Les procréations artificielles entre trafic et business

Une circulaire du ministère de la Santé menace de sanctionner les gynécologues français qui orientent leurs patientes vers des cliniques privées étrangères spécialisées dans le don de gamètes.

En plein scandale sanitaire sur la pilule, une nouvelle accusation visant les gynécologues crée l’émoi dans la profession. Par la circulaire du 21 décembre 2012 transmise au mois de janvier au président du Conseil national de l’ordre des médecins, la Direction générale de la santé (DGS) a adressé une sévère mise en garde à l’encontre des gynécologues qui mettraient en relation leurs patientes avec des établissements privés étrangers ayant des pratiques d’assistance médicale à la procréation (AMP) non conformes à la législation française.

Sanction pénale pour délit d’entremise

Contrairement à ce qu’a pu affirmer le porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem pour tenter de désamorcer la polémique, les praticiens ayant touché des rétro-commissions ou autres avantages en nature de la part de ces cliniques étrangères ne sont pas les seuls pointés du doigt par la circulaire.

La Direction générale de la santé précise ainsi qu’elle a consulté à deux reprises la Direction des affaires criminelles et des grâces et qu’en l’espèce, tout médecin qui délivrerait, ne serait-ce qu’une simple information orale à sa patiente sur un organisme étranger ayant des pratiques contraires au droit français, se rend coupable de délit d’entremise.

En l’occurrence le praticien, même s’il n’obtient aucune contrepartie financière de l’établissement en question et même si la femme renonce à s’y rendre, risque cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (article 511-26 du Code pénal). En cause, le don de gamètes qui attire de plus en plus de Françaises en dehors de nos frontières, le don d’ovocytes pour des femmes hétérosexuelles à la fertilité déclinante, et le don de spermatozoïdes pour des femmes célibataires ou homosexuelles non stériles.

Paradis du tourisme reproductif

Destination phare de ce « tourisme reproductif », l’Espagne, qui dispose d’un stock inépuisable d’ovocytes avec prise en charge immédiate des couples, contrairement à la France où les délais d’attente s’échelonnent entre deux et cinq ans en raison d’une pénurie chronique des dons de gamètes. Rémunérées 900 euros le prélèvement, somme qui est loin d’être négligeable dans un pays frappé de plein fouet par la crise économique, les donneuses d’ovules se bousculent à la porte des cliniques espagnoles qui ont poussé comme des champignons ces dix dernières années.

Par ailleurs, l’insémination artificielle avec sperme de donneur y est autorisée pour toute femme âgée entre 18 et 50 ans (certains établissements acceptant des femmes jusqu’à 58 ans), célibataires ou non, hétérosexuelles ou homosexuelles. La garantie d’anonymat absolu du don de gamètes est le dernier facteur qui explique que toute l’Europe en mal d’enfants se retrouve à Barcelone, Valence ou Madrid.

Pour faire face à cet afflux, les cliniques ibériques se sont dotées de services de développement à l’international, offrent leurs prestations sur place en plusieurs langues (dont le Français) et proposent des séjours organisés avec hébergement compris. Depuis quelques années, des biologistes et des gynécologues français s’y sont même expatriés en raison des salaires très attractifs, un phénomène qui explique en partie la croissance de la clientèle française.

Dans un rapport publié en 2012, la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie estime ainsi qu’en 2010 pas loin des 40 % des PMA transfrontalières enregistrées sur le continent ont été effectuées dans la péninsule ibérique. Avec 8000 donneuses chaque année contre moins de 300 en France, l’Espagne est qualifié par certains de pays des « poules aux œufs d’or ». La Belgique avec ses « fameux bébés Thalys » n’est pas en reste – l’absence de barrière linguistique et la proximité frontalière joue également beaucoup en faveur de l’attractivité des cliniques bruxelloises sur les ressortissantes françaises –, suivie, dans une moindre mesure, par la République Tchèque, la Grèce, Chypre et l’Ukraine qui complètent la géographie de ce réseau européen des délocalisations procréatives.

Complicité des praticiens français

Ils ne sont pas rares les spécialistes français des fécondations in vitro à se rendre complices de ce business en pleine expansion des procréations artificielles en aidant les couples (et les homosexuelles) qui se tournent vers l’étranger à la recherche de cellules sexuelles de qualité, objets de toutes les convoitises.

Il y a deux ans, nous avions cité l’article du professeur Dominique Le Lannou paru dans la revue française Gynécologie Obstétrique & Fertilité dans lequel le directeur du service de biologie de la reproduction du CHU de Rennes expliquait les ressorts de ces migrations des couples infertiles français :

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« Une grande partie du corps médical […] les accompagne dans ce tourisme procréatif, aidés par le système d’assurance maladie qui autorise, en vertu de la loi européenne sur l’égalité de l’accès aux soins dans les différents pays de l’union européenne une prise en charge d’une partie des frais occasionnés par un don à l’étranger : en 2006, ce sont près de 400 couples qui ont reçu un dédommagement de 2500 euros chacun pour un don d’ovocytes réalisé en Espagne. La caisse nationale d’Assurance maladie donne un budget d’1 000 000 euros pour financer les cliniques privées espagnoles [1]. »

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Si les praticiens français qui ont noué des contacts étroits avec leurs homologues espagnols ou belges n’hésitent pas à diriger leur patientèle vers ce secteur privé commercial florissant, ils n’ont également guère d’états d’âme à rédiger les ordonnances de produits de stimulation ovarienne, parfois au profit de la donneuse d’ovocytes de l’autre côté des Pyrénées. C’est encore ce qu’affirme le professeur le Lannou pour qui le million d’euros de pertes par la Sécu ne prend pas en compte « les prescriptions de médicaments de stimulation de l’ovulation pour la donneuse espagnole (1000 euros par cycle) mais dont l’ordonnance est faite par un médecin français au nom de la receveuse française et prise en charge par les caisses d’Assurance maladie françaises ».

Prise en charge des homosexuelles

Le secteur des inséminations artificielles avec sperme de donneur est lui aussi en pleine expansion. Selon une étude récente, on estime que 73 % des 2300 Françaises qui se sont rendues en Belgique  entre 2005 et 2007 ont bénéficié d’une insémination avec don de spermatozoïde [2]. Parmi elles, de nombreuses homosexuelles qui là aussi reçoivent une prise en charge médicale remboursée par la Sécurité sociale tant avant que pendant la grossesse.

L’Assurance-maladie couvre ainsi le coût du traitement de stimulation (sauf si le gynécologue indique sur l’ordonnance que l’acte est « non remboursable »), la surveillance des ovaires et le dosage des hormones ainsi que le suivi de la gestation, les échographies,… Si l’acte médical de l’insémination proprement dite est effectué en Belgique ou en Espagne – le geste étant strictement illégal en France pour une femme célibataire ou homosexuelle – tous les traitements avant ou après l’insémination sont l’objet d’un suivi en France avec le concours des praticiens. Le professeur Israël Nisand l’admet lui-même : « Avant l’insémination [à l’étranger], il vaut mieux que ces femmes soient prises en charge dans de bonnes conditions [3] ».

Fabrication artificielle d’enfants adoptables

On comprend alors que même sans avoir prévu un volet spécifique sur l’accès à la procréation artificielle par les « couples de lesbiennes mariées », la loi adoptée à l’Assemblée nationale sur « le mariage et l’adoption pour tous » ne pourra que démultiplier ce tourisme reproductif transfrontalier. En effet, il suffira que l’une des deux femmes se rende à Barcelone ou à Bruxelles pour s’y faire inséminer et que sa « conjointe » engage une procédure d’adoption plénière qui lui sera accordée de plein droit vis-à-vis de l’enfant ainsi conçu. Le rapporteur PS de la loi, Erwann Binet, l’a reconnu : « Le projet de loi sur le mariage pour tous prévoit l’adoption dans un couple de lesbiennes de l’enfant conçu par insémination artificielle », que cela soit en France ou à l’étranger (Le Figaro, 5 janvier 2012).

L’ouverture de l’AMP pour les femmes homosexuelles est donc un sujet essentiellement factice et ne vise qu’à détruire un peu plus les repères de la filiation et de l’engendrement dans notre droit. On peut en effet penser que l’autorisation qui pourrait être accordée en fin d’année aux homosexuelles de recourir chez nous à l’insémination artificielle ne changera rien à leur comportement. En effet, en raison du manque de donneurs se poserait immanquablement la question de la pénurie de paillettes de sperme pour satisfaire cette nouvelle demande. Les « couples » de lesbiennes ont donc tout intérêt à continuer à se rendre en Belgique ou en Espagne avec le concours des médecins français. Même adoptée dans sa formulation actuelle par le Parlement, la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe promeut indirectement le tourisme reproductif et la fabrication artificielle d’enfants adoptables pour les couples de lesbiennes.

Face à de telles dérives, on ne peut que se féliciter que les autorités sanitaires aient adressé aux praticiens français un cinglant rappel à l’ordre. Mais on doit malheureusement craindre que le marché européen des procréations artificielles croisse encore dans les prochains mois, encouragé indirectement pour les homosexuelles par la nouvelle législation dénaturant le mariage et pour tous les couples infertiles par la complicité plus ou moins active de certains gynécologues français dont plusieurs ont annoncé vouloir continuer à braver la loi [4].  

 

 

 

[1] D. Le Lannou, J-F. Griveau, E. Veron, F. Jaffre, G. Jouve, V. Descheemaeker, A. Gueho, K. Morcel, « Oocyte donation in France », Gynécologie Obstétrique & Fertilité 38 (2010), 23-29.
[2] Delphine Chayet et Marie-Amélie Lombard, « PMA : le suivi médical des homosexuelles fait débat », Le Figaro, 6 février 2013.
[3] Ibid.
[4] Cf. par exemple les propos du professeur René Frydman, invité d’Europe 1 Soir le 5 février 2013.