Quand Macron rencontre des journalistes au coin du feu...

Au cours d'une rencontre avec quelques journalistes, le président de la République a exprimé une vision de l'information étonnamment orwellienne…

On le lit, on le relit, et n'en revient toujours pas. Le récit d'Emmanuel Berretta,qui, avec quelques autres journalistes, a rencontré la semaine dernière le président de la République dans son bureau, est stupéfiant.

Semblant réfléchir à haute voix – mais comment pouvait-il ignorer qu'il s'exprimait devant des journalistes, donc un large public ? – Emmanuel Macron s'est lancé dans une grande analyse des médias. C'est parfaitement son droit. Il y a d'ailleurs de quoi dire. Panurgisme et paresse intellectuelle, par exemple, ne sont pas rares et expliquent bien des bêtises colportées. Le président de la République relève notamment le fait que sur certains plateaux télévisés, les propos du premier venu vêtu d'un gilet jaune ont été mis sur le même plan que ceux d'un expert ou spécialiste, sans contradiction ou si peu. Ce n'est pas faux. En tout cas, la question mérite d'être débattue.

L'embêtant vient après. Voici ce qu'il dit :

« Le bien public, c'est l'information. Et peut-être que c'est ce que l'État doit financer. Le bien public, ce n'est pas le caméraman de France 3. Le bien public, c'est l'information sur BFM, sur LCI, sur TF1, et partout. Il faut s'assurer qu'elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l'information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes. Cette rémunération doit être dénuée de tout intérêt. Mais quelque part, cela doit aussi venir de la profession. »

Vous ne rêvez pas. Le président de la République propose que l'État rémunère certains journalistes dans les rédactions. Il envisage sans ciller ce qui ressemble à une nationalisation partielle de la presse.

On passe sur l'affirmation délirante selon laquelle il existerait dans le journalisme une « part » destinée à la « vérification » : le reste serait autorisé à raconter n'importe quoi ?

L'essentiel est là : il s'agit tout simplement d'un programme de tutelle. Le président s'en rend-il compte  ? Il évoque, certes, des modalités qu'il imagine sans doute plus douces : « cela doit aussi venir de la profession », dit-il, évoquant des « garants qui soient des journalistes ». Bien sûr… Prenant conscience de la sagesse infinie de notre infaillible Jupiter, les journaux décideront spontanément de lui confier la détermination de la vérité via un système financé par lui, et ce, pour le plus grand bonheur du peuple…

Le fantasme macronien de ce service d'information d'État délégué à des journalistes stipendiés à cet effet amusera certainement les amateurs d'histoire soviétique. Le rôle de la Pravda – « vérité », en russe – était aussi de servir de référence aux autres journaux, qui reproduisaient d'ailleurs régulièrement ses éditoriaux... La France n'est, bien sûr, pas l'Union soviétique, mais il faut se souvenir qu'il n'est rien de tel qu'un journaliste pour contrôler d'autres journalistes.

Emmanuel Macron peut inventer l'usine à gaz la plus ingénieuse du monde, y associer « la profession » autant qu'il veut, le tout avec les meilleures intentions possible, cela revient au même.

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