Invalides

La révision du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale (LBDSN) est l'occasion d'un bilan sur l'action de la France pour l'Europe de la défense. Les événements des trois dernières années semblent avoir bouleversé les ambitions françaises consignées dans le LBDSN de 2008. La future édition, par un ancrage encore plus déterminé dans l'Europe de la défense permettra de ne pas faire mentir la politique européenne de la France.

Alors qu'est annoncée la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), un bilan s'impose sur l'action de la France pour l'Europe de la défense. En dépit d'un certain nombre de réussites, les événements des trois dernières années semblent avoir fortement modifié les ambitions françaises couchées dans le LBDSN. Pourtant, le Livre blanc de 2008 dresse une véritable feuille de route à laquelle il eut convenu de se tenir pour doter l'Union européenne de capacités militaires crédibles. La crise économique et financière aurait pu servir de catalyseur afin de faire mieux ensemble.

La fin des présidences tournantes à la tête de l'Union européenne a marqué un ralentissement des initiatives des Etats membres dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense Commune. Ces derniers, soumis à de fortes contraintes financières, peuvent arguer que le nouveau Service Européen d'Action Extérieure n'est pas à la hauteur des espoirs portés par le Traité de Lisbonne. Ainsi, la présidence française de 2008, forte de son dynamisme, a depuis laissé la place à un vide qui semble difficile à combler. La case a été cochée, le témoin passé.

L'Europe de la Défense est à la peine, "en panne",  s'interrogent les médias à la suite du ministre de la Défense. Il est possible d'instruire le dossier à décharge et de considérer ce qui avance petit à petit, semaine après semaine, grâce à l'opiniâtreté de quelques personnes. Mais, les projets les plus emblématiques du Livre blanc peinent à voir le jour. Ainsi en est-il de la planification qui est pourtant citée page 90 de manière impérative : "La France estime nécessaire que l'Union dispose d'une capacité européenne permanente et autonome de planification stratégique". Les conclusions du Conseil des affaires étrangères de l'UE du 18 juillet dernier parvenaient enfin à le graver dans le marbre européen. Seulement, la Grande-Bretagne imposa son véto. Pour la première fois, les conclusions n'étaient pas signées par les ministres des Etats membres. Il s'agit donc là d'un échec pour la France, où les plus critiques, évoquant l'accord de défense franco-britannique, y verront une inflexion de la politique française conduisant à un alignement sur les positions britanniques et le reniement d'une politique écrite deux ans auparavant. Il est toujours possible de déclarer qu'il est trop tôt pour les Britanniques de suivre cette voie, que le traité finira par les entraîner dans l'Europe de la Défense. N'est-ce pas jouer sur les mots ? Bien sûr que la défense de l'Europe les intéresse, ils y ont toujours pris part dans l'histoire et sans faiblesse. Mais l'Europe de la Défense, celle qui se construit à 27, souffre de leur désamour.

Alors que la France plonge dans la période pré-électorale et dans la révision du Livre blanc, il conviendrait de ne pas se voiler deux difficultés : celle des Etats membres à faire preuve de détermination dans la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité de 2003 et celle qui consiste à rendre crédible le contrat opérationnel défini par les accords d'Helsinki en 1999. Les faiblesses capacitaires des uns et l'unique culture d'auto-défense des autres ne laissent pas d'autre choix à la France que d'endosser le rôle de leader de l'Europe de la Défense. C'est là d'ailleurs l'un des motifs de sa réintégration pleine et entière à l'OTAN. Le futur Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, devra peut-être écarter le recours à l'accord de Berlin qui permet à l'UE de bénéficier des moyens de commandement et de planification de l'OTAN. Cela pour deux raisons : la première, l'Europe ne peut se permettre de dépendre du vote de la Turquie qui est par ailleurs en crise ouverte avec Chypre, membre de l'UE, pour mener ses opérations ; la seconde parce que l'on est en droit de se demander s'il est normal de laisser systématiquement le commandement de l'opération, en raison des termes de l'accord, à un Britannique, dont les événements démontrent le peu d'allant pour une Europe de la Défense autonome.

De fait, l'OTAN, qui nous lie à nos alliés américains, demeure le pilier de notre défense commune. Mais l'Europe doit se construire une autonomie stratégique qui exige de décliner enfin la stratégie européenne de sécurité écrite en 2003 en un document pratique à l'instar de notre propre Livre blanc, idée forte inscrite au LBDSN de 2008. Les Etats membres ont découvert avec la crise financière l'exigence qui s'impose à eux d'un nouveau transfert de souveraineté. Faire le choix d'un livre blanc européen exigeant et contraignant revient à préparer l'avenir de l'Europe avant qu'une crise sécuritaire impose à son tour sa loi et des options capacitaires par défaut. Le LBDSN proposait aussi de s'appuyer sur le principe de la coopération structurée permanente décrite dans le Traité de Lisbonne pour renforcer les capacités militaires de l'Europe. Cette idée, laissée sous le boisseau, a été ressortie par la Pologne lors de la préparation de sa présidence au printemps 2011, et refusée expressément par la France, qui était sollicitée pour redonner  une impulsion à ce concept. Le Triangle de Weimar, dont font partie ces deux nations avec l'Allemagne, a cependant pris depuis décembre dernier l'initiative du "pooling and sharing", qui vise à mettre en pôle et à partager des capacités militaires, et qui pourrait agir, faute de mieux, comme un cataplasme temporaire des ambitions oubliées.

Le futur Livre blanc pourrait réaffirmer une politique forte et concrète pour l'Europe de la Défense appuyée sur le Triangle de Weimar afin de ne pas faire mentir le LBDSN de 2008. Le contraire pourrait être compris comme un net amoindrissement des ambitions européennes de la France. Il est en effet nécessaire d'écrire la deuxième étape du plan "histoire d'une communauté européenne de défense", si l'on considère la réussite de la première étape qui a consisté, pour la France, à sa réintégration dans l'OTAN et à la tentative d'ancrage militaire des Britanniques au continent.

 

Pierre-Arnaud Borrelly est Chef de bataillon. Nous reproduisons ici un article publié dans Le Monde avec son aimable autorisation.

 

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