Dans son message à la France, s'adressant au nouvel ambassadeur près le Saint-Siège, Benoît XVI évoque les émeutes qui ont frappé nos banlieues en novembre dernier, mais suggère nettement qu'il ne s'agit pas d'abord de la révolte de jeunes immigrés livrés à eux-mêmes.

Il s'agit d'une crise qui affecte tout le pays. Un pays qui a perdu ses valeurs morales et spirituelles ne peut pas offrir d'idéal à sa jeunesse, ni le sens du bien commun. Comment intégrer une population déracinée quand notre modèle familial et conjugal vole en éclat ? Comment réaliser la paix sociale quand le petit d'homme lui-même est chosifié par la science ? Voici les grandes questions posées par un chef de l'Eglise qui se dit "depuis sa jeunesse grand admirateur de la Douce France" (Documentation catholique, I-2005).

Ces grandes questions, qui se les pose aujourd'hui ? Au seuil de cette année nouvelle, les hommes et les femmes politiques du pays tout entier vont nous souhaiter leurs meilleurs vœux de bonheur et de santé, avec les formules d'usage.

Adressons-leur les nôtres, les priant de prendre acte drames profonds que vit la France et de faire repentance de l'inaptitude tenace de notre classe politique à saisir les vrais enjeux. Et commençons par ce vœu : ayez crainte du réel avant qu'il ne vous rattrape. Pas trop, car la peur est mauvaise conseillère, mais suffisamment, de cette bonne crainte (qui est aussi un don du Saint-Esprit...) pour réveiller vos consciences, et trouver le courage de vous poser les bonnes questions, comme celle de Benoît XVI.

De quoi avoir crainte

Voici, par exemple, de quoi vous pourriez avoir crainte :

La libanisation de notre chère patrie, situation redoutable où l'on marginalise chaque jour un peu plus les catholiques, coupables d'être les héritiers de la source nationale. Sous peine d'excommunication sociale, on doit extirper de la mémoire de nos enfants, l'essence chrétienne de tout ce qui a construit notre pays, dans sa culture, son intelligence, ses arts, ses universités, ses sciences, son système politique, son droit, sa relation à l'homme, son identité, son état-civil, sa géographie rurale et urbaine.

J'ai trouvé pourtant, dans la seule ville de Paris, plus de 250 rues portant le nom d'un saint. Tous les mystères du rosaire, de l'annonciation au calvaire, d'innombrables noms de congrégations, des docteurs de l'Église, de cardinaux, d'évêques et même des archanges désignent des boulevards, des places ou des squares. Pour les quatre-cinquièmes des Français, nous invoquons un saint lorsque nous les apostrophons.

La surenchère que se livrent entre eux les lobbies homosexuels, les islamistes, les organisations souterraines paralysent ministres et parlementaires. Ce système de terrorisme intellectuel impose une laïcisation totalitaire et radicale. Nous devons même vivre la normalisation du désordre et de la provocation sous l'autorité de la loi. On l'a vu avec cette femme haut fonctionnaire, rappelée sévèrement à l'ordre et sous la menace par une institution d'État, pour avoir voulu interdire une affiche obscène dans un lieu public. Discrimination ! Le pouvoir politique est tétanisé, quand il n'est pas objectivement complice de la violence faite contre un prélat à l'intérieur même de sa propre cathédrale. Ponce Pilate, le ministre en charge du dossier a refusé de poursuivre.

On a l'impression de vivre les années trente de l'Allemagne pré-hitlérienne, quand le paganisme des mœurs, inspiré des mythologies les plus barbares, couvait sous la cendre de la lâcheté politique. C'est dire si la phrase de Vladimir Maximov reste d'actualité : "Je ne connais pas d'homme qui, confronté à l'attrait de l'argent ou du pouvoir n'ait pas été vidé de toute substance ! Celui qui y a résisté est un héros ou un saint."

La situation de guerre civile qui sourde dans nos banlieues inquiète mais n'angoisse guère : tandis qu'on débloque les millions d'euros que l'administration avait pourtant jugé inutiles après avoir constaté leur totale inefficacité (l'épicentre des émeutes, la ville de Clichy-sous-Bois, est la ville la plus subventionnée du pays), le mépris des révoltés s'enracine.

Les premières émeutes l'ont révélé : ceux qui affirment les convictions religieuses les plus simplistes auront à leur disposition une force brutale, héroïque et passionnée. Ils ont soufflé sur la braise et ont montré qu'ils étaient capables d'éteindre l'incendie, l'allumette dans une main et le tuyau d'incendie de l'autre (cf. Décryptage, 18 novembre 2005).

L'idéal non contesté, capable d'encadrer tour à tour dans le calme ou la violence des jeunesses exaspérées rappelle clairement que l'élément d'ordre est l'islam. Le christianisme est muselé, humilié par ceux-là mêmes qui craignent et flattent la sauvagerie des bandes. Car tuer de sang froid et sans regret un père de famille devant sa fille et sa femme, un vieil homme qui éteint un incendie, caillasser un bébé de treize mois ou incendier une personne infirme à l'âge où on passe son BEPC, sont des actes odieusement barbares.

La vérité, c'est que ceux qui n'ont que la laïcité à la bouche pour faire la paix sociale, vitupèrent le Dieu des chrétiens quand il prétend secouer le joug de la "sphère privée", et tendent la joue à son contraire quand les apôtres du désordre attisent la haine de malheureux déboussolés ! Culpabiliser la nation, à grand renfort de révisionnisme à contre-histoire suffit à leur conscience.

Les donneurs de leçons du journal de 20h n'emporteront pas l'adhésion des jeunesses désireuses d'en découdre, et aspirées par les sectateurs les plus fous, libertaires exaltés et fanatiques pseudo-religieux. Qui sait la puissance de l'appel à l'héroïsme, au sacrifice, à l'honneur de caste, dans le mépris des satrapes et des débauchés qui se goinfrent sous leurs yeux ? Qui dira que ce discours se nourrit de la haine des faibles et le vertige de la violence et du sang ? Quand le bras du Dieu qui a donné sa vie pour le salut de tous n'est plus là pour élever l'homme et ses passions, seule la force est respectable, jusqu'à prendre le visage de Dieu lui-même.

Tout le monde le sait : les braves gens, les lâches, les bons chrétiens, les bons musulmans, les assassins... La haine appelle la haine. On se gargarise : "À la différence de tous ceux qui ont connu ça, dit le ministre de l'Intérieur, il n'y a eu ni morts, ni blessés grave" (Libération, 23 décembre). Mais si rien ne change, cela va se terminer tôt ou tard dans le sang !

Les carottes ne sont pas cuites

Ayez crainte, donc, Mme ou M. le parlementaire. Mais soyez sans peur ! N'en déplaise au cher Jean Raspail, "les carottes ne sont pas cuites", car il reste le don de Dieu : l'espérance.

Alors que les plus violents affrontements opposent forces de l'ordre et jeunes immigrés dans la nuit des banlieues françaises, l'Église béatifie Charles de Foucauld. Nous avons ici-même invoqué les leçons du "Frère universel" (Décryptage, 10 novembre), réécoutons-le : " La France malgré les apparences reste la France de Charlemagne, de saint Louis, de Jeanne d'Arc. La vieille âme reste vivante ; les saints de France prient toujours pour elle ; les dons de Dieu sont sans repentance [...]. Alors que tout le créé paraît avec tant d'évidence toucher au néant... avec vous je prie pour la France."

Les dons de Dieu sont sans repentance.

Bonne année !

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