Intervention devant la Commission des lois du Sénat lors de la table-ronde sur "L'évolution des modes de filiation", le 22 mars.
NOUS DEBATTONS entre adultes de réalités — [ les modes de filiation (Ndlr)] — qui impliquent d'abord les enfants.
Le risque est alors que les désirs des adultes, les scénarios auxquels ils aspirent, l'emportent sur la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le droit de toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix de doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l'enfant. L'enfant est d'abord sujet de droits. Or, parmi ses droits les plus élémentaires, il y a, chaque fois que cela est possible, a priori, le droit à "connaître ses parents et à être élevé par eux", ainsi que le rappelle la Convention internationale des droits de l'enfant en son article 7.
Par une habile dialectique, certains retournent l'argument de l'intérêt de l'enfant en présentant comme défense de celui-ci l'établissement d'une double autorité parentale dans des situations de fait déjà existantes. Mais en réalité, c'est la validation sociale de situations créées par eux ou par elles qu'ils demandent alors. Sont mis en avant quelques arguments utilitaires ponctuels, alors que l'enjeu est autrement plus grave est plus vaste, puisqu'il n'est pas moindre que la définition de la parenté, qui implique l'idée de filiation. Il y a alors de sérieuses raisons de penser qu'il est moins confusionnel, moins mensonger même, pour enfant, de voir défini clairement qui est son père ou sa mère, fût-il l'unique parent, que de se voir attribués deux pères ou deux mères. En l'occurrence, la place du compagnon ou de la compagne peut, affectivement et juridiquement, être autre que celle d'une pseudo-deuxième mère ou d'un pseudo-deuxième père. Il est inexact qu'il existe un vide juridique en ce domaine. Des possibilités existent déjà[1].
Il y a un écart, une différence éthique entre accompagner toutes les situations et institutionnaliser a priori une confusion, une privation, une série de carences. En instituant la parenté monosexuée, sous prétexte de lutter contre prétendue discrimination entre les adultes, on en créerait une autre, bien plus réelle et bien plus grave, entre les enfants. Il serait en effet codifié par le droit, a priori donc, que des milliers d'enfants puissent être privés de trois biens fondamentaux :
1. De la différence entre deux repères identificatoires, masculin et féminin, dans l'univers de leur croissance intime. Qu'il soit garçon ou fille, l'enfant a besoin, pour la découverte de son identité d'un jeu subtil d'identifications et différenciations avec ses deux instances paternelle et maternelle. Cela a été étudié avec minutie par une littérature scientifique surabondante. Mais, par un étrange phénomène d'amnésie, certains discours font froidement table rase de tout cet acquis.
2. Le second bien élémentaire pour l'enfant est, lorsque cela est possible, la continuité ou au moins l'analogie entre le couple procréateur et le couple éducateur. La quête douloureuse de leur origine par les enfants nés "sous x", les difficultés propres à l'adoption indiquent bien que les ruptures dans l'histoire, les dissociations entre les différentes composantes de la parenté sont autant de complications dans la vie de l'enfant. Dès lors, il est souhaitable qu'à la discontinuité liée à l'adoption ne vienne pas s'ajouter une seconde discontinuité, à savoir la perte de l'analogie entre le couple d'origine et le couple éducateur. C'est a fortiori parce que il est adopté qu'un enfant a besoin d'un père et d'une mère.
3. Le troisième bien élémentaire pour l'enfant sera une généalogie claire et cohérente, lisible. Nous sommes dans un système généalogique cognatique, c'est-à-dire à double lignée, ce qui ne manque pas de sens. Les bricolages de la filiation proposés par certains lui ôtent toute lisibilité. Dans tel lexique militant on ne trouve pas moins de sept termes pour désigner les différentes personnes qui exerceraient une fonction parentale autour de l'enfant[2]. Prenons conscience de l'embrouillamini généalogique auquel les enfants concernés seraient légalement condamnés.
L'adoption, je le souligne, n'a pas pour objet l'éducation seulement, mais la filiation. Elle ne définit pas seulement par qui l'enfant sera élevé, qui aura sur lui l'autorité parentale, mais de qui il est fils ou fille. Nous n'avons pas le droit d'instituer le brouillage de la filiation.
Un travail obstiné a lieu, actuellement, sur le vocabulaire, enjeu stratégique majeur. On dilue le sens des mots père et mère — en distinguant par exemple la mère "biologique" et la mère "sociale", qui pourrait avoir une fonction "paternelle" ou lorsque l'on dit que deux femmes lesbiennes "conçoivent ensemble" un enfant. Mais, surtout nous avons vu naître, depuis deux décennies, le néologisme de "parentalité", qui prépare celui d'"homoparentalité". Ce dernier terme, introduit et promu par un lobby, ne peut avoir qu'un sens très confus. En réalité, il n'a pu voir le jour qu'en dissociant la parentalité de la parenté. Cette dernière, liée à l'engendrement, est nécessairement différenciée sexuellement.
Au fil des mois, il m'apparaît de plus en plus clairement que cette dissociation entre parentalité et parenté est au cœur du débat. Cette dissociation va de pair avec la déconnexion entre procréation et éducation, ou encore entre procréation et sexualité. La négation de la place de la différence sexuelle dans la parenté ne fait qu'un avec la négation de l'importance du corps dans la filiation.
Il faut savoir que nous sommes confrontés à un courant de pensée qui va montant dans une certaine intelligentsia, le constructivisme, selon lequel tout serait construit, tout serait culturel. De la parenté on ne retient que les dimensions culturelle, volontaire, adoptive, symbolique, dans un déni manifeste de la place du corps, de l'engendrement charnel et même de la différence sexuée dans l'éducation.
Nous assistons à la promotion du modèle d'une parenté artificielle[3] ou fictive, que l'on a pu dire aussi idéique[4]. Une parenté finalement déracinée, qui ne plonge pas dans un donné, un donné primordial, celui de deux corps de chair et de désir. Rappeler l'importance du charnel dans la parenté n'est nullement être naturaliste, je tiens à le souligner. Cela peut être dit en toute conscience des médiations culturelles. Les civilisations ont diversement articulé nature et culture, corps et langage, mais toutes les ont articulées.
L'enjeu de la filiation homosexuée devait nécessairement rejoindre celui des procréations médicalement assistées. Que cette possibilité technique existe est une chose, qu'elle doive offrir un nouveau modèle pour la parenté en est une autre. Ces techniques existent comme des palliatifs, douloureux et aléatoires, en des situations très minoritaires. On ne voit pas au nom de quel sophisme on pourrait affirmer qu'elles rendent caduque le modèle de la filiation fondée sur l'union de deux corps sexués, introduisant à une double lignée, paternelle et maternelle. Nous sommes bien en deçà – ou au-delà – de la question de la compétence éducative.
En conclusion, on ne change pas un système généalogique par petites touches, il forme un tout cohérent. On ne fait pas de loi pour les cas d'exception. On légifère, en matière de filiation, pour le plus grand nombre. Ensuite, les cas particuliers trouvent leur solution par interprétation et adaptation des règles générales.
*Xavier Lacroix est philosophe et théologien, Institut des sciences de la famille,
université catholique de Lyon. Texte de l'intervention devant la Commission des lois du Sénat, table ronde sur l'évolution des modes de filiation, Palais du Luxembourg, 22 mars 2006.
[1] Je les recense dans mon ouvrage La Confusion des genres. Réponses à certaines demandes homosexuelles sur le mariage et l'adoption, Bayard 2005, p. 80.[2] Voir La Confusion des genres, p. 96. [3] Christian Flavigny, "Le désir d'enfant des homosexuel(le)s", Le Journal des psychologues, n° 195, mars 2002, p. 28.[4] Jean Gillibert, "Une question de civilisation : l'"homoparentalité"", Psychiatrie sociale, XLVI. 1. 2003, p. 337.
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