Le dernier sommet de l'OTAN, qui a rassemblé il y a quelques jours les 28 pays membres à Lisbonne, serait, dit-on, un des plus importants qui aient eu lieu. Afin de définir un nouveau concept justifiant l'existence de l'organisation, les alliés y ont passé en revue l'ensemble des menaces auxquelles elle devrait faire face dans l'avenir.

Ces menaces balayent un spectre très large qui va de la guerre cybernétique au changement climatique en passant par le terrorisme, justification de la guerre en Afghanistan, et la menace de missiles nucléaires qui pourraient partir d'un État voyou.
Il est un autre risque que l'on n'a pas avoué puisque, dans le cadre du partenariat stratégique, le président Medvedev avait été invité, mais que les États-Unis ne manquent pas d'agiter auprès de leurs alliés comme si le communisme ne s'était jamais effondré : la menace russe.
Comment une liste aussi impressionnante de menaces ne justifierait-elle pas une coopération de plus en plus étroite entre les pays de l‘alliance, où la France figure désormais au même rang que les autres ?
Les États-Unis ont annoncé la fin de la guerre en Afghanistan pour 2014 : que l'on y croie ou non, il fallait bien, une fois cette annonce faite, justifier la perpétuation de l'organisation. C'est pourquoi a été rendu officielle et approuvée par tous les membres la mise en place d'un bouclier anti-missiles stratégique, dont on sait combien il est mal ressenti par la Russie.
Un instrument de contrôle politique
Mais tout cela n'est qu'apparence car, par-delà les ronds de jambe des diplomates ou le déploiement d'uniformes de généraux de toutes couleurs, l'OTAN est aujourd'hui, moins une alliance militaire qu'un moyen de contrôle politique par les États-Unis de leurs alliés .

La présence de contingents autres qu'américains en Afghanistan, où les États-Unis font l'essentiel du travail, est d'abord une caution politique apportée à leur action. Et comment en serait-il autrement puisque les pays d'Europe occidentale ne consacreront bientôt qu'à peine plus de 1 % de leur PIB à la défense, pour 4,6 % aux États-Unis — soit 43 % des dépenses militaires mondiales.
Les États-Unis ont beau se plaindre de l'effondrement progressif de l'autre pilier de l'Alliance sur lequel, au moins en théorie, ils aimeraient compter, ce fait est déjà pris en compte par leurs théoriciens : pour le néo-conservateur Robert Kagan (La Puissance et la Faiblesse, 2003), il est acquis, que les États-Unis sont une puissance martienne , vouée à la guerre et pleinement acteur de l'histoire contemporaine, tandis que les Européens ne sont plus que des vénusiens , adonnés à l'amour et aux bons sentiments et oublieux du tragique de l'histoire, trop heureux d'abandonner le soin de leur défense à leur grand allié.
Et n'est-ce d'ailleurs pas ce qu'ils ont voulu ? Les folles spéculations de Z. Brzeszinski (Le Grand Échiquier, 1997) partent de l'idée que le seul moyen que l'Europe reste pour Washington un allié sûr, qu'elle ne bascule pas dans un bloc eurasiatique hostile, était de la castrer , d'anesthésier sa volonté, au travers d'un contrôle étroit de la politique des pays d'Europe occidentale (dont le dernier film de Polanski, The ghost-writer donne sans doute une idée) et d'organismes comme l'OTAN.
Que l'assujettissement entraîne la baisse de l'effort de défense, c'est ce que le général de Gaulle avait prévu dans une incise, passée alors inaperçue, de sa célèbre conférence de presse du 23 février 1967 où il annonçait le retrait de la France de l'organisation intégrée de l'OTAN : La volonté qu'a la France de disposer d'elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée.
Autrement dit, de Gaulle posait le théorème suivant, que la suite des événements devait valider: la propension d'un pays à payer pour sa défense — et donc à demeurer un allié sûr — est proportionnelle à son indépendance. Pas d'indépendance, pas de défense.
On peut s'interroger sur les menaces passées en revue au sommet de Lisbonne, quant à leur réalité : Russie, terrorisme (sur lequel on peut en tous les cas dire qu'il ne se joue pas en Afghanistan), États-voyous, ou quant à leur caractère spécifique au bloc occidental : réchauffement climatique, qui, nous semble-t-il, serait plutôt du ressort de l'ONU.
Désunion face à la Chine
Faut-il penser pour autant qu'il n'existe aucun intérêt commun aux États-Unis et à l'Europe ? Non. Car il y en a au moins un, un vrai, c'est la menace économique chinoise. On veut bien croire qu'elle ne concerne pas l'OTAN — mais ni plus ni moins que le réchauffement climatique. Or la sous-évaluation forcée du yuan voulue par le gouvernement chinois, menace tout autant l'économie américaine que l'économie européenne et par-delà, tout l'équilibre mondial.
Au moins sur ce terrain, les deux piliers de l'Alliance pourraient parler d'une seule voix comme ils le font à Lisbonne s'agissant du bouclier antimissiles. Et bien non ! Quand le président Obama critique la politique monétaire de la Chine, les Européens se tiennent cois. Alors qu'encore plus que les Américains, ils ont un intérêt vital à ce que la Chine réévalue le yuan, ils se gardent bien d'apporter un appui franc à Washington, craignant trop sans doute de déplaire à Pékin.
Les Américains ont ce qu'ils cherchaient : dès que se présente un véritable enjeu, fondé sur un intérêt commun clair, surtout si intervient une puissance qui suscite une crainte révérencielle aussi forte qu'eux, les Européens, anesthésiés pour ne pas dire châtrés, sont aux abonnés absents.
En ne voulant pas que l'OTAN soit une communauté d'alliés libres, mais en en faisant l'instrument d'un contrôle impérial, les Américains n'ont en réalité plus de vrais alliés.

 

 

 

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