Nationale en mai 2008, a lui-même dénoncé dans son livre "à la lumière du crépuscule", un "laisser crever" concernant le cas de notre enfant. Par ailleurs, le mot clé de cette loi "l'intention" est dénué de sens dans le cas d'application de celle-ci à des Etats Végétatifs Chroniques (EVC). Notre fils n’était pas plus mal, ou aussi mal, 2 jours, 6 mois ou 8 ans 1/2 auparavant. L’intention était donc bien là, euthanasique. Pourquoi, alors ces agonies longues et douloureuses, quel sens leur accorder, ne considérez-vous pas ces atroces situations comme étant exceptionnelles ?
Plus d'info : http://www.over-blog.com/profil/blogueur-3568581.html
Pour information : un sondage qui laisse rêveur : http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/fin_de_vie_fevrier_2013.pdf?download=1