Le problème des régimes spéciaux de retraite a été remis à l'ordre du jour. L'UMP s'est engagée sur le principe d'une réforme, mais le problème reste posé : comment faire ? Il peut se décliner en trois questions :

• Une multiplicité de régimes, régis par des règles très différentes, est-elle compatible avec la technique de la répartition ?

• Peut-on procéder à l'unification des régimes de retraite par répartition sans spolier ceux qui ont acquis des droits particulièrement importants dans des régimes privilégiés ?

• Comment, politiquement, réaliser une telle réforme, sans se heurter aux grèves et manifestations qui ont eu raison de toute une partie du plan Juppé en 1995 ?

1/ La logique de la répartition exige un régime unique

La répartition est basée sur l'échange entre générations successives : les enfants d'aujourd'hui sont entretenus, instruits, éduqués par les générations en âge d'activité, et plus tard ils renverront l'ascenseur en leur offrant de très longs congés payés – la retraite.

Cet échange intergénérationnel n'a rien à voir avec la profession : il n'y a aucune raison pour que les salariés actuels de la Banque de France paient les pensions des anciens salariés de cette auguste institution, pour que les médecins en activité paient celle de leurs collègues retraités, pour que les exploitants agricoles de 2006 paient spécifiquement pour les anciens agriculteurs, etc.

On a largement essayé cette formule, elle ne marche pas : que toucheraient les anciens agriculteurs, les anciens mineurs de fond, les anciens marins, etc., s'ils n'avaient pour vivre que les cotisations de leurs successeurs ? Il faut tirer les conséquences de cet échec, et passer d'une organisation catégorielle à une organisation nationale : un régime de retraite unique, où tous acquièrent des droits selon les mêmes règles. En prime, on pourra supprimer des tonnes de complications, des centaines de pages de lois, décrets et arrêtés, faciliter grandement les évolutions de carrière et permettre à chacun de savoir facilement où il en est de ses droits à pension, comme le veut la loi de 2003 portant réforme des retraites (sans qu'elle ait fait le nécessaire pour réaliser cet objectif).

2/ Unifier sans spolier

On comprend qu'un cheminot ou un fonctionnaire ayant dix, vingt ou trente années de bons et loyaux services, rémunérés en partie par des promesses de pensions, ne soit pas enthousiaste à l'idée qu'on lui supprime d'un trait de plume tout ce qui, dans ces engagements de la SNCF ou de l'État, va au delà de ce qui reviendrait à un salarié du privé. Ce qui est fait est fait : il est trop tard pour lui reprendre une partie de ses gains passés. L'unification des régimes de retraites doit donc préserver ces gains.

Cela ne présente pas de difficulté particulière. Le nouveau régime devra fonctionner par points, comme l'ARRCO et l'AGIRC aujourd'hui, cette formule ayant fait la démonstration éclatante de sa supériorité sur celle des annuités. Il faudra donc convertir en points du régime unique tous les droits à pension gagnés dans les autres régimes. Une telle conversion a été expérimentée récemment à échelle réduite, pour les professions libérales : les régimes de base de ces professions (exception faite du barreau), qui fonctionnaient par annuités, ont été regroupées (du fait de la loi de 2003) en un régime unique basé sur la formule des points. Cela s'est bien passé. Et cela se passerait bien pour les régimes spéciaux, car si un fonctionnaire ou un agent d'EDF, au bout de vingt années de carrière, dispose de plus de droits à pension qu'un salarié du privé dont le salaire a évolué de la même façon, il suffit de lui attribuer en échange davantage de points.

Les régimes professionnels ainsi fusionnés n'auront pas à être adossés au régime général, à l'ARRCO et à l'AGIRC, ce qui soulève de nombreuses difficultés, on l'a vu pour France télécom et pour EDF/GDF, on le voit pour La Poste et la RATP. Les droits des intéressés seront sécurisés, et les comptes des entreprises à statut apurés, sans avoir à se livrer à des négociations épuisantes et à des contorsions comptables à la limite du justifiable. Pour l'avenir, les employeurs et les organisations syndicales négocieront, sans que l'État ait à s'en mêler, la mise en place de fonds de pension susceptibles de fournir des avantages de retraite supplémentaires en remplacement de ceux qui ne seront plus obtenus dans le régime unique.

3/ Soumettre à référendum le principe de la réforme

Comment réaliser une transformation aussi radicale du paysage français en matière de retraites ? Puisqu'il s'agit de passer d'une organisation fractionnée, avec des composantes fortement corporatistes, à un système national, entièrement républicain, la logique veut que les dirigeants le proposent à la nation dans son ensemble : il serait totalement incongru de mener des négociations régime spécifique par régime spécifique. L'article premier de la Constitution dispose que La France est une République indivisible [...]. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens . Et l'article 11, introduit en 1995, autorise le recours au référendum pour tout projet de loi portant sur [...] des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent . Si la plus importante réforme structurelle des retraites ne donne pas lieu à consultation des citoyens par référendum, autant dire que cette disposition constitutionnelle ne sert à rien !

Le référendum porterait évidemment sur un texte bref, indiquant simplement les grands principes de l'unification, charge au Parlement et à l'autorité réglementaire d'entrer ensuite dans les détails : il ne faut pas renouveler l'erreur faite en soumettant au peuple l'intégralité d'un projet de Constitution européenne longue et détaillée. Le référendum n'est pas fait pour se substituer au Parlement, mais pour fixer les grandes orientations dans le sens desquelles il légiférera.

Le référendum donnera au principe de l'unification une légitimité sans faille, contre laquelle les égoïsmes corporatistes ne pourront pas s'élever. Si des grèves et des manifestations se produisent, il sera facile au gouvernement de dire que la rue n'est pas la vox populi, celle-ci s'étant déjà démocratiquement prononcée. Et par la suite, la réforme ne pourra que très difficilement être remise en cause : le référendum est aussi le moyen d'obtenir la stabilité institutionnelle requise en matière de retraite, domaine par excellence des engagements à très long terme.

*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'université de Lyon III.

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