Dans trois mois, le 7 juin exactement, auront lieu les élections au Parlement européen. Qui peut dire quel en est l'enjeu ? L'absence de réponse est étonnante après les débats intenses auxquels les traités soumis à ratification ont donné lieu.

Cette vacuité est même invraisemblable alors que le monde connait une crise financière d'ampleur inégalée et que nous entrons dans une crise économique au moins aussi grave que la Grande Dépression de 1929. La construction européenne, précisément parce qu'elle a été amorcée par l'économie et la finance et que l'euro en est l'aboutissement le plus achevé, devrait se trouver au centre de toutes nos attentions ; elle est devenue évanescente.

L'Europe absente des préoccupations politiques
Ce n'est pas être victime du prisme déformant utilisé par les médias que de constater que le débat européen est tombé au degré zéro. Les partis politiques français et leurs dirigeants sont beaucoup plus préoccupés par la constitution des listes et l'attribution des places que par les enjeux qu'ils entendent soumettre au vote des électeurs. D'un côté, on pense d'abord à caser les oubliés ou recaser les bras cassés ; de l'autre à s'assurer une position ou un statut ; ailleurs, on cherche à prouver son existence ou à étalonner sa bannière ; et partout à transformer l'élection en test de sa propre popularité ou de l'impopularité de son adversaire.

Mais que faire d'autre ? Le débat institutionnel, qui seul passionne nos dirigeants, est mort. D'ailleurs, les électeurs en sont saturés. Le traité de Lisbonne, qui devait nous sortir de l'impasse où nous avait soi-disant enfermés le rejet de l'ex-traité constitutionnel, a été survendu par ses promoteurs ; à cause de l'enlisement des procédures de ratification, l'Union fonctionnera sous l'empire du traité de Nice pendant encore plusieurs années. Qui verra la différence ?

On aurait pu imaginer que soient tirées les leçons du second semestre 2008. L'un des mérites de Nicolas Sarkozy a pourtant été de montrer que l'Europe fonctionnait mieux et plus vite quand les États, dans l'urgence d'une crise, opéraient à leur initiative, selon des géométries variables, en se libérant des contraintes procédurales : la contre-épreuve est en cours avec la présidence tchèque et la malheureuse reprise en mains que tente d'opérer la Commission. Le discours habituel des eurocrates étant devenu inaudible, ils se taisent. Il y avait donc une occasion de prendre le contre-pied des conformismes passés, de tenter une synthèse entre l'expérience de la présidence française et les attentes de la majorité de l'opinion quant à la réorientation de la construction européenne. Qui s'en est saisi ?

Nous nous dirigeons donc vers des élections purement politiciennes, au terme d'un débat franco-français sans autre contenu que pour ou contre le pouvoir en place, et donc sans intérêt.

L'Europe périphérique dans le traitement des affaires du monde
On l'a déjà souligné : la crise financière a remis les États au centre du jeu parce que, seuls, ils disposent de la légitimité politique et des moyens de gérer le risque systémique. Ce sont les États concernés qui ont senti le danger, saisi le taureau par les cornes et entraîné les autres à leur suite ; ce sont eux qui continuent de le faire. Où se traitera l'avenir de l'économie mondiale, sinon à Londres lors de la réunion du G20 le 2 avril prochain ? réunion à laquelle participeront cinq pays européens, et la Commission sur un strapontin, non l'Union européenne en tant que telle.

Les grandes questions économiques qui conditionnent la suite des évènements et qui seront alors débattues, par exemple l'ampleur et la coordination des plans de relance, le sort réservé aux paradis fiscaux, le traitement des actifs toxiques qui empoisonnent les bilans des banques et compagnies d'assurance, ne font d'ailleurs l'objet d'aucun consensus européen, mais dépendent bien davantage de la gravité des situations nationales et de la profondeur de vue de tel ou tel dirigeant. Sur ce point, une chose est claire : les institutions européennes ont été, et sont encore, incapables d'articuler quelque proposition consistante que ce soit.

L'Europe sous deux menaces majeures
L'Union européenne est pourtant directement menacée par la crise, à deux niveaux au moins. Faute d'avoir mis sur pied de véritables politiques industrielles et d'avoir structuré l'espace européen de façon cohérente autour d'une préférence qui lui donne un sens, la vision idéologique de la concurrence et du libre-échange qu'ont les eurocrates leur a tourné la tête. Aussi la construction européenne est-elle aujourd'hui vulnérable aux réflexes protectionnistes, pas seulement à l'extérieur, mais aussi en son propre sein. Que peut-elle opposer, en effet, aux protestations contre les délocalisations qui s'élèvent de toutes parts et aux mesures de préférence nationale dont sont légitimement assorties les aides publiques ? À moins que le principe même des plans de sauvetage ne finisse par être perçu comme antinomique de l'idée européenne, et qu'en fin de compte celle-ci ne soit rejetée.

Quant à l'euro, résistera-t-il à un épisode déflationniste sérieux ? C'est la seule crainte qu'avait émise à son sujet l'économiste Milton Friedman lors de sa création parce que la déflation crée de telles tensions monétaires qu'aucune solidarité n'y résiste. L'Allemagne consentira-t-elle à soutenir la Grèce, l'Irlande, l'Italie ou le Portugal lorsque les marchés refuseront de financer leurs États surendettés et incapables de remédier à leurs déficits ? Autrement dit, acceptera-t-elle de payer pour le Club-Med alors qu'elle n'a adhéré à l'euro qu'à condition qu'ils s'imposent une discipline stricte ? Aujourd'hui il est trop tard pour se lamenter : il faudra être solidaire ou laisser le système éclater. Mais s'il éclate, contrairement à ce qu'imaginent les promoteurs de la restauration du franc, ce ne sera pas un retour au statu quo ante : ce sera le point de départ d'une défaillance généralisée des États. Est-ce souhaitable ?

Si le débat reste en panne comme aujourd'hui, et si les élections européennes sont à nouveau un coup pour rien, alors ce qui n'est pas souhaitable risque quand même d'advenir.

Remettre l'Europe sur les bons rails
Nous le disons depuis longtemps : la construction européenne ne peut pas se poursuivre selon le schéma procédural et technocratique qui est le sien depuis des années. La preuve est faite qu'il ne fonctionne plus, si tant est qu'il ait jamais bien fonctionné, et qu'il est incapable de prendre en charge les enjeux politiques majeurs auxquels nous sommes confrontés.

Dans son allocution au président de la République prononcée à l'Élysée le 12 septembre dernier, Benoît XVI, grâce au recul dont il dispose et à sa lucidité éclairée, indiquait la direction à prendre :

Lorsque l'Européen verra et expérimentera personnellement que les droits inaliénables de la personne humaine, depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle, ainsi que ceux relatifs à son éducation libre, à sa vie familiale, à son travail, sans oublier naturellement ses droits religieux, lorsque donc cet Européen saisira que ces droits, qui constituent un tout indissociable, sont promus et respectés, alors il comprendra pleinement la grandeur de la construction de l'Union et en deviendra un artisan actif.

Faire renoncer l'Europe à ses chimères n'est pas faire table rase de ce qui existe, mais la réorienter avec clarté sur des bases respectueuses de sa culture, de son projet et de sa civilisation millénaire. C'est pourquoi notre participation au débat pré-électoral se situera sur un autre plan que celui des partis : elle consistera à identifier dans la construction actuelle et parmi les propositions qui seront mises sur la table, s'il en est, celles qui contrediront l'objectif que l'on vient d'évoquer pour les combattre, et celles qui contribueront à l'atteindre pour les soutenir.

Nous le ferons autour de quatre thèmes structurants :

  • Europe et liberté, avec les questions de laïcité, de liberté scolaire, des droits et devoirs des parents ;
  • Europe et solidarité, avec les questions relatives au modèle social, au libéralisme libertaire, au partage équitable ;
  • Europe et sécurité, avec les questions relatives à la sécurité intérieure et extérieure, à l'immigration, au terrorisme ;
  • Europe et éthique, avec les questions relatives à la protection de la vie, au mariage, à la moralité de l'agir, et à la culture.

Ces quatre thèmes nous semblent pouvoir fournir la grille de détermination du choix électoral auquel nous serons appelés.

C'est pourquoi ils guideront nos analyses et serviront de cadre au débat que, à notre mesure et avec l'aide de tous ceux qui voudront bien nous lire, nous aider et y contribuer, nous essaierons de susciter en dépit de l'adversité.

 

 

François de Lacoste Lareymondie est vice-président de la Fondation de Service politique.

 

 

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