François Hollande a conclu l'émission des Paroles et des Actes du 15 mars dernier sur le sujet de la "mort dans la dignité". Pendant l'émission, ses propos très équivoques, comme cette expression elle-même, avaient déjà cherché à voiler le plus possible la réalité sordide de l'euthanasie [1]. Cependant la fin d'émission a été l'occasion d'un passage lyrique supplémentaire où le candidat s'est implicitement comparé au Président Mitterrand, parlant d'une "flamme à donner", et disant explicitement que le projet de loi qu'il voulait sur la mort dans la dignité était porteur d'une lueur semblable [2]. L'idée lui avait-elle été soufflée par J.L.Mélenchon, qui veut inscrire le suicide assisté comme un principe constitutionnel de la république française, au même titre, ose-t-il dire, que l'abolition de la peine de mort [3] ? S'il y a eu un moment solennel, pendant la première campagne de Mitterrand et le début de son premier septennat, ce fut assurément celui de l'abolition de la peine de mort. François Hollande aurait-il raison, sur ce point, de se comparer avec François Mitterrand, comme son propos confus le laisse maladroitement entendre, en l'absence de plus de clarification? Parlant en fin d'émission, sa pensée est en effet restée le mot de la fin, si l'on peut dire... Faisons donc un retour sur cette comparaison qu'osent certains et apparemment le candidat François Hollande aussi.
Certains voudraient que l'on parle d'un « droit de mourir dans la dignité », qui revient à faire une exception d'euthanasie. Il y a là une expression inventée de toutes pièces, et destinée à servir d'instrument rhétorique pour amadouer les citoyens les plus méfiants et pour piéger les naïfs [4]. Il arrive que des hommes se sentent humiliés et pensent avoir perdu leur dignité. Ou qu'ils pensent risquer de perdre leur dignité. Pourtant, celle-ci n'est pas à géométrie variable. L'homme a une dignité constitutive, simplement en tant qu'homme. Il est essentiel de témoigner à chaque patient, quel que soit son état, qu'il est toujours digne, qu'il appartient à l'humanité concrète, et cela passe par nos yeux, notre regard. Si on lui retire cela, alors précisément on le fera mourir dans le mépris et pour indignité. On peut appeler cela « mourir dans l'indignité ». Or, l'euthanasie, la mort provoquée pour un autre, afin de soulager ses souffrances en fin de vie, est précisément un geste qui suppose l'affirmation implicite que, dans certaines conditions, on n'est plus digne de rester parmi les hommes. Ainsi, l'euthanasie laisse « mourir dans l'indignité », au sens précisé plus haut. En vérité, dans toutes les conditions, l'homme garde sa dignité, et il faut lui permettre, eu égard à cette dignité intrinsèque, d'en garder le sentiment. Il ne s'agit pas d'interdire ou de contester tout sentiment d'indignité, mais il s'agit de refuser l'idée qu'une personne soit devenue indigne. On doit contester l'expression « mourir dans la dignité » car elle laisse supposer que l'euthanasie pourrait être le moyen de préserver cette dignité. Au contraire, le geste d'euthanasie, comme l'acharnement thérapeutique qu'il prétend combattre, est indigne de l'humanité.
Acharnement thérapeutique et euthanasie appartiennent en fait à une même volonté de totale maîtrise, bien vaine et bien dangereuse, qui est au fond l'idéologie techniciste, caractéristique essentielle d'une société de production et de consommation, comme celles dominant en Europe au XXème siècle et aujourd'hui, type de société générant, par le principe du primat de l'économie et de la technique, un haut degré de mépris de la dignité humaine.
Peine de mort pour soi-même
De quel point de vue la légalisation de l'euthanasie peut-être appelée l'établissement d'une peine de mort pour soi-même ? Et pourquoi ne peut-elle pas l'être complètement ?
Les partisans d'un droit de mourir prétendent qu'il peut trouver sa place juridiquement. Selon eux, on pourrait disposer de l'avis de commissions médicales et, en accord avec les familles et, selon les libres demandes écrites de certains patients, il serait possible alors de faire mourir les patients qui le demanderaient. C'est ainsi qu'ils placent leur confiance dans la réalité du sens exprimé par ces demandes et en appellent au libre-arbitre.
Rappelons que plusieurs fois dans l'histoire du XXème siècle en URSS, des hommes ont été condamnés à la peine de mort après être passés aux aveux, bien sûr extorqués sous la torture [5]. Ces mêmes hommes auraient d'ailleurs demandé (si on leur avait proposé de fixer leur peine) d'être condamnés à la peine de mort, selon la loi pénale en vigueur. Les historiens ont raconté ainsi la réalité de nombreux procès staliniens, où l'accusé finissait par s'accuser de crimes qu'il n'avait jamais commis.
Mais, ne devons-nous pas penser qu'une personne seule, mourante, souffrante, née dans une société qui voue un culte à l'argent, à l'efficacité, à la puissance, et qui lui renvoie l'image d'un inutile gêneur improductif et coûteux, demandera toujours la mort et n'aura pas plus de libre arbitre en disant cela que l'homme accablé sous les coups de ses tortionnaires. Il y a des regards qui tuent plus que tous les actes du monde. Ainsi, l'individu se juge coupable et réclame la mort et la punition même de la faute dont le reproche le suit partout. La société tout entière est en quelque façon le tribunal devant lequel chacun se fait comparaître. L'individu vote pour la peine de mort pour lui-même, sans pouvoir vraiment d'ailleurs passer dans un salutaire isoloir. Or beaucoup « votent » de cette façon, aussi bien lors des scrutins que dans le quotidien.
Le crime d’inutilité
Qu'il y ait une loi qui « encadre » de tels actes après ces demandes, et c'est d'une part donner un cadre légal pour la satisfaction du désir d'économies (l'avarice) et d'autre part verrouiller définitivement l'intériorisation des préjugés moraux et des valeurs d'une société donnée. Ce pourrait être, de façon renversée, la « cruauté retournée contre soi-même » qu'est la conscience morale selon Nietzsche. Ce serait encore une fois une consécration du libéralisme économique en définitive.
Qu'il y ait une loi qui « encadre » de telles demandes, et c'est établir tranquillement le meurtre à discrétion. Mais une mise à mort légale et administrée à quelqu'un qui est jugé et se juge de trop comme coupable d'inutilité, c'est exactement la peine de mort, si le crime d'inutilité existe. Il est vrai toutefois que l'inutilité ou le surcoût global de l'individu n'est pas un crime reconnu par la loi, du moins pas aujourd'hui, en France. Mais dans les faits, dans les esprits, c'est déjà ainsi, c'est perçu habituellement et, on peut le craindre, majoritairement comme une infraction à la norme, une atteinte à la dignité, et pourquoi pas un jour comme un crime passible de mort ? Alors, malade, je ferai un acte « citoyen » en demandant la mort. Puis, dans un avenir peut-être plus proche qu'on ne pense, on accusera un malade incurable de ne pas réclamer la mort. Le bourreau obtiendra gain de cause, devant les tribunaux, et donner la mort paraîtra vertu. Il ne restera plus alors qu'à menacer les objecteurs de conscience, et, comme on tire sur les déserteurs, on les condamnera. Mais le véritable civisme devrait savoir refuser cela. Répondre aux supplications de mort peut et doit se faire autrement qu'en administrant la mort. Par exemple, en arrêtant la torture qui l'engendre, en étant présent et en accompagnant.
Je crois donc que rapprocher l'euthanasie et la peine de mort peut se faire sous les conditions précisées ci-dessus et même doit se faire pour démasquer certains faux semblants, et provoquer à la réflexion.
Je considère donc que l'honneur de tous les hommes politiques, de gauche comme de droite, devrait être de préserver les vies les plus menacées d'exploitation et de renforcer la solidarité. François Mitterrand [6] avait aboli la peine de mort. Par ce geste, la loi protégeait tous les individus (victimes ou assassins) face au rouleau compresseur de la société. Son choix a été courageux. Force est de constater que F. Hollande fait le contraire.
Des sondages d'opinion assez récents montrent encore que nos concitoyens seraient majoritairement favorables à la peine de mort dans des situations exceptionnelles comme le meurtre d'enfants. Il est bon que les législateurs, tout en travaillant à la promotion d'une meilleure sécurité pour tous, ne cèdent pas à cette tentation. On sait bien, en effet, qu'une seule exception à l'abolition de la peine de mort constituerait un rétablissement de la peine de mort. Dans le domaine de la protection de la fin de vie, il en serait de même. Ce n'est pas pour rien que les promoteurs de l'euthanasie légale s'emparent de quelques cas savamment présentés et déformés, à l'appui de leur revendication, qui vise à faire admettre le suicide « médicalement assisté » comme un droit de l'homme, à inscrire même, selon certains, dans la Constitution. Pour motif de convenance personnelle, ils seraient prêts à fragiliser le principe protégeant toute personne contre les atteintes à sa vie.
De plus, comme pour les victimes de la peine de mort, la moindre erreur judiciaire commise par les institutions est irrattrapable, la victime ne pouvant pas être ramenée à la vie. Ainsi, les erreurs des commissions médico-légales chargées de valider les demandes d'euthanasie en considération des soi-disant demandes éclairées des patients à être euthanasiés ne pourraient pas être plus rattrapées que celles d'un tribunal de la plus haute instance. Dans toutes les institutions judiciaires en effet, il reste une possibilité, même minime, d'erreurs judiciaires. On ne peut accepter de préparer ce qu'il faut pour que de telles injustices un jour se produisent. Elles pourraient d'ailleurs vite se multiplier et donner place à une certaine forme de cruauté dans l'exécution des cas. L'abolition de la peine de mort doit être totale ou n'est rien. Idem pour la protection en fin de vie, la loi doit protéger totalement ou ne pas le faire du tout.
Pour cette raison, il n'est pas étonnant que Robert Badinter, garde des Sceaux de François Mitterrand et défenseur et auteur de la loi abolissant la peine de mort, ait été parmi les premiers à dire son refus d'une légalisation, à titre soi-disant exceptionnel, de l'euthanasie.
La réduction à l’homo-oeconomicus
Les gouvernements de gauche comme de droite, par des présupposés doctrinaux communs, comme le primat accordé à l'économie dans la marche de l'Histoire et l'acceptation de sa supériorité sur la Politique, n'ont cessé de contribuer à renforcer un état d'esprit utilitariste et matérialiste: la personne est réduite bien souvent à ce qu'elle produit et rapporte d'utile. Marxisme et libéralisme se donnent la main par le primat qu'ils accordent tous deux au monde économique. Ces deux idéologies sœurs ne cessent de répéter en outre que la loi doit accompagner les changements des mentalités. On peut donc craindre le pire. Quand tout le monde aura bien « évolué », on aura enfin le meilleur des mondes d'Huxley, et on triera les déchets humains mieux qu'on ne le fait déjà pour les déchets ménagers. Aux Pays-Bas, une proposition de loi a été déposée pour permettre que, dès 70 ans, n'importe qui puisse « bénéficier » d'une euthanasie, au simple motif de la « fatigue de vivre ». S'agit-il d'une évolution souhaitable, d'un progrès ? Voir le détail de l'évolution sur le site de l'alliance VITA.
Plutôt donc qu'à un appel au vote pour tel ou tel candidat, je voudrais donc poser cette question qui me semble cruciale : notre société sera-t-elle plus ou moins juste et cohérente avec le principe du respect des personnes avant ou après avoir légalisé l'euthanasie? Elle n'enlève rien à d'autres questions également importantes. Cependant la question de la manière dont on veut mourir revient au fond à celle de savoir comment on veut vivre. A ce titre, elle résume toute l'éthique. Comme une politique coupée de l'éthique ne présente aucun intérêt pour un citoyen qui se respecte, la question des décisions prises en fin de vie donne une indication claire du genre de politique que l'on veut. L'euthanasie conduirait à affaiblir le principe du respect des personnes et les livrerait à la logique de la société de consommation, ce qui, convenons-en, signerait la victoire du libéralisme et des marchés. Parions que la Bourse saluerait une mesure comme la légalisation de l'euthanasie. Ne donnons pas cette chance aux spéculateurs. Et défendons les soins palliatifs [7].
Dans le contexte actuel, on peut s'attendre à ce que la dette des États et particulièrement celle de la France ôte toute marge de manœuvre aux candidats pour leurs programmes économique et social, qui sont donc hypothétiques et très incertains. Les propositions de Nicolas Sarkozy comme de François Hollande dépendent des estimations de croissance qui sont déjà caduques, ayant été faites en sous-estimant le développement de la crise de l'euro. Leur politique sera donc à peu de choses près la même, dictée par les contraintes macro-économiques. En revanche, on peut être certain que dans le contexte actuel, une mesure « sociétale » comme la légalisation de l'euthanasie qui, en termes comptables ne coûte rien et rapportera, sera mise en en œuvre [8]. Dans le projet socialiste, elle serait inscrite à l'ordre du jour de la première session du parlement.
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[4] C'est comparable à l'expression « balles de caoutchouc » qui désigne les projectiles utilisés par la police de certains pays pour disperser les manifestations. Mais l'expression est fallacieuse, euphémistique. Il s'agit en réalité de billes d'acier enrobées d'une couche caoutchoutée. Elles peuvent blesser et même tuer, mais le mot « caoutchouc » le fait oublier. Idem pour « droit » et « dignité ».
[5] Voir par exemple: http://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_Moscou#R.C3.A9sultats_des_proc.C3.A8s
[6] Mitterrand n'a jamais non plus été favorable à ma connaissance, à l'euthanasie. Il a même préfacé le livre de Marie de Hennezel sur les soins palliatifs intitulé La Mort Intime.
[7] Voir un comparateur sur le sujet, par exemple: http://www.alliancevita.org/2012/04/les-10-candidats-et-le-respect-de-la-vie/
[8] Sur l'euthanasie économique voir le dernier état du débat sur le sujet: http://www.libertepolitique.com/layout/set/print/L-information/Decryptage/L-euthanasie-economique