GPA : prime à l’immunité

Malgré le retrait purement tactique du projet de loi sur la famille, le chef de l’État et le gouvernement sont bien décidés à contourner l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) pour offrir une prime à l’impunité à tous les couples, tant hétérosexuels qu’homosexuels, qui souhaitent y recourir en dehors de nos frontières [1].

C’EST AINSI qu’il faut comprendre la première étape que constitue la « circulaire GPA » que Christiane Taubira faisait parvenir le 25 janvier 2013 à tous les greffiers pour leur demander de ne plus s’opposer à la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse.

Circulaire GPA

Vivement critiqué, le texte enjoint de facto les fonctionnaires de justice à fermer les yeux sur des pratiques frauduleuses prohibées par la loi tout en leur donnant des effets en droit français. Le greffier en chef du tribunal d’instance de Toulouse en a fait l’amère expérience au moment même où la circulaire Taubira était envoyée aux juridictions. Après avoir refusé d’accorder la nationalité française à un bébé de quatre mois né d’une mère porteuse indienne, l’homme s’est fait sèchement rappeler à l’ordre par le ministère de la Justice qui l’a contraint à rédiger le certificat.

L’opposition à ce texte scandaleux a cependant pris depuis une tournure qui inquiète la Chancellerie. Se sont en effet retrouvés côte à côte l’association Juristes pour l’enfance, proche de La Manif pour tous, ainsi que le syndicat FO-Magistrats qui ont chacun déposé un recours devant le Conseil d’État. Tous deux remettent en cause la légalité d’une circulaire qui contredit des textes d’origine législative dont le fondement se trouve dans les principes constitutionnels de sauvegarde de la dignité humaine et d’indisponibilité de l’état des personnes. Ils contestent en outre la compétence du garde des Sceaux à imposer à des officiers d’état civil la « validation » d’un fait délictueux commis en infraction à l’ordre public ayant pour conséquence de faciliter le contournement de la loi française.

La Cour de cassation s’en est depuis mêlée en apportant dans un double arrêt du 13 septembre 2013 un soutien particulièrement solide aux arguments avancés par les opposants à cette circulaire. En séance plénière, la première chambre civile de notre plus haute juridiction a affirmé sans équivoque dans une autre affaire d’enfant né en Inde que « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui », celle-ci, « fût-elle licite à l’étranger », est nulle « d’une nullité d’ordre public ».

En conséquence de quoi la Cour de cassation non seulement a écarté toute possibilité de transcrire sur les registres de l’état civil français l’acte de naissance de l’enfant établi dans ce pays mais a en outre annulé la reconnaissance de paternité de celui qui était pourtant le père biologique. Il s’agit donc d’un jugement extrêmement ferme qui apporte un démenti cinglant à l’esprit et à la lettre de la circulaire Taubira. Dans ces conditions, on voit mal dans les prochaines semaines les juges du Conseil d’État ne pas suivre leurs collègues de la Cour de cassation.

Une loi pour annuler la jurisprudence de la Cour de cassation ?

La place Vendôme n’a cependant pas dit son dernier mot. Plutôt que de prôner la délivrance d’un simple certificat de nationalité, la majorité réfléchit à la rédaction d’un texte législatif qui réglerait définitivement le problème en autorisant la transcription complète des actes de naissance d’enfants nés par GPA sur les registres français d’état civil. Le rapporteur de la loi sur le « mariage pour tous », le député PS Erwann Binet, ne s’en cache pas :

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« Il faut trouver une manière de reconnaître l’identité de ces enfants. On ne peut faire peser sur eux la responsabilité de leurs parents qui ont contourné la loi. Il en va de leur intérêt supérieur » (La Croix, 27 janvier 2014).

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Dès lors, couples stériles et lobbys homosexuels font cause commune pour pousser le gouvernement à revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation et demander à ce que soit consacrée la filiation des enfants nés par GPA, tant avec le père génétique qu’avec l’époux ou l’épouse d’intention selon la configuration du couple.

En ce qui concerne les « couples homosexuels », l’Association des familles homoparentales (ADFH) ne réclame pas d’abord la légalisation de la GPA en France – pour l’instant – mais « l’établissement d’un statut civil national pour les enfants nés de mères porteuses » (Le Figaro, 8 juillet 2013). Le lobby gay compte sur la loi Taubira, dont les conséquences jusqu’ici passées sous silence permettent théoriquement au « conjoint » marié au géniteur (celui qui a donné son sperme pour féconder l’embryon implanté dans l’utérus de la mère porteuse à partir d’un ovule cédé contre rémunération par une seconde femme) d’obtenir de retour en France l’adoption plénière qui le désignera comme « second père » de l’enfant abandonné par la femme ayant loué son ventre.

De fait, la transcription automatique sur les registres français des actes de naissance étrangers anéantirait la seule disposition encore dissuasive à l’encontre d’adultes prêts à tout pour obtenir un enfant : faire de lui l’objet d’un contrat et exploiter sans vergogne le corps de malheureuses qui sont pour l’immense majorité dans des situations d’extrême pauvreté[2]. En suivant cette voie indigne, le gouvernement espère instaurer d’une manière détournée mais bien réelle le principe de la « GPA pour tous ».  

L’Europe en renfort du gouvernement ?

L’Europe pourrait apporter dans les prochains mois de l’eau au moulin de la majorité. Demain, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), tout en laissant aux États le soin d’autoriser ou non la GPA chez eux, pourrait leur imposer de faciliter la reconnaissance d’une filiation d’un enfant né à l’étranger d’une mère porteuse au nom de son intérêt supérieur. L’affaire Mennesson du nom de ce couple français ayant obtenu des jumelles nées aux USA par GPA a été en effet jugée recevable par la CEDH dont la grande chambre pourrait répondre favorablement avant la fin de l’année à la demande de reconnaissance de la filiation de leurs filles avec le père biologique et la mère intentionnelle. Cette affaire et d’autres, suivies attentivement par les lobbys LGBT européens, pourraient ainsi aboutir à contraindre les États du continent à contourner l’interdit de la GPA sur leur territoire[3].

Cette question commence à émerger également au niveau du Parlement européen qui réfléchit à l’opportunité de se prononcer pour « protéger les droits des enfants issus de GPA » tout en laissant ses 28 membres libres d’interdire ou non le recours à une mère porteuse dans ses frontières. C’est ainsi qu’une « étude comparative sur le régime applicable à la maternité de substitution dans les États membres de l’Union européenne » commandée par le Parlement de Strasbourg a été présentée en juillet dernier devant les députés. « Nous ne savons pas quelle est l’intention des députés européens, a expliqué au Figaro Laurence Brunet, qui a coordonné ce travail. On nous a demandé de ratisser toutes les décisions judiciaires connues dans les différents pays et tout ce qui pouvait exister en matière de normes. Nous devions également faire des propositions sur les possibilités de légiférer au niveau européen [4]».

Même si le Parlement ne peut en aucun cas imposer à un de ses États membres d’adopter une législation favorable à la GPA sur son territoire, il pourrait émettre une directive commune au nom des principes communautaires de libre circulation des personnes, d’égalité et de non-discrimination pour réclamer que soit accordé à ces enfants un état civil national. Ce qui reviendrait bien sûr à régulariser in fine les démarches illégales des parents d’intention, hétérosexuels ou homosexuels. Le risque est d’autant plus grand que la majeure partie des gouvernements européens ne semble guère opposée à faciliter la transcription des actes de naissance de ces enfants.

Mondialisation de la marchandisation des corps

À terme, l’Organisation des Nations-unies (ONU) pourrait à son tour s’emparer du sujet pour demander que chaque État reconnaisse dans son droit national la filiation établie à l’étranger après GPA, tant à l’égard du parent intentionnel que du parent biologique. Certains observateurs évoquent ainsi la possibilité d’une nouvelle convention internationale pour régler la situation des enfants nés par GPA dont la pratique est en plein essor dans le monde.

Le résultat serait catastrophique, renforçant immédiatement les filières commerciales internationales en plein développement d’aliénation du corps des femmes par location d’utérus. L’engrenage serait alors inévitable, le recours à l’instrumentalisation de mères porteuses bon marché dans les États les pauvres de la planète n’ayant plus aucune conséquence pour les parents d’intention qui s’affranchiraient sans crainte de l’interdit de la GPA dans leur propre pays.

 

 

Pierre-Olivier Arduin est chargé des questions de bioéthique pour l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

 

 

 

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[1] Une partie de cet article est parue dans le dernier numéro du mois de mars de La Nef (Pierre-Olivier Arduin, « GPA pour tous », La Nef, n. 257, mars 2014).
[2] Natacha Tatu, « Mères porteuses : bienvenue dans l’usine à bébés », Le Nouvel Observateur, 27 octobre 2013 ; Piotr Smolar, « Ventres à louer », M le magazine du Monde, 6 janvier 2013.
[3] «  La GPA pour tous à l’épreuve de l’Europe », Le Figaro, 5 février 2013. Deux affaires sont en instance à la Cour européenne de Justice du Luxembourg (Affaires C-167/12 et C-363/12) et deux autres à la Cour européenne des Droits de l'homme : Sylvie Mennesson et autres contre la France et Francis Labassee et autres contre la France (www.comece.org).
[4] Stéphane Kovacs, « La GPA discutée au Parlement européen », Le Figaro, 8 juillet 2013.

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