Dans une société toujours plus déchristianisée, le croyant est soumis à des influences contradictoires qui rendent plus que jamais extrêmement difficile l’exercice du discernement et l’accomplissement du devoir. Quelle hiérarchie appliquer ? À qui est due l’obéissance, devant la multiplication des injonctions contradictoires entre l’Église et l’État, et parfois au sein de l’Église même ? La vertu d’obéissance signifie-t-elle l’abandon de l’esprit critique ?
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Tout baptisé appartient à deux sociétés. D’une part à la société civile qui est, traditionnellement, une famille de familles unies, selon Aristote, par une amitié politique au service du bien commun. D’autre part, de par son baptême, à l’Église qui est le corps mystique du Christ. Dans chacune de ces sociétés l’obéissance est une vertu majeure, à défaut d’être cardinale, comme l’enseigne saint Pierre : « Soumettez-vous à un être humain en vue de Dieu » (1 Ep Saint Pierre II,13). Enseignement confirmé par Saint Paul : « Quiconque résiste à l’autorité s’insurge contre Dieu (…) l’autorité en effet est ministre de Dieu pour promouvoir le bien ». (Rom XIII, 2) Il n’y a donc aucune réserve à l’obéissance, à une seule condition cependant : la certitude que le commandement vient bien de Dieu. Or la chose devient parfois contestable du fait que la volonté de Dieu est transmise et interprétée par des créatures. Si, dans l’Église, tout acte d’autorité est, par nature, présenté comme reflétant la volonté de Dieu, n’est, en revanche, guère discutable le fait que la République française ne prétend en aucune façon se conformer à la volonté de Dieu. La loi y est l’expression de la « volonté générale », exprimée par un processus formel d’élaboration de la loi civile, sans aucune référence transcendante. Depuis plus de cinquante ans l’Église catholique vit une crise sans précédent. Tout récemment, les réactions diverses des évêques de France à la suspension du culte public ont manifesté la profondeur des divergences doctrinales qui traversent l’Église. La législation civile, quant à elle, s’éloigne chaque jour plus du respect de la simple loi naturelle. Tout cela pose de réels cas de conscience aux hommes de bonne volonté, cas sur lesquels nous nous proposons de livrer quelques éclairages.
Obéir aux pouvoirs publics ?
Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes
Dans sa chronique radiophonique sur Radio Notre-Dame avec « Marie-Ange » du vendredi 20 novembre Mgr Aupetit, archevêque de Paris, affirmait, tout en fustigeant les manifestations de catholiques demandant le rétablissement du culte public alors suspendu : « Saint Pierre et saint Paul ont dit qu’il fallait obéir aux autorités légitimes, celles qui sont ordonnées au bien commun ». Certes, cependant cette affirmation mériterait d’être largement nuancée. Il est en effet également écrit : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes V, 29). Une loi injuste n’oblige pas : « Ainsi en est-il des lois des tyrans qui incitent à l’idolâtrie ou à toute autre chose qui serait contraire à la loi divine. Il n’est en aucun cas licite d’observer de telles lois » (Saint Thomas, Summa,Ia-IIae, q.96, a.4). L’Aquinate traite de l’obéissance comme d’une vertu de bien commun, qui trouve son fondement dans l’autorité. Le Père Labourdette (o.p., 1935-1990), dans son commentaire sur l’obéissance, montre que le bien commun est déterminant dans la perception de ce qu’est vraiment l’obéissance, au risque de tomber, sinon, dans une conception volontariste de cette vertu. Il écrit ainsi : « Toute autorité vient de Dieu, est participée de l’autorité divine. Mais (…) toute autorité humaine porte directement sur un groupe, vise essentiellement un bien commun. C’est précisément ce bien commun qui en fixera naturellement l’extension et par le fait même les limites. L’autorité appellera dès lors toujours l’exercice, non de la seule volonté et du bon plaisir, mais d’une prudence, de ce que saint Thomas appelle, du nom d’une réalisation typique, la prudence royale, prudence de gouvernement d’un ensemble. » Pour saint Thomas, si l’obéissance a son fondement dans l’autorité (légitime), il ressort que le refus d’obéissance tient à l’abus de pouvoir de la part de l’autorité. Le Père Labourdette commente : « Devant un abus de pouvoir, il ne saurait évidemment y avoir aucun devoir d’obéissance. L’ordre reçu n’a que l’apparence du précepte. À considérer les choses en soi, il n’appelle pas la soumission, mais la résistance. Celle-ci ne sera cependant pas toujours vertueuse. Elle s’impose sans aucun doute, si l’acte commandé implique un péché ou doit léser gravement le bien commun. Elle ne s’impose nullement si l’acte commandé, sans être un péché, n’a d’inconvénients que pour moi-même. »
Savoir résister à l’État totalitaire
Or, dans le cadre de la déclaration de Mgr Aupetit, la sanctification du Jour du Seigneur est un commandement de Dieu devenu un commandement de l’Église par l’obligation d’assister à la messe dominicale. Les pouvoirs publics n’ont pas compétence à intervenir dans ce domaine. De plus l’histoire démontre, à loisir, que les lois promulguées par les autorités politiques ne sont pas toujours conformes aux lois divines. Elles peuvent être formellement légales et licites sans être, par le fait même, légitimes. S’opposer publiquement aux pouvoirs publics, au nom du respect de la loi de Dieu ou de la loi naturelle, est alors, pour les pasteurs, plus qu’un droit, un devoir. Saint Thomas Becket et saint Thomas More le payèrent de leur vie. Au XXe siècle le (futur) cardinal Von Galen, évêque de Munster, s’éleva contre les mesures euthanasiques prises par le régime hitlérien. Mgr Saliège, archevêque de Toulouse dénonça, lui, les persécutions des Juifs. Quant aux cardinaux Mindszenty et Wyszyński une grande partie de leur vie fut consacrée à la dénonciation de la barbarie communiste. Antigone, jusqu’à la fin des temps, en appellera, contre Créon, des lois éternelles voulues par les dieux. C’est cependant le pape Jean-Paul II qui semble avoir le mieux précisé dans l’encyclique Evangelium vitae (25 mars 1995) les difficultés que posent à la conscience catholique un certain nombre de législations, opposées, à des degrés divers, à la loi de Dieu : « La démocratie ne peut être élevée au rang d’un mythe, au point de devenir un substitut de la moralité ou d’être la panacée de l’immoralité. Fondamentalement elle est un système et, comme tel, un instrument et non pas une fin » (§70) ; « en aucun domaine de la vie, la loi civile ne peut se substituer à la conscience, ni dicter des normes sur ce qui échappe à sa compétence » (§71) ; et enfin, citant Jean XXIII dans Pacem in terris (11 avril 1963) : « Si donc il arrive aux dirigeants d’édicter des lois ou de prendre des mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent à la volonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger les consciences. (…) Bien plus, en pareil cas l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression » (§72). Il n’y a plus alors qu’ « apparence de loi ». De son côté le pape François déclarait le 30 août 2013 : « Le pouvoir civil trouve sa limite face à la loi de Dieu ». Pour un chrétien, l’obéissance à la loi civile, même régulièrement promulguée, n’est donc, jamais, un absolu. On ne peut qu’être stupéfait par la sollicitude épiscopale publique dont a bénéficié, à l’occasion de son décès, l’ancien président de la République Jacques Chirac, lui qui avait déclaré, quelques jours après la publication de l’encyclique Evangelium vitae de Jean-Paul II : « Non à une loi morale qui primerait la loi civile ». Nous sommes bien loin des paroles du psalmiste : « Je parlerai de tes prescriptions devant les rois et n’en aurai point honte » (psaume 118).
Notons, de plus, qu’il est difficile d’attribuer aux autorités politiques actuelles un satisfecit habituel au service du bien commun. La promotion continue de l’avortement, la légalisation des unions contre nature, les atteintes régulières aux droits des parents à élever leurs enfants selon leur foi et leurs convictions, la remise en cause de la liberté de se déplacer et de travailler, etc. : toutes ces mesures ne plaident pas en faveur de l’acceptation, sans examen, des décisions d’une autorité qui serait habituellement dévouée au bien commun. C’est plutôt à la prolifération de ce que Jean-Paul II a qualifié de « structures de péché » que nous assistons. Elles conduisent à la perte des âmes, emportées par ce que la philosophe Hannah Arendt a appelé « la banalité du mal ». Assistant au procès d’Adolf Eichmann, logisticien de la « solution finale », en 1961 à Jérusalem l’auteur des Origines du totalitarisme découvre non pas le monstre, l’archange du mal, qu’elle s’attendait à rencontrer mais un fonctionnaire médiocre et consciencieux, qui plus est enrhumé, dont le leitmotiv est : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres de mes chefs et à la loi ». Cette explication ne le sauvera pas de la pendaison.
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