Source [genethique.org] La Fondation Jérôme Lejeune, avec le soutien des Missions Permanentes auprès des Nations-Unies des Philippines, de la Lituanie, de la Pologne et du Burkina Faso, organisait ce 17 mars une conférence à l’ONU intitulée « Trisomie 21 : en parler plus, en parler mieux ». Une invitation à diffuser de plus en plus de messages audiovisuels positifs concernant les personnes handicapées afin de transformer les regards. Dans ce cadre, Jean-Marie Le Méné, Président de la Fondation Jérôme Lejeune, est intervenu sur le thème « Lutter contre les préjugés envers les personnes porteuses de trisomie 21 ».
En parler plus et mieux
La volonté de parler plus et mieux de la trisomie 21 est louable. La pandémie que nous traversons nous donne l’occasion d’en parler plus puisque nos sociétés mettent à la fois l’accent sur la fragilité des personnes trisomiques face au COVID et sur la nécessité de les protéger particulièrement. C’est ce que nous faisons quotidiennement à la consultation médicale spécialisée de la fondation Jérôme Lejeune. Mais plus généralement, parler mieux de la trisomie suppose d’admettre l’hypothèse qu’il y a des marges de progrès à accomplir dans cette voie et donc que les mots employés sont encore insuffisants ou même inadéquats. La phrase du Prix Nobel français de littérature Albert Camus vient opportunément à l’esprit : « Mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde ». Tel est sans doute le cas pour la trisomie. Il faut s’en inquiéter et poser la question de savoir comment nous parlons du retard mental issu de cette particularité chromosomique.
Les deux traditions sémantiques
Comme nous le savons dans l’enceinte des Nations unies, il y a deux traditions sémantiques pour qualifier la perturbation génétique qui entraîne un handicap intellectuel : une tradition anglo-saxonne et une tradition latine. Le vocabulaire anglo-saxon parle de « syndrome de Down », du nom du médecin anglais qui, en 1866, a décrit le tableau clinique des personnes concernées. Mais ce n’est qu’en 1961 que le petit-fils du Dr John Langdon Down a proposé de remplacer par le nom de son grand-père l’appellation de mongolisme qui était courante à l’époque. Cette heureuse substitution des termes a permis d’en finir avec l’explication raciste du 19ème siècle selon laquelle les enfants atteints partageaient les traits des habitants de la Mongolie parce qu’ils étaient le résultat d’une dégénérescence de la race blanche vers la race jaune.
Une évolution sémantique parallèle s’est produite avec la tradition latine qui a longtemps associé en médecine les termes d’idiotie, d’imbécilité ou de crétinisme à l’arriération mentale congénitale. C’est le Pr Jérôme Lejeune, à la suite de sa découverte en 1959 de la présence du chromosome surnuméraire sur la 21ème paire, qui proposa une terminologie plus objective. On parle de trisomie quand il y a un chromosome en plus et de monosomie quand il y a un chromosome en moins. Dans les deux traditions, qui demeurent vivantes l’une et l’autre, la justesse du langage a permis d’adoucir la réalité. La personne n’est plus stigmatisée mais présentée comme porteuse d’un syndrome qui emprunte le nom soit du personnage qui l’a décrit autrefois, soit de la cause scientifique découverte plus récemment.
Une nouvelle dégradation du vocabulaire
Mais, après avoir bénéficié de ces évolutions positives, la société enregistre une nouvelle dégradation du vocabulaire utilisé pour parler de la trisomie 21 qui tend à renforcer la malveillance à l’égard de ceux qui en sont porteurs. La trisomie n’est vue qu’à travers le prisme de son évitement. Le registre sémantique imposé est celui des politiques de dépistage. Le paradigme de la sélection anténatale a envahi le champ lexical de la trisomie 21 au point de le redéfinir. « Sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, il est admis que le fœtus atteint de trisomie 21 peut légitimement au sens de l’éthique collective et individuelle bénéficier d’une interruption médicale de grossesse » écrivait un célèbre professeur de gynécologie-obstétrique français, il y a déjà plus de vingt ans, qui ajoutait « il existe un ordre établi en faveur de cette décision[1] ». La technoscience, soucieuse de rentabiliser ses innovations, instrumentalise la grossesse en assignant à tout enfant soupçonné de trisomie une humanité déchue et en offrant à la femme enceinte l’échappatoire du dépistage systématique. L’attente de l’enfant désiré, qui relevait du rêve, se transforme en cauchemar quand est agité le spectre de la naissance de l’enfant indésirable. En réduisant l’enfant à sa pathologie, l’univers médical interdit à la mère d’imaginer que celui qu’elle porte puisse démontrer la moindre aptitude à une vie digne d’être vécue. Si la trisomie instaure le désordre et incarne le malheur, c’est alors sa suppression qui rétablit l’ordre et restaure le bonheur. D’où la floraison des tests de dépistage, chaque année plus performants, dont le dernier, le Non Invasive Prenatal Testing, fait l’objet d’une présentation avantageuse puisqu’il prétend atteindre toujours sa cible et éviter l’avortement par erreur de l’enfant sain. Bienvenue à l’enfant dans la norme, le sort de l’enfant qui ne l’est pas est connu d’avance ! La trisomie est devenue le produit d’appel des marchands de tests de dépistage[2].
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[1] Jacques Milliez, L’euthanasie du fœtus, éditions Odile Jacob, 1999
[2] Jean-Marie Le Méné, Les premières victimes du transhumanisme, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016
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