Une droite vraiment à droite n'a pas peur de parler de tous les sujets qui fâchent

source[Figaro] A l'occasion de la parution de son dernier essai, Droite-Gauche, ce n'est pas fini, Jean-Louis Harouel a accordé un long entretien à FigaroVox. Il y restitue l'affrontement entre la droite et la gauche dans le temps long de l'histoire.

 

 

Jean-Louis Harouel est professeur agrégé de droit à Paris II et auteur de La grande falsification. L'art contemporain, Le vrai génie du christianisme et Revenir à la nation (Editions Jean-Cyrille Godefroy), ainsi que de Les droits de l'homme contre le peuple, paru aux éditions Desclée de Brouwer. Son dernier ouvrage, Droite-Gauche: ce n'est pas fini vient de paraître aux éditions Desclée de Brouwer

FIGAROVOX.- Dans votre livre, vous niez la disparition du clivage droite-gauche. Laurent Wauquiez, favori à la présidence des Républicains, s'assume clairement de droite. Est-ce selon vous le cas et comment définissez-vous la droite?

Jean-Louis HAROUEL.- Que Laurent Wauquiez soit clairement de droite dans son for intérieur et qu'il ait le désir de l'assumer durablement, je n'en doute pas. Mais pourra-t-il le faire dès lors que les cadres du parti dont il brigue la présidence sont loin de tous s'assumer clairement comme de droite? On sait bien que la droite de gouvernement, tout en se prétendant la véritable droite, est tombée sous l'emprise croissante des idées de gauche.

En 1990, l'abolition du droit du sol, le blocage de l'immigration, l'exclusion des étrangers de certaines prestations sociales ainsi que l'affirmation de l'incompatibilité entre l'islam et la République figuraient au programme du RPR.

Or ce mouvement politique, puis l'UMP qui lui a succédé, et finalement les Républicains qui en sont l'actuel avatar, se sont pour une bonne part soumis au politiquement correct dans tous les domaines, s'inclinant sans discuter devant les dogmes droits-de-l'hommistes.

Une droite vraiment à droite ne se laisse pas manipuler par ceux qui dénoncent la tentation du repli identitaire et agitent le chiffon rouge du Front national en prétendant que c'est lui le danger.

Dans un tel contexte, est-il possible à Laurent Wauquiez d'incarner vraiment la droite? Une droite vraiment à droite n'a pas peur de parler librement de tous les sujets qui fâchent: immigration, identité nationale, islam, insécurité et laxisme pénal, masochisme français enseigné sur le mode de la propagande par une Éducation antinationale, destruction de la souveraineté française, ruine de l'économie française par une ouverture des frontières et un libre-échangisme absolu érigé en croyance religieuse, etc.

Une droite vraiment à droite ne se laisse pas manipuler par ceux qui dénoncent la tentation du repli identitaire et agitent le chiffon rouge du Front national en prétendant que c'est lui - et lui seul - le danger.

Une droite vraiment à droite a conscience que le seul vrai danger pour la France, c'est la gauche qui tue notre pays à petit feu. Une droite vraiment à droite n'a pas d'ennemi à droite.

Quant à ma définition de la droite, elle est simple: la droite est la postérité sécularisée du christianisme, dont elle a gardé le refus de l'utopie et les valeurs qui font durer les sociétés humaines.

Cela oppose radicalement la droite à la gauche, dont les racines renvoient à une double trahison du christianisme: d'une part le millénarisme et sa promesse sur la terre d'un paradis égalitaire de bonheur absolu, qui est la matrice des socialismes et du communisme ; et d'autre part la gnose avec son mépris de la matière, de la procréation, du mariage et de toutes les règles de la vie sociale, sur fond de sacralisation de l'individu du fait de la croyance à divinité de son âme qui fait de lui un homme-Dieu dégagé de toute autorité, de toute règle. La gauche, c'est d'un côté l'utopie sociale, de l'autre l'utopie sociétale.

La droite est l'héritière des précieuses valeurs de durée que le christianisme tire pour l'essentiel de son substrat biblique: valorisation de la famille, de la patrie, exigence morale et par-dessus tout transmission de la vie: bref, tout ce que travaille à détruire la gauche, imprégnée consciemment ou non de la vieille haine de la gnose pour tout cela.

La droite est le parti des braves gens et du bon sens, du sens commun qui garantit à un groupe humain son existence sur le long terme.

Dans des pays forgés par un millénaire et demi de chrétienté, être de droite constitue la manière normale de penser, de sentir et d'agir. Être de droite offre aux Européens - à ceux qui croient au ciel, à ceux qui n'y croient pas - le moyen de continuer à vivre sur la lancée de leur civilisation millénaire d'origine chrétienne. La droite est le parti des braves gens et du bon sens, du sens commun qui garantit à un groupe humain son existence sur le long terme.

Vous écrivez que parmi les cadres et dans l'électorat de la droite de gouvernement, tous ceux qui sont des «libéraux modernes, qui croient à l'État de droit, au libre échange et à l'héritage moral des années 70» ne sont tout simplement pas de droite. Pourquoi? Qu'entendez-vous plus précisément par «libéraux modernes»?

La frontière entre droite et gauche passe à l'intérieur du libéralisme.

Le libéralisme est de droite quand il insiste sur la responsabilité de l'individu quant aux conséquences de ses actes, dans la tradition du Décalogue. Il est de gauche quand il refuse cette responsabilité au nom de la souveraineté absolue du moi, laquelle renvoie à l'homme-Dieu de la gnose, à qui est permis l'immoralisme.

À cela s'ajoute l'antithèse entre l'individu inséré dans une société particulière et l'individu pareil à un électron libre, sans attache ni identité. À l'état pur, quand il ne veut connaître que l'individu et l'humanité, le libéralisme est une religion séculière, une utopie, un système total, comme le communisme.

Face au libéralisme de droite - héritier du christianisme, gardant la notion de bien et de mal -, les libéraux modernes poursuivent une utopie de la liberté illimitée, par-delà le bien et le mal, par-delà les spécificités des peuples, des civilisations, des sexes même. Pour ce libéralisme total œuvrant à l'uniformisation du monde, il n'y a que des individus interchangeables selon le modèle de l'homo œconomicus et festivus d'un marché mondialisé hédoniste.

Faut-il en déduire que les Républicains doivent rompre avec les Juppéistes et les centristes? Le futur leader de la droite doit-il opérer une clarification idéologique?

Quand bien même il le souhaiterait, il ne peut pas se le permettre maintenant car ce serait pour lui l'échec

Le problème d'une telle clarification est au cœur du Rapport des Républicains sur l'avenir du parti, qui pour autant n'y apporte pas de réponse nette.

assuré de sa candidature à la présidence des Républicains. Le problème d'une telle clarification est au cœur du Rapport des Républicains sur l'avenir du parti, qui pour autant n'y apporte pas de réponse nette.

Mais il faudra bien que cette clarification se fasse tôt ou tard. Elle est souterrainement déjà en marche et aboutira à une vaste recomposition du paysage politique français.

C'est vital pour la France, dont la population a majoritairement des attentes de droite, et qui malgré cela est depuis un demi-siècle gouvernée par des représentants des idéologues de gauche ou par des gens se prétendant à droite mais se laissant fasciner par les intimidations de la gauche comme un oiseau se laisse fasciner par un serpent.

Le Front national, qui se revendique du «ni droite, ni gauche», est-il un parti de droite, de gauche, d'extrême droite, d'extrême gauche?

Il me semble que le «ni droite, ni gauche» du Front national est avant tout électoraliste, répondant à une volonté de balayer le plus largement possible le champ électoral.

Le Front national a tout simplement repris les positions progressivement abandonnées par la droite de gouvernement au cours de son processus de soumission toujours plus grande au politiquement correct de la religion des droits de l'homme.

D'aucuns parleront d'extrême droite. Pourquoi pas? Il ne faut pas avoir peur du mot et de l'amalgame qu'il semble permettre avec le nazisme, car il est sans fondement.

Ambassadeur à Berlin, André François-Poncet notait que le nazisme, «adversaire acharné du conservatisme», s'affirmait comme «d'extrême-gauche» et «farouchement révolutionnaire». Et Eichmann indique à plusieurs reprises dans ses mémoires que sa «sensibilité politique était à gauche.

Comme cela est bien connu, l'utopie nationale-socialiste frappait par ses ressemblances avec l'utopie communiste. François Furet a observé que dans les deux cas, il s'agissait de réaliser le paradis sur la terre et que les mêmes mots furent employés pour décrire la société harmonieuse que l'on prétendait fonder. Comme l'a montré Frédéric Rouvillois, le nazisme a en commun avec la gauche la volonté d'instaurer une société réconciliée et le projet de faire apparaître un homme nouveau.

Au contraire, dans ce que l'on appelle aujourd'hui extrême droite ou populisme de droite, il n'y a pas d'utopie, il n'y a pas de projet d'un monde parfait ni de rêve de changer l'homme. Il y a juste une demande d'ordre public, de sécurité des personnes et des biens, de respect des valeurs de durée du groupe humain considéré. C'est-à-dire de simples valeurs de droite.

Vous classez Macron à gauche sans ambiguïté alors qu'il prétend lui aussi rompre avec le clivage droite/gauche. Pourquoi?

La grande habileté de Macron a été de laisser croire qu'il se plaçait au-dessus du clivage entre droite et gauche, alors qu'en réalité il reprenait à son compte l'individualisme radical du libéralisme libertaire et du gauchisme sociétal, c'est-à-dire l'utopie sociétale. Et comme celle-ci affecte désormais de se réclamer du «ni droite, ni gauche», et qu'elle permet par ailleurs de gagner de l'argent, cela ne déplaît pas à une partie de l'électorat de droite qui se laisse séduire par le macronisme.

Mais cela n'empêche pas le libéralisme sociétal baignant dans la religion des droits de l'homme qu'incarne Macron d'être destructeur de la société française et de compromettre à moyen et long terme la survie du groupe.

En célébrant mai 68, on célèbre le point de départ de ce qu'Éric Zemmour a justement appelé le suicide français. On célèbre la gauche sociétale, ses pompes et ses œuvres.

Le fait que Macron se prépare à célébrer le cinquantenaire des évènements de mai 1968 ne laisse aucun doute quant à l'ancrage à gauche du macronisme, à son ancrage dans la gauche sociétale. En célébrant mai 68, on célèbre une explosion de gauchisme et de libération des pulsions.

On célèbre le rejet de l'autorité et de la morale commune. On célèbre le saccage de l'École des Beaux-Arts et la lacération, en Sorbonne, du Richelieu de Philippe de Champaigne. On célèbre la volonté de cracher sur le passé et sur la tradition. On célèbre les délires de la contre-culture et la haine de la vraie culture. On célèbre la déculturation de l'école et l'abandon de la transmission du patrimoine littéraire. On célèbre le ravage de l'enseignement supérieur, sous la pression d'un égalitarisme hystérique proclamant le droit de tous aux diplômes universitaires, et au nom d'une pluridisciplinarité aussi incantatoire que factice.

Bref, en célébrant mai 68, on célèbre le point de départ de ce qu'Éric Zemmour a justement appelé le suicide français. On célèbre la gauche sociétale, ses pompes et ses œuvres.

Pour vous, l'élection de Macron est le résultat d'un basculement à l'intérieur de la gauche …

C'est qu'il y a partage des idéologies de gauche en deux grandes tendances: la collectiviste et la libertaire. Aux deux pôles extrêmes et largement antagonistes des fantasmes de la gauche, on trouve d'un côté le versant millénariste avec son projet d'une société unanime aux individus totalement soumis au dogme de l'égalité, et de l'autre côté le versant gnostique avec le déploiement souverain de l'individualisme dans toutes ses pulsions et caprices.

Ces deux courants se sont rejoints en bien des occasions, mais ils ont chacun leur spécificité.

À certains moments, c'est l'un qui prédomine, à d'autres moments c'est l'autre.

Pour l'heure, c'est l'utopie sociétale qui a pris le dessus et remplacé l'utopie sociale. C'est à mettre en rapport avec le fait qu'en raison de l'implosion de l'Union Soviétique et du déclassement de la religion séculière communiste, c'est la religion séculière des droits de l'homme qui en a pris le relais chez beaucoup de militants révolutionnaires occidentaux.

Ce basculement de l'utopie sociale vers l'utopie sociétale avait commencé de longue date. Déjà sous Hollande,

Avec l'élection de Macron s'est accompli pleinement le grand basculement par lequel la gauche libertaire, gnostique, a pris la place de la gauche collectiviste d'inspiration millénariste.

et en dépit de ses grandes déclaration de haine à la finance, la gauche de gouvernement avait complètement répudié son vieux projet socialiste, se focalisant sur l'apologie du mondialisme, la propagande immigrationniste et la révolution sociétale, du mariage homosexuel à la féminisation de l'orthographe.

Mais c'est avec l'élection de Macron que s'est accompli pleinement le grand basculement par lequel la gauche libertaire, d'inspiration gnostique, a pris la place de la gauche collectiviste d'inspiration millénariste.

Dans le court terme et du seul point de vue économique, le libéralisme sociétal, qui est aujourd'hui le principal visage de la gauche, séduit ceux dont le seul objectif au monde est l'argent.

Qu'il s'agisse des affirmations sexuelles les plus variées, de la PMA sans père et de la GPA, de la suppression des frontières, du culte des minorités et des immigrants illégaux, de l'apologie de l'adultère et de ce que l'on appelle la libéralisations des mœurs, les enjeux sociétaux de la gauche libertaire s'inscrivent tous dans un processus favorable aux intérêts marchands.

Le progressisme est un autre nom pour dire la gauche.

Le clivage progressiste/conservateur défini par Macron ou l'affrontement patriote/mondialiste théorisé par Marine Le Pen ne paraissent-ils pas plus pertinents que le vieux partage entre la gauche et la droite?

Le progressisme est un autre nom pour dire la gauche. Quant au fait d'être patriote, il peut devenir fort inquiétant si le susdit patriote a pour projet de faire de sa patrie un paradis égalitaire et communiste, à l'image de Cuba ou de la Corée du Nord.

Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de l'actuelle fracture entre populisme et progressisme, entre France d'en haut et France d'en bas, entre perdants et gagnants de la mondialisation, entre attachement à sa propre civilisation et culte des autres civilisations, entre partisans de l'enracinement et apôtres de la libre circulation des hommes, des choses, des capitaux et des emplois - on voit bien que tout cela s'inscrit dans la traditionnelle opposition entre droite et gauche.

Comment analysez-vous le positionnement du jeune conservateur Sebastian Kurz en Autriche? Voyez-vous dans sa victoire le signe d'une renaissance de la droite en Europe?

À la différence de ce qui se passe en France, en Allemagne, au Danemark ou aux Pays-Bas, où les partis populistes sont volontiers traités en pestiférés rejetés derrière un cordon sanitaire, le chef de file des conservateurs autrichiens ne se montre pas sourd aux angoisses légitimes de la population.

Tout en marquant ses différences avec la droite populiste du Parti de la Liberté (FPÖ), Kurz, qui reprend largement son discours contre l'immigration et l'islam, ne la diabolise pas. Il a sur sa droite non pas un ennemi, mais un concurrent pouvant devenir un allié.

Faut-il y voir le signe avant-coureur d'une renaissance de la droite en Europe? Même si on peut espérer que cette ligne politique fasse école, il est à craindre que seuls les pays de la partie centrale et orientale de l'Europe y soient vraiment réceptifs.

Car les pays de l'Europe occidentale sont dévotement soumis à la religion des droits de l'homme, laquelle affirme que le déferlement sans fin de l'immigration extra-européenne est inscrit dans sens de l'histoire - et donc juste et bon -, en conséquence de quoi que les Européens n'ont d'autre alternative que de se plier avec empressement à cette bienheureuse fatalité historique.

Au lieu de quoi des pays comme la Hongrie, la Pologne ou la Tchéquie, tout en étant martyrisés par le communisme, ont été du même coup protégés contre l'endoctrinement droits-de-l'hommiste. Si bien qu'ils sont restés eux-mêmes, ils ont gardé l'amour et l'estime que tout peuple se porte naturellement à lui-même. Ils sont restés étrangers au masochisme occidental résultant de la religion des droits de l'homme. Ils apprécient les libertés publiques - propriété, liberté d'expression, etc. - mais sont vaccinés contre les grands discours vertueux de l'utopie.

Refusant de faire des droits de l'homme leur politique, des pays comme l'Autriche, la Hongrie, la République Tchèque, la Pologne - dont il faut remarquer qu'ils forment sensiblement le cœur de l'ancien empire Habsbourg - se donnent du même coup la possibilité d'apporter une réponse politique - et non pas vertueusement suicidaire - aux grands défis de l'immigration extra-européenne et de l'islamisation.

Il n'y a guère que les Européens de l'Ouest à prendre vraiment au sérieux la religion des droits de l'homme, ce qui les condamne à disparaître avec leur civilisation.

Pour espérer survivre comme peuple, pour espérer conserver leur être et leur identité, les Français doivent répudier le délire anti-discriminatoire de la religion des droits de l'homme et le masochisme suicidaire qu'elle leur impose.