Trois nations seulement ont été invitées à dire leur préférence européenne par référendum : les trois ont dit non à un traité cependant présenté comme incontournable et que l'on verra, dans les mois qui viennent, parfaitement remplaçable par un texte plus simple, compréhensible et surtout respectueux de la nature des nations et des peuples : ce triple non, dont on aurait grand tort de ne pas tenir compte, s'oppose quasiment à la même vision de l'Europe, vu le peu de différences qui existent entre la proposition de constitution de 2005 et celle du traité dit simplifié de 2008.
Cette concordance est significative du très haut niveau de refus des peuples qui sentent à quel point l'oligarchie qui nous dirige est coupée de leur réalité viscérale, de leur être profond : que ceux qui veulent rester sourds le restent, mais ils perdront ce faisant, quant au désir des peuples dont ils veulent faire le bonheur malgré eux, une belle occasion de s'ouvrir à une vérité peut-être dérangeante mais en tout cas stimulante.
Quant aux Français qui ont voté non à la Constitution européenne en mai 2005, ils peuvent jubiler : les Irlandais leur ont rendu un fier et grand service, à eux que l'on n'a pas voulu entendre quand ils demandaient à être consulté sur ce traité de Lisbonne qu'ils voyaient, non à tort, comme une sorte de clone de celui qu'ils avaient retoqué. Quel service ? Celui de pouvoir enfin et à nouveau se faire entendre de politiques qui se veulent, à ce sujet, aussi sourds qu'amnésiques.
En effet, les nonistes n'ont jamais dit qu'ils n'étaient pas désireux d'une construction européenne sérieuse mais limitée aux seules ambitions légitimes que l'on puisse concevoir pour elle : ils ne veulent pas, en effet, de cette Europe hégémonique qu'on cherche à leur fourguer avec une fougue et une constance qui ne trouvent leur justification que dans une idéologie aussi perverse qu'irréaliste ! Cela n'est pas la même chose ! Ils ne veulent pas d'une Europe bureaucratique et centralisatrice, jacobine à outrance, où des eurocrates, surpayés et dégagés de tout impôt comme de toute légitimité historique, leur dictent et leur dicteront de plus en plus, non seulement comment il faut rouler, marcher, courir, mais également se laver, se nourrir, se coucher : penser, lire, créer ; parler, chanter, se taire ; vivre en somme ! Ils ne veulent pas se coucher devant un pouvoir qui doit tout aux réflexions déjà multiséculaires d'une coterie occulte ultra minoritaire dans les couches profondes de nos nations mais ultra représentée dans les diverses instances dirigeantes des diverses républiques de l'Europe et encore davantage dans les coulisses silencieuses de Strasbruxelbourg !
On a – sans avoir consulté les aspirations profondes des citoyens, peut-être inconnaissables hors de l'amour dû à chaque peuple – fabriqué un machin , c'est-à-dire un instrument de pouvoir inaccessible à nos choix et contraire à nos ambitions. Les Irlandais viennent de sonner l'heure d'une remise à plat intelligente, qui consiste notamment à reconvertir ceux qui ont voulu nous embrigader dans un empire dont nous ne voulons pas et qui nous paraît gros de menaces insidieuses. Pas plus que nous ne voulons qu'on nous impose l'art et la manière de faire des fromages selon des recettes concoctées derrière un bureau et non en remuant du lait ; pas plus que nous ne voulons qu'on nous dise quand mettre ou ne pas mettre nos terres en culture, quand transformer nos arbres en meubles ou en charbon de bois, nos montagnes en or blanc ou vert, nos poissons en vaches folles, nos rivages, le centre de nos villes, nos cathédrales, nos châteaux, nos musées, en parcs d'attraction ou en centres de rééducation sexuelle, intellectuelle, spirituelle ; nous n'entendons pas qu'on nous impose un langage minimaliste qui ne doit rien à notre histoire comme à notre culture : bref, nous n'admettons pas qu'on réduise à la portion congrue, ou plutôt grotesque, ce qui revient à ce que l'on nomme d'un mot mal compris subsidiarité ; nous n'acceptons que la souveraineté primordiale de notre pays, c'est-à-dire celle de chaque Français qui veut continuer à pouvoir se dire citoyen de France sans avoir à se souvenir que la France n'est plus qu'un état croupion, l'arrière demi-cour de la mondialisation.
La subsidiarité et la souveraineté ne sont pas de simples camemberts à offrir chaque dimanche à nos voisins d'infortune pour leur soutenir le moral avec un petit Château de la Roche-aux-Moines. Nous aimons certes nos voisins mais nous ne sommes pas tout à fait encore réduits à figurer sur les tréteaux d'une réserve de vieux Gaulois, à nous comporter comme si nous n'avions eu aucun passé, comme si nos langues étaient absolument interchangeables ; comme si nos cultures se réduisaient à la formule si chère à nos communistes d'autrefois blanc bonnet et bonnet blanc . Nous n'avons pas à donner aux bureaux bruxellois la prépotence sur nos propres institutions relevant justement de la subsidiarité : l'Europe ne doit être qu'un outil, certes des plus nécessaires, des plus utiles, pour tout dire indispensable, pour que chaque nation se sorte d'affaire dans le maelström des temps qui s'annoncent durs et tragiques. Mais il existe assurément une façon plus simple de mettre en place cet outil et de le rendre efficace que de bâtir ce monstre dont on voit chaque jour davantage pointer le mufle.
Réglons ensemble les grandes affaires du temps présent que nous ne pouvons pas traiter seuls, mais de grâce gardons par devers nous tout ce qui nous revient et dont Bruxelles s'est emparé mais qu'il nous faut reconsidérer comme inaliénable – peut-être en des assises nationales dont les résultats pourraient être entérinés par référendum –, tout ce qui est de notre compétence et agissons de concert pour ce qui dépasse nos forces : mais sans être dissous dans l'énorme marmite. N'ajoutons pas à nos difficultés le désastre d'un empire artificiel qui, comme tous les empires, deviendra très vite insupportable, source automatique dans un avenir plus ou moins proche de conflits graves et n'aurait de ce fait d'autre destin à prévoir que sa chute inéluctable.
* Dominique Daguet est écrivain.
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