Le référendum qui a lieu dans la république d’Irlande le 22 mai 2015 constitue un événement en Europe car il est le premier vote d’un peuple souverain à légaliser le « mariage » homosexuel (et non celui d’une assemblée parlementaire), de sorte qu’il n’est pas exagéré de parler de tournant dans l’histoire religieuse et sociale européenne si on accorde au mariage l’importance qui est la sienne.
Assez curieusement, un certain nombre d’observateurs ont été surpris du résultat : une majorité écrasante d’Irlandais (plus de 62%) ont en effet voté en faveur du « mariage » pour tous, amendant ainsi la Constitution afin que deux personnes sans distinction de sexe puissent contracter un mariage.
À bien des égards, on pourra se référer à cet événement comme on peut se référer à la chute du mur de Berlin, aux attentats du 11 septembre aux États-Unis ou du mois de janvier en France, d’autant plus que, dans l’imaginaire européen, il existe une image (un stéréotype ?) de l’Irlandais fervent catholique, même s’il n’est pas toujours dénué de malice ou de roublardise, popularisée par certains films d’Hollywood comme le très célèbre Homme tranquille de John Ford (films qui ont eu et continuent à avoir leur importance dans la bataille culturelle moderne qui vise à imposer un ordre des valeurs déterminé par une morale soit collective soit individuelle).
Une révolution
Ce résultat est d’autant plus significatif qu’il n’a pas opposé un vote des zones urbaines à celui de zones rurales, comme on aurait pu le penser si on se rappelle les votes sur le divorce ou l’avortement précédents. Dans ces conditions, le ministre de la Santé irlandais, Leo Varadkar, n’a pas tort lorsqu’il affirme que la campagne pour le référendum a eu, sinon tous les traits, du moins certains traits d’une « révolution sociale ». Le vice-Premier ministre Joan Burton a déclaré, pour sa part, que « le peuple irlandais a porté un grand coup à la discrimination ».
Choix du terme intéressant en soi dans la mesure où ce mot, à l’origine, signifiait ni plus ni moins distinction. Il sera dorénavant interdit de faire la distinction entre les sexes pour un mariage en Irlande car discriminer n’est pas distinguer, comme chacun le sait, mais accabler.
La fin du sens des mots
Dès lors, on comprend que l’archevêque de Dublin Diarmuid Martin n’a pu que constater une évolution de la société irlandaise en prenant soin d’éviter de porter des jugements trop sévères — il a ainsi utilisé l’expression de “reality check”, expression assez riche sémantiquement qu’on pourrait traduire par “tenir compte de” ou “se confronter à la réalité” — même s’il n’a pas hésité à annoncer qu’il avait voté contre. Avec une certaine sagesse, il a rappelé que les droits des homosexuels devaient être respectés « sans changer la définition du mariage ».
Nous voyons bien dans ce cas que ce qui est en jeu est précisément cela : la définition des mots, dont on sait qu’Aristote, déjà, l’assimilait à une « formule exprimant l’essence d’une chose [1] ». Or, on sait bien que si une chose peut être elle-même ou son contraire c’est qu’elle n’a pas d’essence. Mais n’est-ce pas précisément une des expressions les plus justes de l’idéologie dominante actuelle qui tendrait à nous faire croire que nous vivons dans un monde sans essences ? Et en quoi et comment l’Irlande aurait pu se soustraire à une telle idéologie ?
Une défaite pour tous
Ce que l’archevêque Diarmuid Martin a ajouté mériterait toutefois une réflexion qui retienne toute notre attention. Il s’est en effet interrogé publiquement : « Je me pose des questions : la plupart de ces jeunes qui ont voté pour sont des produits du système scolaire catholique depuis une douzaine d’années. Je dis que nous sommes ici confrontés au grand défi de savoir comment nous nous y prendrons pour faire passer le message de l’Église. »
En revanche, mardi soir, lors d’une conférence à Rome, le cardinal Pietro Parolin a précisé la portée de tels propos : « L’Église doit prendre en compte cette réalité mais dans le sens où cela doit renforcer son engagement dans l’évangélisation. Je pense qu’on ne peut pas parler uniquement d’une défaite des principes chrétiens mais d’une défaite pour l’humanité. »
Adieu, vieille Europe
En fait, l’Europe traditionnelle, définie principalement (mais pas exclusivement) par ses cultures judéo-chrétienne et gréco-romaine, est en voie de disparition quasi totale. L’Irlande n’échappe pas à cette grande transformation sociétale de notre continent, même si des touristes affables mais distraits sont convaincus du contraire (il est vrai que ces derniers fréquentent davantage les pubs que les églises).
Nous découvrons ou feignons de découvrir tardivement, avec un étonnement un peu forcé, que les cultures médiatiques ne sont pas simplement « antagoniques » avec les cultures scolaires, pour reprendre la terminologie de Sophie Jehel [2] : elles affaiblissent aussi la « transmission intergénérationnelle » et tout type d’enseignement religieux en créant une société du spectacle universelle[3].
Un spectacle « moderne »
Il n’est donc pas étonnant que de grandes personnalités du spectacle aient immédiatement applaudi en apprenant le résultant comme le grand acteur Ian McKellen qui incite l’Irlande du Nord à en faire tout autant [4]. Sophie Jehel affirme dans son article que « les médias et l’école s’opposent aussi dans les modes d’apprentissage et le type de demande que ces autorités adressent à leur public. Aux valeurs de la connaissance humaniste ou scientifique que revendique l’école, les médias se fixent avant tout un objectif de divertissement »…
L’œuvre de Pascal est toujours d’une actualité surprenante. Le mariage homosexuel est devenu par la force des choses un critère de modernité démocratique : s’y opposer serait se déclarer antimoderne, très certainement anti-Lumières, en tout cas antidémocratique.
En Irlande du Nord
En Irlande du Nord (Royaume-Uni) le mariage homosexuel est toujours interdit, une grande partie de la population protestante y étant opposée.
Toutefois, un tribunal a récemment condamné les propriétaires chrétiens d’une boulangerie qui avaient refusé de préparer un gâteau avec un message à caractère explicitement homosexuel en arguant que de telles pratiques contredisaient leurs croyances religieuses.
Cette affaire est devenue une cause célèbre en Irlande du Nord et dans le monde anglophone où les militants des droits homosexuels et les chrétiens s'affrontent d'une manière somme toute assez implacable. Le plaignant, durant le procès, a affirmé se sentir une personne de moindre valeur lorsque la boulangerie a refusé sa commande. « Je n'étais pas digne d'être leur client parce qu’ils étaient chrétiens. C’est ce que j'ai compris. J’ai eu le sentiment de ne pas avoir de valeur, d'être une personne inférieure, et, de mon point de vue, ce n’est pas juste. »
Le slogan sur le gâteau était : « Soutenez le mariage gay ».
Thierry Giaccardi, docteur ès lettres et sciences politiques, enseigne à Belfast (Irlande du Nord).
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[1] André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, p. 209.
[2] Sophie Jehel, « Les cultures médiatiques et les cultures scolaires sont-elles conciliables ou antagoniques ? », in Actes du colloque Enfance et cultures : regards des sciences humaines et sociales, Sylvie Octobre et Régine Sirota (dir), [en ligne] http://www.enfanceetcultures.culture.gouv.fr/actes/jehel.pdf , Paris, 2010.
[3] Expression de Guy Debord.
[4] Voir le bref message de Ian McKelle posté le 23 mai sur twitter : « CONGRATULATIONS to the Republic on saying yes to same-gender marriage ! Now what about Northern Ireland ? »***
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C'est vrai que c'est un tournant à cause du référendum, ce qui le distingue de la façon dont cela a été fait en France par exemple et qui explique largement pourquoi cela n'a pas été accepté ici. La signification des mots est vraiment le point crucial dans cette question. En France notamment le mot égalité a été l'étendard de la revendication pour le mariage gay. Or l'égalité est un mot qui tout seul ne veut rien dire, on peut dire égalité de traitement ou équité, mais imposer l'égalité toute seule ne signifie rien. Une pomme ne sera jamais égale à une poire. Pourtant en tant que fruit, elle méritent toutes les deux d'être correctement traitées, sauf que la poire est naturellement plus fragile et on les manipulera avec plus de précaution.. Ici on nous a dit : l'engagement amoureux de personnes de même sexe est égal à l'engagement de personnes de sexe différent, et cela justifie l'accès au mariage. Sauf que c'est faux car le mariage n'est pas un "engagement amoureux et ça s'arrête là". Le mariage est un engagement amoureux porteur de fécondité, ce qui n'est pas le cas de l'union homosexuelle. Et c'est à cause de cela que c'est quelque-chose qui regarde la société, qui la concerne, car c'est là que vont naître les individus qui la composent. C'est pour cela que le mariage protège la famille, soutient sa cohérence, sa longévité. L'engagement amoureux n'est pas suffisant pour justifier que ce soit un mariage au sens de la reconnaissance d'un bénéfice pour la société.Et la volonté de beaucoup d'homosexuels de faire famille en adoptant ou en ayant recours à la GPA indiquent clairement que ce rêve d'être comme une famille est très fort, mais à un moment il faut se confronter à la réalité au lieu d'essayer de tordre les mots pour la forger commodément et nier la réalité "bêtement" biologique. Quant à l'argument de l'égalité, il a prouvé qu'il était bien léger, car on escamote l'inégalité des enfants : il y a ceux qui ont droit à un père et une mère, et ceux qu'on conçoit dans le but d'être abandonné par l'un ou l'autre ou les deux. Est-ce donc si secondaire comme problématique ?
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